La Commission canadienne de sûreté nucléaire (CCSN) exige pour un réacteur nucléaire donné que la probabilité de subir un accident nucléaire avec fusion du cœur soit 0,01% par année ou moins. Pour les 10 réacteurs nucléaires dans la région de Toronto un calcul simple est que cette probabilité sur une période de cinq ans est 10 fois 5 fois 0,01%, soit 0,5%. La probabilité qu’un seul lancer de trois dés, un jeu de casino, donne trois six, est 0,46%.
La firme Ontario Power Generation (OPG) veut prolonger la durée d’exploitation de quatre réacteurs à la centrale nucléaire de Pickering. Deux autres réacteurs à Pickering, plus les quatre de Darlington, font un total de 10 réacteurs près de Toronto. Alors que les réacteurs CANDU ont été conçus pour une durée de vie de 210 000 heures, soit environ 30 ans, OPG propose d’opérer quatre réacteurs de Pickering jusqu’à 247 000 heures, soit cinq ans au-delà de la valeur de conception originale.
Le 29 Janvier 2013, le président d’Hydro-Québec, M. Thierry Vandal, a témoigné en « Commission parlementaire » au Parlement du Québec sur la fermeture en décembre 2012 du réacteur nucléaire CANDU de Gentilly-2 à Bécancour, près de Trois-Rivières, après 198 000 heures équivalentes à pleine puissance. Thierry Vandal, qui détient un diplôme d’ingénieur, a affirmé que lui et son personnel n’auraient jamais permis que le réacteur Gentilly-2 fonctionne au-delà de 210 000 heures. Vandal a dit :
Vandal : « Je n’opérerais pas plus Gentilly-2 au-delà de 210 000 heures que je monterais dans un avion qui n’a pas ses permis puis qui ne respecte pas les normes. Alors, il ne serait pas question de placer qui que ce soit dans une situation, nos travailleurs, la population, l’entreprise, la société, dans une situation de risque dans le domaine nucléaire. Donc, cette échéance de 210 000 heures, c’est une échéance dure. »
La mention du transport aérien par Thierry Vandal pointe vers les statistiques tenues par le National Transportation Safety Board (NTSB) américain lesquelles donnent une probabilité d’environ une chance sur cinq millions qu’une personne à bord d’un vol d’un avion de ligne subira un écrasement et mourra. Une personne qui prend cinq vols par année est donc confrontée à une chance sur un million par an de mourir dans un accident d’avion. Par comparaison, la probabilité d’un accident nucléaire grave avec fusion du cœur dans la grande région de Toronto pourrait être aussi élevée que 0,1% par an, soit une chance sur mille par an, ce qui est mille fois plus élevée que la probabilité d’accident mortel pour une personne prenant cinq vols par année.
Au cours de l’audience publique de la CCSN à Pickering dans la dernière semaine de mai, le Dr Greg Rzentkowski, Directeur général à la CCSN, s’est opposé au simple calcul ci-dessus. Il a fait valoir que la « cible » de la CCSN pour la probabilité d’accident grave est 0,001% par an, que les améliorations de sécurité post-Fukushima vont réduire le risque nucléaire par un autre facteur de 10, et qu’encore un autre facteur de 10 proviendra des mesures d’atténuation des conséquences d’accident imposées par la CCSN à la suite des leçons tirées de Fukushima. Selon le Dr Rzentkowski, la probabilité calculée d’un accident nucléaire grave est ainsi réduite par un facteur de 1000, ce qui la mettrait au niveau de l’acceptabilité sociale.
Une lettre de 11 000 mots destinée au Ministre Joe Oliver donne la réplique au Dr Greg Rzentkowski appuyée sur des données fédérales, la lettre argumente en faveur du principe de précaution pour les questions nucléaires, en particulier suivant les suggestions publiées dans un article d’octobre 2009 par l’ingénieur nucléaire et ancien employé de la CCSN, John Waddington. Plusieurs analystes d’accidents majeurs dans les domaines de haute technologie, tel que la professeure Diane Vaughan, de l’Université de Columbia, ont constaté que la plus grande partie de la cause des accidents majeurs réside dans l’erreur humaine à tous les niveaux, y inclus le gouvernement. La Professeure Vaughan a étudié en détail l’explosion de la navette spatiale Challenger le 28 Janvier 1986. Elle a inventé l’expression « déviance normalisée » pour décrire le niveau permissif de l’acceptabilité du risque lorsque des institutions comme la NASA découvrent des problèmes techniques qu’ils ne peuvent pas résoudre à court terme. La NASA a donné l’ordre de lancer le Challenger malgré des défauts qui étaient connus et qui se sont avérés fatals lors de son 25ième vol le 28 Janvier 1986.
Dans le réacteur nucléaire canadien, un des graves problèmes est la dégradation des matériaux qui s’accumule dans les six kilomètres de tubes à haute pression. Cette dégradation est due à plusieurs mécanismes de corrosion qui ont été bien documentés par les ingénieurs et les scientifiques de la CCSN. Les défauts sont connus. Est-ce que la proposition d’OPG de prolonger l’opération de quatre réacteurs de Pickering au-delà du nombre d’heures prévu lors de la conception originale est comme jouer aux dés ?
Pour la centrale nucléaire de Point Lepreau sur la berge de la baie de Fundy au Nouveau-Brunswick, un des facteurs de 10 disparaît du simple calcul, mais cela est plus que compensé par une nouvelle valeur obtenue en 2013 pour le risque sismique. Une nouvelle étude spécifique au site, parrainée en 2012 par la CCSN et Énergie Nouveau-Brunswick Nucléaire (ENBN), a constaté que le risque sismique est beaucoup plus grand que cru auparavant et au-delà des normes de la CCSN. La fermeture de la centrale nucléaire de Point Lepreau serait en conformité avec la Loi sur la sûreté et la réglementation nucléaires de1997, et serait conforme aux engagements internationaux du Canada.
N.B. La lettre adressée au ministre Joe Oliver est disponible sur demande.