Tiré du blogue de l’auteur.
Analyser les choses à leur racine
Ils sont largement plus d’un million, adossés à une pétition qui, en trois jours, approche à présent les 5 millions de signatures (et va les dépasser), à demander l’annulation du Brexit. C’est un vrai mouvement de masse.
Deux interprétations dominent lorsqu’on en parle en France (mais notons d’abord qu’en France, on en parle remarquablement peu, signe non d’indifférence, mais d’inquiétude et de mauvaise compréhension).
Selon les uns ce sont les gens de bon sens, les gens éclairés, du peuple britannique, qui veulent réparer une erreur fatale et revenir sur les rails de la raison et de la seule politique possible – ironie de l’histoire : la formule sur la "seule politique possible", résumée par l’acronyme TINA pour There Is No Alternative, est thatchérienne, et c’est précisément cette formule que les derniers défenseurs de l’Union Européenne existante, cherchant à se rassurer avec le fiasco britannique, emploient !
Selon les autres, c’est toujours la même histoire : de même qu’on a fait revoter les Irlandais et que le Non français à la "constitution" prétendument européenne a été bafoué par Sarkozy, Hollande et tous les autres, il s’agirait de mépriser l’expression démocratique majoritaire britannique et donc, ceux qui manifestent seraient tous des "bobos", en somme, dressés contre le prolétariat de l’Angleterre noire et brique.
Ces deux interprétations, qui se nourrissent l’une l’autre dans leur adversité complémentaire, relèvent, disons-le, du passé et de représentations idéologiques fantasmées ne correspondant plus au concret présent. Comprendre la réalité concrète telle que la dessine la lutte des classes, c’est précisément ne pas reproduire des schémas géopolitiques purement "pro" ou "anti" européens, mais tenter de saisir les choses à leur racine.
En France, ceci est d’autant plus nécessaire dans le mouvement ouvrier que, et c’est normal, nous avons été façonnés par la lutte contre les mesures antisociales prises par l’Union Européenne, cette prétendue union dite européenne, ou prises au nom de celle-ci, ce qui a induit des réflexes qu’il ne s’agit pas du tout de jeter au rancard – bien entendu que l’Union Européenne, qui n’est ni une union ni européenne, est une construction institutionnelle antisociale et antidémocratique – mais de situer dans leur cadre réel.
Comment la lutte des classes a conduit à la situation présente
Ce cadre réel, c’est aujourd’hui celui d’une Union Européenne en crise très profonde, parce que chacune des puissances impérialistes qui la constituent et la dominent sont en crise profonde. Parmi ces puissances, le Royaume-Uni est celle où, dans les années 1980, les coups les plus durs ont été portés à la classe ouvrière et à la société. Depuis plusieurs années, grèves et mouvements sociaux (dans la jeunesse, ou pour la défense des services publics) se sont multipliés en Grande-Bretagne, alors même que la décomposition blairiste du mouvement ouvrier se poursuivait. Les élections législatives de 2015, ont de ce fait vu le transfert des voix du Labour vers le parti national-libéral SNP en Ecosse, produisant une commotion dans le Labour qui a débouché sur l’élection d’une figure historique de sa "vieille gauche" anté-thatchérienne et anté-blairiste, Jeremie Corbyn, le dernier à s’attendre (et à avoir anticipé) une telle victoire.
Les manœuvres des secteurs blairistes et anti-syndicaux pour le renverser ont suscité dans l’année qui a suivi la résistance sociale d’une base soudain ressuscitée, et renforcée par des adhésions par milliers : pendant qu’en Europe continentale sociologues et penseurs "radicaux" dissertaient sur le remplacement de la "gauche radicale" par le "populisme", un parti ouvrier de masse- - le plus grand parti ouvrier, et le plus grand parti tout court, d’Europe-, candidat au pouvoir dans l’esprit de millions de gens, et cela sans attendre, se reconstituait en Grande-Bretagne, phénomène historique considérable, totalement étranger aux radars de tous nos penseurs et exégètes hexagonaux.
L’apparition d’une perspective nouvelle, se situant au niveau du pouvoir ("Corbyn au pouvoir", criait-on dans les stades dès fin 2015 !), n’a pas été étrangère à la manœuvre de grande ampleur montée par le premier ministre conservateur James Cameron : un référendum pour ou contre la sortie de l’Union Européenne, le "Brexit", contre lequel lui-même appelait à voter.
Il s’agissait pour partie d’un chantage envers les autres puissances impérialistes européennes, donc avant tout l’Allemagne et la France, pour qu’elles cessent de concurrencer dangereusement la City en tant qu’épicentre de la finance mondiale, ébréchée par la crise de 2008 et des années suivantes.
Mais il s’agissait aussi de jeter dans la confusion la perspective claire, et menaçante pour la classe dominante dans toutes ses composantes, "pro" ou "anti" européennes, d’un gouvernement démocratique du Labour mené par Corbyn et engageant la remontée des salaires, la restauration des services publics et la reconstitution d’un secteur industriel par la voie des renationalisations (on résume ici le programme réformiste conséquent de Corbyn, irréalisable sans affrontement sévère avec le capital et l’État britannique).
Et, de fait, confusion il y eut : devant la "question européenne" Corbyn a cumulé les inconvénients de l’orientation de "gauche radicale" classique, et campiste, "anti-européenne", faisant les yeux doux à la Russie et à tout ce qui passe pour anti-Bruxelles ou anti-Washington, et ceux d’une orientation accomodante avec Bruxelles, prise, à tort, pour une protection relative en matière de droit du travail, par rapport à la violence thatchérienne et blairiste.
En gros, Corbyn s’est prononcé pour rester dans l’UE tout en accréditant toutes les représentations "anti" européennes de la "vieille gauche" (qui sont les siennes), il a donc fait une campagne contre le Brexit mais à reculons, sans se présenter comme exigeant le pouvoir, la démission de Cameron, pour assumer la main tendue à tous les peuples du continent, par dessus Bruxelles. C’est de ce moment que datent les difficultés politiques et le piétinement de Corbyn, qui n’ont pas cessé depuis, avec l’offensive calomnieuse visant à faire passer le mouvement ouvrier pour antisémite, mais offensive qui se nourrit de ses incompréhensions, atermoiements, représentations "campistes" du monde, et négligence coupable envers la réalité de la question antisémite.
L’addition d’une lame de fond chauvine et anti-immigrés, et du mécontentement social des villes d’ouvriers et de chômeurs, ont conduit à la victoire du Brexit qui n’était pas du tout le but visé par Cameron, remplacé par la suite par Theresa May.
Formidable crise politique du capital
Ici, un commentaire de longue portée s’impose. La bourgeoisie britannique, la plus vieille du monde, était la plus expérimentée, la plus rusée, la plus fine, la plus cultivée. Que ses héritiers, certes des agents aveugles du capital - mais formés tout de même à Oxford et Cambridge, by jove ! - en viennent à se tirer une aussi magistrale balle dans le pied, est spectaculaire et témoigne de l’absence d’issue, et même de l’absence de stratégie et de réflexion élémentaire, des propres faisant fonction politique du capital, qui se meuvent à l’aveugle dans l’accumulation de leurs propres contradictions.
Nous n’interprétons donc pas ici la victoire du Brexit comme une victoire prolétarienne et démocratique contre l’Union Européenne (ce qu’avait été la victoire du Non au Traité constitutionnel européen en France en 2005), mais comme la conséquence d’une double impasse.
D’abord l’impasse politique, et géopolitique, du capitalisme britannique qui a détruit la possibilité, qu’il avait largement exploitée depuis Thatcher (qui disait du mal de l’UE mais n’a jamais joué avec un Brexit !), d’utiliser sa position de membre récalcitrant de l’UE disposant d’un statut dérogatoire de facto, et qui donc, en somme, s’est de lui-même placé en position de perdant dans ses négociations avec les impérialismes allemand et français, d’autant que l’arrivée de Trump à la Maison blanche n’assure pas vraiment ses arrières atlantiques.
Mais aussi l’impasse de la direction réformiste de gauche du Labour ressuscité, une résurrection qui est un fait majeur de la lutte des classes, à assumer sa place en étant candidate au pouvoir, remettant en cause tant le système institutionnel britannique et ses élections parlementaires à dates fixes, que les institutions de l’UE.
Cela dit, il serait exagéré de faire du Brexit, comme le vivent les secteurs de gauche pro-européens, une victoire purement chauvine et xénophobe (il est à cet égard frappant de constater que le parti "anti-UE", l’UKIP, est lui aussi entré en crise à la suite de "sa" victoire par le Brexit !). De tels éléments existent dans la situation – et l’assassinat de la jeune députée travailliste de Leeds, Joe Cox, trois jours avant le scrutin, a certes une lourde signification. Mais il n’y a pas de poussée réactionnaire exclusive et dominante. Il y a aggravation de toutes les contradictions. Ni poussée révolutionnaire, ni poussée réactionnaire, ne sont victorieuses. Mais l’on a enfoncement dans la crise, la double crise de l’incapacité du capital à gérer la nation, et de l’incapacité de la représentation politique ouvrière à saisir la perspective qui s’offre pourtant à elle.
Notons la différence de nature de ces deux incapacités : la première est structurelle, le capital ne peut rien apporter en ce qui concerne l’avenir, que ce soit l’avenir de l’humanité ou celui de la Grande-Bretagne, mais la seconde est politique et organisationnelle, c’est-à-dire que la voie de l’avenir est à elle si la lutte politique pour la conscience et l’organisation du prolétariat l’emporte.
Mais retenons aussi cette leçon : en Grande-Bretagne - au moins en Angleterre et au Pays de Galles car la situation en Ecosse et en Irlande du Nord, nous allons y revenir, est plus complexe - il y a une représentation politique du prolétariat, ce qu’on ne peut pas dire, aujourd’hui, de la grande majorité des pays du monde. C’est l’actuelle direction du Labour telle qu’elle est. Mais justement, la leçon est qu’une telle "chance" peut très vite être ébranlée ou se perdre si la direction politique n’a pas une boussole politique issue de l’assimilation des leçons de l’histoire qui l’a portée où elle est ...
L’impérialisme britannique affaibli
Suite au Brexit, provoqué mais non désiré par le pouvoir politique britannique, l’impérialisme britannique se retrouve en situation de faiblesse dans ses négociations permanentes avec tous ses "partenaires"-adversaires internationaux. Depuis maintenant deux ans, il n’est pas parvenu à négocier un accord de sortie régulant les contradictions ouvertes, avec "Bruxelles", c’est-à-dire avec Berlin et Paris avant tout. Les uns et les autres ont fait durer. A son corps défendant, Theresa May a fait durer le jeu, reproduisant le chantage de Cameron, chantage pourtant irresponsable du propre point de vue du capital financier de la City, cette fois-ci sur un hard Brexit qui pourrait arriver si Messieurs et Mesdames Merkel, Macron, Juncker, ne sont pas assez accommodants. Mais ces derniers aussi ont fait durer le plaisir.
Et cela s’explique : pendant ces deux années, après la peur initiale puis le constat que rien ne paraissait avoir changé dans l’immédiat, les affaires ont repris, mais la City, en terme de capitalisation boursière, a cessé d’être la première place financière du monde. Wall Street lui est repassée devant tandis que Francfort et Paris récupèrent des morceaux.
Tous jouant le petit jeu de la durée, on en est arrivé à l’échéance, à savoir les élections dites "européennes" de mai prochain, censées, initialement, ne pas concerner le Royaume-Uni.
Pourquoi cela bloque
Qu’est-ce qui rend un accord impossible ?
Ce point est d’autant plus essentiel à clarifier que la plupart des commentaires ne font que l’obscurcir. Le citoyen ordinaire en est donc réduit à croire que les gouvernants n’arrivent pas à s’entendre sur des histoires de tarifs et de subventions. En fait, ce n’est pas cela le sujet. Le sujet est le suivant : le vote sur le Brexit n’a pas seulement ouvert une situation géopolitique impossible pour l’impérialisme britannique, mais il a exhibé au grand jour les fractures des questions nationales internes au Royaume-Uni.
C’est en Angleterre (Londres exceptée) et dans le Pays de Galles que le Brexit l’a emporté. Mais en Ecosse, il a été largement battu. Vote autant "anti-anglais" que "pro-européen". Et il aussi été battu, ce qui n’avait pas été anticipé, en Irlande du Nord. Non seulement l’écrasante majorité des "catholiques", c’est-à-dire la minorité opprimée, dont les effectifs augmentent proportionnellement, a voté contre un Brexit qui les sépareraient de l’État irlandais, mais une partie significative des "protestants", accoutumés à la paix civile et à l’ouverture des frontières existant depuis les "accords du vendredi saint" du 10 avril 1998, a aussi voté contre.
Le vote nord-irlandais devenait donc, de fait et de manière imprévue, un défi au Royaume-Uni (lequel est, rappelons-le, le "Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord"), bien qu’il puisse aussi, au départ, s’interpréter comme un vote pour la préservation du statu quo menacé par le Brexit, lequel aboutirait logiquement à fermer à nouveau la frontière irlandaise, seule frontière terrestre entre le Royaume-Uni et l’UE. Les accords du vendredi saint, certes, préservaient les intérêts fondamentaux de l’impérialisme britannique, mais dès lors que celui-ci brise le statu quo par le Brexit, la défense des points qui, dans ces accords, prenaient en compte les droits démocratiques et nationaux irlandais (l’ouverture de la frontière et la double nationalité sur simple demande, ce qui n’est pas rien), la question irlandaise revient en force.
En clair et en résumé, l’impérialisme britannique avec le Brexit a, certes, réussi à semer la confusion et à jetter le brouillard face à la perspective politique d’un gouvernement ouvrier à Londres, mais il s’est tiré non seulement une, mais deux, balles dans le pied.
La première est celle dont nous avons parlé, à savoir son affaiblissement par rapport aux autres puissances impérialistes.
La seconde concerne sa propre construction étatique, à savoir le double édifice du Royaume-Uni et de la Grande-Bretagne. Une majorité de la population, intégrant une proportion significative des "protestants", d’Irlande du Nord, se retrouve confrontée au risque de la perte de conquêtes démocratiques importantes et le refuse, et ce refus conduit à reposer la question de l’unité de l’Irlande, et, donc, de la fin du "Royaume-Uni". Mais pour ce qui resterait de celui-ci – la Grande-Bretagne – la question écossaise au moins requiert d’autant plus la renégociation et la redéfinition de ce qu’est l’identité politique "britannique".
En tant que révolutionnaires français, à ce stade, nous nous devons de faire remarquer à nos camarades britanniques que la question de la monarchie (et de la chambre des Lords, et de l’Église anglicane) sont en cause aussi, et qu’un gouvernement ouvrier Corbyn, reconnaissant le droit à l’autodétermination et à l’unité irlandaises, et le droit à l’autodétermination écossaise, aurait tout intérêt à proposer un contrat de refondation du bloc des nations britanniques en termes ... républicains.
Nous ne sommes absolument pas là dans la fiction : c’est bien la construction monarchique britannique en tant que telle qui est entrée en crise.
Berlin et Paris
Or, une donnée très frappante de la situation diplomatique est que c’est précisément sur ce point que l’accord avec "Bruxelles" achoppe, parce que Berlin et Londres ont été, pour le moins, peu accommodants avec ce "pauvre" impérialisme britannique.
La reconnaissance de la souveraineté du Royaume-Uni, selon les normes du droit international, supposait l’acceptation du Brexit avec toutes ses conséquences en termes de frontière. Autrement dit, l’acceptation de rétablir une "frontière physique" entre les deux Irlandes. Mais il était d’autant plus facile à Berlin et Paris de s’y opposer que sur place, et à Londres, cette éventualité fait peur. On présente en général cela comme le risque de "retour à la guerre civile". Beaucoup plus probablement, une frontière physique rétablie serait massivement rejetée par la population, "protestants" y compris, de part et d’autre.
Le rapport de force – exprimé dans le vote nord-irlandais sur le Brexit – ne joue pas en faveur de l’Union Jack. Berlin et Londres par le truchement de "Bruxelles" ont fini par faire endosser par Theresa May le dispositif dit du backstop, ou "filet de sécurité", qui évite toute "frontière physique", mais qui, d’une part, maintient dans l’immédiat tout le Royaume-Uni dans un "territoire douanier unique", et qui, d’autre part, pourrait se voir remplacer par des contrôles douaniers maritimes, entre Irlande (dans son ensemble) et Grande-Bretagne.
Le premier aspect signifie que Londres relève encore des dispositifs douaniers, et donc commerciaux, "européens", et le second signifierait la réunification de l’Irlande en matière économique et commerciale, prélude implicite à sa réunification tout court, et à la perte de l’Irlande du Nord, cette composante par laquelle le "Royaume-Uni" est "uni" et porte son nom ...
On peut difficilement imaginer pire Bérézina pour les fins stratèges jingo (mot que l’on peut traduire par "chauvins réacs") : leur Brexit débouche mécaniquement, premièrement, sur une soumission maintenue à "Bruxelles" sans avoir de droit de vote institutionnel, deuxièmement, sur la menace de perte de toute l’Irlande et donc de crise existentielle de l’État construit depuis des siècles par la monarchie alliée à la City ...
Il est donc tout à fait "normal" dans ces conditions que Mme May ne parvienne plus jamais à avoir un vote favorable aux Communes. Il est par ailleurs intéressant de se demander pourquoi cette position d’apparence "inflexible" de Berlin et de Paris. Il ne s’agit pas de sympathie irlandaise, bien que, comme pour Theresa May, la conscience du risque d’impossibilité pure et simple à rétablir une frontière contre les peuples existe chez eux sans doute aussi. Il s’agit de froids rapports de force. Il faut, à cet égard, se départir de toute fiction sur un quelconque état "fusionnel" entre États.
Même lorsqu’ils se sont dotés d’institutions communes, ils restent ce qu’ils sont et lorsqu’il s’agit, comme c’est, de manière dominante, le cas depuis 2007-2008, de se répartir non les profits, mais les pertes, l’ "union" tient de moins en moins. L’État irlandais (l’Eire) a lui-même fait payer un lourd tribut à sa population pour le renflouement des banques et de la finance, après être devenu un relais important, incorporé dans la zone euro (et c’était le but de cette incorporation), des intérêts financiers, affairistes et immobiliers "européens". La porosité de la frontière avec l’Irlande du Nord est un élément de ce tableau. Ni Berlin ni Paris n’étaient disposés à la moindre concession envers Londres sur ce plan.
Depuis quelques jours, Macron fait "le dur", de manière plus prononcée que Merkel. Ce jeu relève de la même irresponsabilité, du propre point de vue des intérêts capitalistes bien compris, que celui de Cameron en 2016. Un hard Brexit ne lui ferait pas peur. En réalité, la densité des relations commerciales intra-branches (dans la chimie, la mécanique et l’automobile notamment) entre Royaume-Uni et France expose frontalement cette dernière aux conséquences d’un hard Brexit. Dans tous les cas de figure, aussi bien Macron que Merkel et May entendront faire payer la facture aux travailleurs de leurs pays respectifs : ils sont là pour ça.
L’impasse et l’issue
Comme on le sait, l’impasse construite en direct depuis deux semaines en arrive à son niveau maxima. Le parlement britannique a successivement repoussé les modalités négociées par T. May, un hard Brexit, et demandé un report, lequel est limité par Berlin, et surtout Paris (avec la crise d’autorité de Macron), à la date du 12 avril, pour éviter un imbroglio juridique inextricable envers les élections "européennes". La crise du Brexit, crise des relations entre Londres, Berlin et Paris, devient donc une crise européenne globale, ou mieux, elle s’inscrit comme le catalyseur et l’accélérateur de la crise européenne globale, que les élections "européennes" ne surmonteront en aucun cas.
La forte mobilisation à Londres aujourd’hui et le mouvement anti-Brexit, dans ces circonstances, n’ont pas le même contenu réel que les remises en cause du scrutin qui s’étaient produites immédiatement après lui. Il est inévitable que la masse de la population rejette la fausse alternative d’un Brexit maintenant le Royaume-Uni dans l’espace douanier européen avec un statut de dernière roue du carosse, ou d’un hard Brexit assorti directement de mesures anti-sociales, à commencer par l’expulsion ou le rejet dans le travail au noir de millions de salariés européens vivant en Grande-Bretagne. Ce double rejet ne vaut pas adhésion à "Bruxelles" et n’est pas un mouvement "pro-européen" au sens de Macron ou des divers thuriféraires d’une "construction européenne" de plus en plus nébuleuse et compromise.
La paralysie progressive de la direction Corbyn du Labour a abouti à ce que, pour de larges secteurs de la population, l’exigence démocratique d’un nouveau référendum s’est imposée en lieu et place de celle d’élections anticipées. Mais aussi bien une sortie "séche", hard Brexit, qu’un retour – que Berlin et Paris feraient d’ailleurs passer sous leurs conditions – intégrerait l’affaiblissement britannique, que la classe dominante voudrait faire payer, durement, à la population, aussi bien aux pro-Brexit qu’aux anti.
Tant le Brexit que Bruxelles promettent un lourd prix à payer pour ceux qui n’y sont pour rien, la majorité, les prolétaires. Il y a donc besoin d’une perspective positive, celle de la démocratie et de l’union libre, et donc réelle, des peuples européens, associée au nécessaire gouvernement démocratique du Labour.
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