Édition du 17 décembre 2024

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Économie

Qu'ils partent tous !

En voyant la foule islandaise taper sur ses casseroles jusqu’à ce que le gouvernement tombe, je me suis rappelé un slogan populaire chez les anticapitalistes en 2002 : « Vous êtes Enron, nous sommes l’Argentine ».

Texte traduit du site The Nation, 4 février 2009.

Traduction : Alexandra Cyr

Le message était simple : vous, politiciens et PDG, installés dans les sommets commerciaux, vous êtes comme les exécrables incapables chez Enron. (Bien sûr nous ne connaissions pas la moitié des faits…). Nous, ceux de l’extérieur, nous sommes comme le peuple argentin qui, au beau milieu d’une crise semblable à celle-ci, a pris les rues d’assaut en tapant sur ses casseroles en scandant : « Que se vayan todos ! » (Qu’ils partent tous !)

Ils ont ainsi renversé quatre présidents en moins de trois semaines. Qu’est-ce qui donne son caractère unique à la révolte argentine en 2001-2002 ? C’est qu’elle n’était pas dirigée contre un parti politique en particulier ni même contre la corruption dans l’abstrait. La cible était le modèle économique dominant. Ce fut la première révolte nationale contre l’actuel capitalisme dérégulé.

Ça a pris un moment, mais de la Lettonie à la Corée du Sud, en passant par la Grèce, le reste du monde a ses moments « Que se voyan todos ! »

Les stoïques Islandaises frappant à leur tour sur leurs casseroles pendant que leurs enfants fouillent dans frigos pour trouver des projectiles (des œufs, évidemment, mais des yogourts… ?), faisaient écho aux fameuses tactiques élaborées à Buenos Aires. C’est la même rage collective contre les élites qui ont ruiné un pays florissant et qui ont cru pouvoir s’en tirer.

Gudrum Jonsdottier, employé de bureau de 36 ans, nous le dit : « J’en ai assez de tout ça. Je ne fais pas confiance au gouvernement, aux banques, aux partis politiques et au FMI2. Nous avions un pays correct, ils l’ont ruiné ».

À Reykjavik, les opposants ne se laisseront pas abattre par des changements de façade au sommet ; même si la nouvelle première ministre est lesbienne. Ils veulent que l’aide aille au peuple, pas seulement aux banques, qu’il y ait des enquêtes criminelles sur ce gâchis et des réformes électorales en profondeur.

On peut entendre ces mêmes revendications en Lettonie en ce moment. Ce pays est de loin celui de l’Union européenne dont l’économie souffre le plus et où le gouvernement se maintient vaille que vaille. Depuis des semaines la capitale est prise d’assaut par les protestataires. Une émeute sanglante a eu lieu le 13 janvier dernier. Comme en Islande, les Lettons sont révoltés par le refus de leurs leaders d’assumer leurs responsabilités dans ce désastre. Interviewé sur les ondes de Bloomberg T.V. à propos des causes de la débâcle financière, le ministre letton des finances a marmonné : »Rien de spécial ».

Pourtant les problèmes lettons sont spéciaux. Les politiques qui ont donné au « Lion de la Baltique » une croissance de 12% en 2006 sont celles qui permettent une violente contraction de 10% cette année. Ce sont ces politiques qui ont donné toute liberté à la monnaie qui sortait du pays sitôt entrée, après quelques virages et arrêts dans des poches politiques. Ce n’est pas une simple coïncidence si les pays-miracles d’hier, l’Irlande, l’Estonie, l’Islande et la Lettonie, sont ceux qui sont dans la débâcle aujourd’hui

Il y a quelque chose de la révolte argentine dans l’air. En 2001, les leaders argentins ont répondu à la crise avec une politique brutale d’austérité dictée par le FMI : 9 millions de baisse dans les dépenses gouvernementales principalement dans l’éducation et la santé. Ce fut une erreur fatale. Les syndicats ont appelé à la grève générale, les enseignants ont déménagé leurs classes dans les rues et la protestation n’a pas eu de fin.

Ce même refus de payer seuls la crise unit les protestataires d’aujourd’hui. En Lettonie, la rage populaire est dirigée contre les mesures d’austérité du gouvernement : mises à pied massives, réduction des services sociaux et baisse des salaires dans le secteur public. Tout ce qu’il faut pour se qualifier pour un prêt d’urgence du FMI. (Non rien n’a changé !)

En Grèce, les émeutes sont survenues après la mort d’un adolescent de 15 ans sous les balles de la police. Mais, ce qui a soutenu le mouvement après que les fermiers eurent pris le relais, c’est la rage largement répandue face aux mesures mises en place par le gouvernement pour réagir à la crise : 36 milliards pour le sauvetage des banques pendant qu’il sabrait dans les pensions des travailleurs et que les fermiers ne recevaient pour ainsi dire rien. Malgré les embêtements causés par les barrages de tracteurs sur les routes, 78% des Grecs trouvaient les revendications des fermiers raisonnables. Même chose en France où la grève générale du 29 janvier dernier contre, entre autre, les importantes réductions de postes dans l’éducation, a reçu l’appui de 70% de la population.

Le lien le plus solide dans cette protestation globale c’est celui du rejet des politiques extraordinaires. L’expression est du politicien polonais Leszek Balcarowicz. Elle énonce comment, en temps de crise, les politiciens peuvent faire fi des lois et imposer en toute vitesse une série de réformes impopulaires. Mais ce stratagème s’use comme le gouvernement de la Corée du Sud en a fait l’expérience récemment. En décembre, le parti au pouvoir a tenté d’utiliser la situation de crise pour installer un accord de libre échange avec les États-Unis, qui était très contesté Les législateurs ont poussé au bout la logique des débats derrière des portes closes en s’enfermant à double tour pour pouvoir voter en privé. Ils ont bloqué les portes avec des pupitres, des chaises et canapés.

Les membres de l’opposition ne l’ont pas pris : avec des masses et des scies électriques ils ont forcé les lieux et se sont installés dans un sit in de 20 jours au parlement. Le vote a été reporté et plus de débats ont pu avoir lieu. Une victoire contre ces politiques extraordinaires.

Ici, au Canada, où la politique a moins l’allure de la fraternité U-Tube, elle a quand même eu son lot d’événements surprenants. En octobre dernier, le Parti Conservateur a gagné l’élection nationale avec un programme minimal. Six semaines plus tard notre premier ministre conservateur a donné à voir son idéologie de base et présenté un budget qui sabrait dans les droits de grève des travailleurs du secteur public fédéral, annulait le financement public des partis politiques et ne comportait aucun plan de stimulation de l’économie.

L’opposition a répliqué en créant une coalition historique qui n’a été contrée que par une suspension abrupte de la session parlementaire. Les conservateurs sont revenus avec un budget révisé : les provisions mesquines ont disparu et un plan de stimulation de l’économie s’y trouve.

Le tableau est clair : les gouvernements qui réagissent à la crise créée par l’idéologie du libre marché en répétant les mêmes recettes discréditées ne survivront pas pour raconter leur histoire. Les étudiants manifestants en Italie le scandaient : »Nous ne paierons pas pour votre crise ! »

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