Le 6 mars, les Islandais avaient rendez-vous avec les urnes pour décider de leur avenir. Ils devront se prononcer pour ou contre la loi « Icesave ». Si cette loi est acceptée, les dettes des banques privées seront nationalisées et l’ajustement structurel sera renforcé. Dans un contexte de crise économique et sociale, et alors que c’est le peuple islandais qui a imposé au gouvernement la tenue de ce référendum, les sondages actuels annoncent un non massif, à plus de 70%. Si cela se confirme, le peuple islandais aura remporté une victoire contre le néolibéralisme. Ce sera aussi une victoire pour la démocratie si, contrairement à ce qui s’est passé en France et en Irlande récemment, le choix des Islandais est respecté.
Petit pays de 320 000 habitants sans armée, l’Islande a subi de plein fouet la crise financière qui a éclaté fin 2008. Des milliers de ménages ont perdu leur travail ou ont été expulsés de leurs logements. Dans le même temps, l’État a déboursé des centaines de millions d’euros pour nationaliser les trois principales banques islandaises (Kaupthing, Landbanski et Glitnir), totalement privatisées en 2003. Au bord de la faillite, le gouvernement islandais a annoncé qu’il n’était pas en mesure d’assumer ses engagements en matière de remboursement de dette. Se sentant floué, le peuple islandais s’est massivement mobilisé pour tenter de faire payer le coût de cette crise aux responsables : les banques et les fonds spéculatifs. Cette pression a donné des résultats : le gouvernement a démissionné fin 2008 et, en août 2009, le Parlement a adopté une résolution pour conditionner le remboursement de cette dette aux « capacités de paiement » du pays . Mais les intérêts en jeu sont énormes. Le FMI et l’Union Européenne ont pesé de tout leur poids pour renverser cette orientation. Dans la nuit du 30 au 31 décembre 2009, le Parlement a changé de position et voté la loi « Icesave ». Cette loi a confirmé la nationalisation de ces dettes privées et prévu la mise en place de mesures d’austérité (gel des salaires, diminution des dépenses publiques…) afin de dégager les montants nécessaires au remboursement intégral .
Dans un contexte de crise sociale, mais aussi et surtout de conscience critique collective élevée, les Islandais ne l’ont pas entendu pas de cette oreille : des organisations islandaises ont lancé une pétition contre cette loi, et, en quelques semaines, plus de 25% des Islandais l’ont signée ! Sous la pression, le Président est contraint de la prendre en compte et d’appliquer l’article 26 de la Constitution qui stipule qu’en cas de refus du Président de promulguer une loi, elle sera soumise à une consultation populaire. Un référendum aura donc lieu ce 6 mars 2010.
Malgré les différentes pressions (pression médiatique très forte en faveur du oui, refus de discuter de l’intégration de l’Islande dans l’Union européenne, blocage de l’aide internationale), les Islandais vont très probablement dire non à cette loi néolibérale. Cette décision sera très intéressante sur au moins deux points.
Premièrement, on est en droit de douter que ce choix sera respecté. Rappelons-nous ce qui s’est passé à propos du Traité constitutionnel européen : alors que les Français et les Irlandais avaient dit Non, le gouvernement français a tout de même approuvé le Traité de Lisbonne qui l’a remplacé en passant par la voie parlementaire, tandis que le gouvernement irlandais a imposé un nouveau vote afin de parvenir au Oui. Ailleurs, un second vote a-t-il été organisé lorsque le résultat initial était Oui ? Non. Va-t-on faire de même cette fois-ci et refuser d’écouter la volonté populaire ? Contrairement à ce qui se passe dans certains pays d’Amérique latine, les résultats des référendums en Europe sont niés par les dirigeants dès lors qu’ils ne sont pas conformes à leurs attentes. Drôle de façon d’envisager la démocratie ! Le référendum, comme les autres outils démocratiques (élection, consultation populaire, budget participatif, référendum révocatoire, assemblée constituante…) sont pourtant des outils démocratiques fondamentaux.
Deuxièmement, ce référendum pourrait apporter la preuve que, contrairement au discours dominant, le gouvernement islandais est tout à fait en mesure de refuser la logique néolibérale tout en garantissant la justice sociale. Toute une série de mesures concrètes et alternatives à la logique capitaliste pourraient être mises en place rapidement, en vue de sauver les emplois et de faire payer le coût du sauvetage financier aux responsables : nationalisation sans indemnisation du secteur bancaire, interdiction de nationaliser les dettes privées (comme le prévoit l’article 290 de la Constitution de l’Équateur), moratoire immédiat sur le remboursement de la dette, mise en place d’un audit intégral de la dette islandaise en vue de répudier toutes les dettes odieuses ou marquées d’irrégularités (tout comme l’a fait lÉquateur en 2007), impôt exceptionnel sur le patrimoine des grosses fortunes afin de développer des emplois publics socialement utiles et respectueux de la nature… Ces mesures sont parfaitement réalisables et tout à fait légitimes, afin que le poids de cette crise ne repose pas en bout de course sur la population islandaise qui en est la victime. Bien d’autres gouvernements dans le monde devraient d’ailleurs considérer ces mesures comme une obligation d’un point de vue international, puisque la majorité d’entre eux ont ratifié la Déclaration sur le droit au développement de 1986 qui stipule dans son article 2 : « Les États ont le droit et le devoir de formuler des politiques de développement national appropriées ayant pour but l’amélioration constante du bien-être de l’ensemble de la population et de tous les individus, fondée sur leur participation active, libre et utile au développement et à la répartition équitable des avantages qui en résultent. »
L’histoire nous a appris que des mesures progressistes allant à l’encontre des intérêts du grand capital ne se concrétisent que si le peuple se mobilise largement. Il est donc essentiel de soutenir le peuple islandais dans la mise en pratique de ses droits démocratiques et dans ce qui n’est sans doute que le début d’une plus longue bataille. Après avoir dit non au néolibéralisme, les Islandais seront alors capables de poursuivre la lutte pour la mise en place d’une logique radicalement autre, que les créanciers redoutent mais que les peuples sont de plus en plus nombreux à réclamer.
Économiste au CADTM (Comité pour l’annulation de la dette du tiers-monde, www.cadtm.org)
1, A titre d’exemple, l’Etat islandais a déboursé 600 millions d’euros pour s’adjuger 75 % du capital de Glitnir, le 29 septembre 2009, avant d’en prendre l’entier contrôle quelques jours plus tard.
2. Cette résolution affirmait que le gouvernement consacrerait au maximum 6% de la croissance de son PIB au titre du remboursement de la dette, et que si la croissance économique n’est pas au rendez-vous, l’Islande ne paierait rien. Pour plus d’infos, lire Olivier Bonfond, « Islande - si la dette ne peut pas être payée elle ne le sera pas », www.cadtm.org/Islande-Si-la-dette-ne-peut-pas
3. Voir Jérôme Duval et Olivier Bonfond, « Les islandais n’ont pas dit leur dernier mot », www.cadtm.org/Les-Islandais-n-ont-pas-dit-leur
site du CADTM