22 avril | tiré du site du CADTM par Claude Calame
– la limitation de la vitesse sur les autoroutes à 110 km/h (que pouvait-on attendre d’autre de la part du Ministre de l’économie sous Hollande qui s’est empressé de mettre le bus en concurrence avec le train ?)
– une taxe de 4 % sur les dividendes (ce refus s’inscrit dans la lignée de la suppression de l’ISF par le président fraîchement élu, en accord avec le Medef)
– l’inscription de l’écologie dans le préambule de la Constitution (une préoccupation à l’évidence contraire aux principes d’un néolibéralisme présidentiel qui ne rêve que de marchandiser la « nature » elle-même, dans la perspective des profits à en tirer)
1. Crise sanitaire, crise environnementale et droits sociaux
Sans doute n’est-ce pas un hasard : les trois mesures rejetées par le président sont les seules qui pourraient amener à remettre en cause le système économique et financier, avec l’idéologie néolibérale qui le sous-tend, à l’origine de la « crise » climatique. De ce point de vue, les propositions réformistes de la Convention semblent plutôt dérisoires face aux enjeux à la fois sociaux et environnementaux à nouveau révélés par les conséquences économiques et sociales de confinement contraint, qui a immédiatement précédé leur publication. Car, au-delà de la crise écologique, les effets de la crise sanitaire provoquée par une épidémie devenue pandémie se sont fait sentir avant tout dans les pays les plus intégrés au processus de la mondialisation économico-financière engagé dès la fin des années 1980. La crise a frappé en particulier les grands pays les plus marqués par les inégalités sociales tout en étant les acteurs les plus intégrés d’une globalisation répondant aux impératifs du capitalisme néolibéral : États-Unis, Brésil, Pérou, Russie, Inde, Émirats arabes unis, et, en Europe, les pays du sud de l’UE et le Royaume-Uni davantage que ceux du Nord.
Quelles réponses imaginer ? L’écosocialisme peut nous aider à les formuler.
À vrai dire, avec le blocage partiel d’une économie fondée sur la croissance par le productivisme et sur le profit financier par l’exploitation du travail et des ressources « naturelles », la crise sanitaire n’a fait qu’accélérer et approfondir la crise en cours d’un système économique et social soumis aux seules « lois » du marché. Cette crise récurrente est inhérente au capitalisme désormais globalisé et à l’idéologie néolibérale qui le soutient.
Du point de vue économique, les rapports de domination établis par le capitalisme autant sur les communautés humaines que sur leur environnement s’appuient sur le pouvoir des grandes entreprises multinationales qui, par l’intermédiaire de traités de « libre-échange », bénéficient de tribunaux arbitraux privés ; elles disposent par conséquent d’une « justice » parallèle qui leur permet de s’opposer aux États et leurs législations sociales et environnementales, garanties par des pouvoirs politiques plus ou moins démocratiquement élus. Du point de vue financier, et par conséquent des investissements dans l’économie, le capitalisme s’appuie à l’évidence sur le pouvoir des banques privées, y compris la Banque mondiale ; par agences de notation interposées, les banques parviennent à imposer aux pays endettés et aux pouvoirs politiques des plans d’ajustement structurel et des plans d’austérité impliquant la privatisation des services publics et la suppression des services de base offerts à la population par un État plus ou moins social. Cela sur le fondement idéologique diffus d’une liberté individuelle qui se développe au détriment de celle des plus faibles et d’un épanouissement du « self » en concurrence compétitive avec ou plutôt contre les autres, sur fond de performance et de satisfaction personnelle.
À cet égard, l’épidémie devenue pandémie globalisée a révélé la fragilité, mais aussi le rôle essentiel joué par un certain nombre de services de base :
- le système sanitaire, avec le rôle joué non seulement par les médecins, mais l’ensemble des équipes de soignantes et soignants confrontés à des infrastructures souvent insuffisantes (dans les pays d’Europe le nombre de lits disponibles en soins d’urgence a été en moyenne réduit de moitié depuis les années 1990) ;
- le système de la production, de la distribution et de la vente des aliments, avec les risques encourus autant par les ouvrières et ouvriers agricoles que par les vendeuses et vendeurs dans les grands magasins ;
- le système de l’éducation avec les difficultés pédagogiques et techniques d’un téléenseignement auxquelles ont été confrontés non seulement les enseignantes et enseignants, mais aussi les parents, particulièrement les mères, sinon les élèves eux-mêmes, surtout dans les milieux les plus défavorisés ;
- le système du logement avec la difficulté à introduire la distance sociale non seulement dans les appartements exigus des grands ensembles des banlieues, mais aussi dans les camps de réfugiées et réfugiés (en particulier en Grèce), dans les campements improvisés de migrantes et migrants, dans les bidonvilles, sinon pour les nombreux sans-abri.
Il s’avère que l’alimentation, les soins médicaux, la formation et le logement correspondent aux droits sociaux de tout individu tels qu’ils sont inscrits dans les articles 25 et 26 de la Déclaration universelle des droits de l’homme. Et l’article 23.1 de stipuler : « Toute personne a droit au travail, au libre choix de son travail, à des conditions équitables et satisfaisantes de travail et à la protection contre le chômage ». Rappelons que les premières victimes de la crise économique accentuée par la crise sanitaire du Covid-19 ont été les « sans-papiers » (en fait les personnes sans permis de résidence) : immigrés, migrants, réfugiés sont contraints d’accepter des emplois précaires sans pouvoir prétendre aux indemnités de chômage, un chômage invisible qui touche particulièrement les femmes. Dans la conjoncture géopolitique de l’immédiat après-guerre marqué une fois encore en Europe par les pires des génocides jamais connus par l’humanité, les droits sociaux ont été identifiés comme besoins de base de tout être humain pour une vie digne, à satisfaire dans un environnement qui en fournit les ressources matérielles.
2.Industrialisation, croissance, mondialisation
Or, dès le début de l’industrialisation, en Europe occidentale, la production technique des moyens propres à satisfaire ces besoins de base a été soumise aux règles de l’accumulation du capital. D’une part, a été introduite une nouvelle notion du travail ; il correspond désormais à la fabrication manufacturière de produits transformés en marchandises, source d’une plus-value que s’accaparent l’entreprise capitaliste et son patron pour la redistribuer en partie à ses propriétaires et actionnaires. D’autre part, le milieu qui assure la survie des êtres humains a été objectivé en une « nature » désormais considérée comme un ensemble de ressources, des ressources naturelles à exploiter pour un profit financier de même qu’est exploité le travail des salariés. Dans sa version néolibérale, la gestion capitaliste de l’entreprise est allée jusqu’à réduire les travailleurs salariés eux-mêmes à l’état de « ressources humaines ». La production de biens propres à satisfaire les besoins de base est ainsi soumise au marché : la valeur d’échange prévaut sur la valeur d’usage des produits manufacturés, grâce au travail de salariées et salariés.
Dès le milieu du siècle dernier, essentiellement sous l’impulsion des États-Unis, l’accaparement capitaliste de la force de travail et des ressources environnementales s’est accentué par deux mouvements conjoints.
Imaginer les gestes-barrières contre le retour à la production d’avant-crise
D’un côté, les progrès dans la satisfaction de besoins de base ont été appréciés, de manière exclusive, en termes de croissance économico-financière ; la valeur des grandes entreprises n’est désormais mesurée que dans les termes de leur cotation boursière et le développement d’un pays l’est en termes purement quantitatifs de « produit intérieur brut ». L’impératif de la croissance fondée sur productivisme et profit capitaliste s’est traduit par la création de besoins nouveaux, par l’incitation notamment par la publicité à la consommation et à la surconsommation et, du point de vue idéologique, par les impératifs de la concurrence (« libre et non faussée ») et de la compétitivité. Par ailleurs, combinée du côté des États avec l’obsession de l’augmentation du PIB, la focalisation sur la croissance du taux de profit a eu en particulier pour conséquence la transformation de l’agriculture traditionnelle en une agriculture intensive et l’augmentation exponentielle autant de l’exploitation des matières premières que des ressources en énergies non renouvelables (charbon, hydrocarbures, gaz naturel, nucléaire).
D’un autre côté, dès les accords de Bretton Woods (1944), les États-Unis et leur allié britannique ont mené une politique de domination économico-financière du monde, selon les principes de ce qui est devenu, notamment sous l’impulsion politique de Donald Reagan aux USA et de Margareth Thatcher au Royaume-Uni, le néolibéralisme. Ils se sont appuyés sur les institutions bancaires internationales qu’ils ont contribué à créer et qu’ils ont longtemps contrôlées, soit le Fonds monétaire international, une première version de ce qui est devenu la Banque mondiale, puis, sur le flanc économique, l’Organisation mondiale du commerce. En plus d’assurer la convertibilité en or du seul dollar, la politique conduite par ces institutions selon les principes du libéralisme économique et financier le plus strict ont pour triple effet de transférer l’essentiel de la production de biens de consommation et d’outils technologiques dans les pays fournissant une main-d’œuvre au salaire dérisoire et aux conditions de travail correspondant pratiquement à une nouvelle forme d’esclavage ; d’ouvrir les pays les plus pauvres aux investissements de la part des pays riches pour supprimer l’agriculture vivrière, lui substituer des monocultures intensives d’exportation, réorienter et asservir la production locale, monopoliser l’exploitation des ressources « naturelles » et s’en approprier les bénéfices ; de contrôler, de développer et de soumettre au marché international l’extraction et la production des matières premières, à commencer par les denrées alimentaires.
Ainsi, les pays du Nord, où triomphait un capitalisme fondé sur un marché de plus en plus dérégulé et sur un domaine financier livré à la spéculation, ont établi avec les pays les plus pauvres et les plus endettés des rapports de domination néocoloniale. À cet égard, ont joué un rôle déterminant non seulement les guerres « de basse intensité » ou les conflits armés ouverts conduits par les États-Unis, en général avec la complicité de leurs alliés européens, du Chili et de la Colombie à l’Irak et l’Afghanistan, mais aussi, par exemple, des plans d’ajustement structurel contraignant les pays du « Sud » à la privatisation, sinon à l’élimination des rares services publics existants ; et cela en particulier dans les domaines assurant les besoins de base inscrits comme droits sociaux dans la DUDH, sinon par des traités de libre-échange qui assurent la domination des grandes entreprises multinationales sur les pouvoirs politiques locaux, tout en encourageant la sous-enchère salariale et dans les conditions de travail, et en favorisant l’évasion fiscale vers les pays les plus riches et les paradis fiscaux telle la Suisse.
Et, avec le creusement des inégalités et la dégradation des conditions de vie provoquant déplacements de population et mouvements migratoires contraints, avec la destruction sociale et culturelle des communautés humaines fondées sur des traditions différentes, s’est combinée la destruction d’un environnement soumis à un extractivisme forcené et aux différentes pollutions entraînées par la surexploitation des sols et par la surconsommation d’énergies à base d’hydrocarbures ou de nucléaire. Le changement climatique, avec les nouvelles migrations forcées qu’il est en train de provoquer, n’est que l’une des manifestations, certes dramatique, des atteintes portées à la biosphère par un mode de vie imposé par les organisations patronales des pays riches et par leurs relais politiques, dans l’obsession de la croissance économico-financière, c’est-à-dire du profit.
Tout cela dit à l’évidence de manière aussi rapide que schématique. Mais, désormais, que faire ?
3. Rupture avec le capitalisme néolibéral et définition écosocialiste du travail
Du point de vue négatif de l’anti-(capitalisme) tout d’abord, l’engagement écosocialiste pour une équité sociale et écologique, que l’on va tenter de définir, implique une série de ruptures :
- rupture avec le principe de la concurrence « libre et non faussée » et celui de la compétitivité entraînant la prévalence de la valeur d’échange sur la valeur d’usage ;
- rupture avec les exigences de la croissance mesurée en particulier en termes quantitatifs de PIB ;rupture avec un productivisme centré sur le profit financier et impliquant extractivisme, débauche énergétique, pollutions variées de l’environnement et de la biosphère, conditions de travail esclavagistes et addiction consommatoire ;
- rupture avec le libre-échange et les traités qu’il a imposés, et par conséquent rupture avec une mondialisation soumise aux règles du marché et du profit capitaliste ainsi qu’à la domination des multinationales ;
- rupture avec les rapports de domination économique et politique néocoloniale des pays riches sur les plus pauvres, des pays détenant le capital sur les pays les plus défavorisés et économiquement les plus faibles ;
- rupture avec l’idéologie du néolibéralisme fondée sur le développement individuel et sur la marchandisation généralisée des relations humaines, entraînant notamment des nouvelles formes d’exclusion et de racisme.
En contraste positif, les besoins de base de tout être humain, l’alimentation, le logement, la santé, la formation, la culture et désormais les transports et communications, doivent être assurés en tant que services publics, démocratiquement contrôlés.
Dans la mesure où ces besoins sont satisfaits par les activités techniques et les pratiques intellectuelles des femmes et des hommes en interaction forte avec leur milieu, l’engagement écosocialiste implique tout d’abord une redéfinition complète du travail. Le travail à la fois comme force de travail et comme pratique fondées sur des capacités physiques et des capacités mentales ; et cela au service des hommes en relation avec un environnement qu’ils rendent signifiant pour mieux interagir avec lui. Rappelons le rôle central joué par la main qui permet à l’être humain de développer une intelligence appuyée sur des arts techniques.
C’est dire que, dans cette définition large, le travail inclut non seulement les pratiques productives et les métiers manuels, mais aussi les pratiques visant à satisfaire les besoins sociaux de base de l’être humain : production certes, mais surtout reproduction humaine, sociale et écologique. Le travail inclut donc, avec les tâches éducatives, les soins médicaux, les soins à la personne, les différentes formes de la communication (par rencontres physiques et par échanges numériques) et, j’y reviendrai en conclusion, les créations et pratiques culturelles. Dans le sens du « travail vivant », le travail doit être source d’émancipation individuelle et sociale.
Qu’il s’agisse de la production, de la manufacture, des transports, de la médecine et des moyens de communication, les techniques, en particulier celles de l’information et de la communication, jouent un rôle de plus en plus déterminant dans leur développement. Il est indispensable d’en soustraire la conception à l’obsession californienne de l’innovation dans un impératif qui n’a pour but que le profit, par l’intermédiaire de la multiplication des « start up » ; sans soumettre au déni les évidents bénéfices de l’industrialisation, puis du développement récent des TIC, les techniques devront être désormais développées selon les critères de l’utilité sociale et de la compatibilité environnementale. Cela signifie aussi que, d’une part, la recherche scientifique en ses différents domaines, et, d’autre part, les différentes pratiques de la transmission des savoirs d’autre part doivent être intégrées dans la notion large de travail et de travail salarié.
Autant cette définition englobante du travail que l’exigence du plein emploi requièrent une répartition du travail, assortie d’une revalorisation du travail manuel et d’une pondération suivant les emplois. Et qui dit travail dit salaire, selon une échelle tendant vers l’égalité dans un plein emploi qui exclut toute idée de revenu de base ou de revenu universel. On remarquera que celui-ci n’est en fait envisagé que dans un système économico-politique fondé sur le capitalisme ; en effet il ne peut être accordé à toutes et tous que sur les revenus de l’impôt prélevé par les États nations sur les revenus des individus et des personnes morales, dans un système fiscal à fonction légèrement compensatoire certes, mais par ailleurs constamment dénigré par les tenants du néolibéralisme.
4. Planification écosocialiste et justice sociale et environnementale
Or, qui dit redéfinition du travail dans un sens global et plein emploi, dit économie planifiée. La notion est historiquement associée à l’économie planifiée de manière centralisée et dirigiste de l’ex-Union soviétique avec des objectifs productivistes. Or, par exemple, l’économie sociale et solidaire a montré une autre voie à la planification et au développement économique selon des critères différents que ceux imposés par le communisme soviétique, puis par le management néolibéral occidental (qui de fait la conçoit en termes de « gouvernance » et d’« objectifs opérationnels »). La planification d’une économie visant la satisfaction des besoins de base de l’être humain, selon des critères aussi bien sociaux qu’écologiques et avec l’objectif d’une répartition équitable des biens et des services au Nord comme au Sud implique une reconversion entière de l’appareil industriel existant.
Cette reconversion dans le sens de la justice sociale et environnementale sera soutenue d’une part par l’expropriation et la socialisation de l’appareil productif existant, aussi bien du point de vue de l’extraction que de celui de la production ; d’autre part, par une mondialisation en quelque sorte régionalisée dans un grand mouvement non seulement de relocalisation de la production alimentaire, industrielle et technologique, mais aussi de répartition égale de la production sur les cinq continents. Quant à sa planification démocratique avec l’organisation du travail qu’elle implique, il a été proposé tout récemment, à titre de simple hypothèse, qu’elle soit confiée dans un ordre hiérarchique à des « conseils d’entreprises » pour l’organisation du travail au niveau de l’unité de production ou de service ; à des « conseils économiques » au niveau de la filière industrielle ou de service pour fixer les objectifs de la production ou du service dans un secteur donné ; à des « conseils sociaux » (au niveau municipal, régional et national) pour fixer les besoins prioritaires et la manière de les satisfaire, tout en déterminant les prix des produits et des services correspondants.
En définitive, ces propositions remettent en question les États nations tels qu’ils se sont constitués durant les XIXe et XXe siècles avec les frontières plus ou moins perméables qui en délimitent le territoire et l’étendue quant à l’exercice du pouvoir politique. De ce point de vue, les institutions politiques de chaque pays dont les limites territoriales et politiques sont à redéfinir seraient sans doute partagées entre celles d’une démocratie parlementaire et celles d’une démocratie participative. On les verrait volontiers organisées en confédérations d’entités régionales et municipales. Elles auront à déterminer le cadre législatif propre à chacun de ces trois niveaux d’organisation politique : confédération, région, commune.
L’autonomie de ces confédérations d’entités régionales et municipales sera néanmoins soumise aux grandes institutions internationales, chargées de rediscuter en permanence et de faire respecter notamment les critères généraux et déterminants de l’utilité sociale et de la protection environnementale. Elles devront élaborer, dans ce sens écosocialiste globalisé, des conventions interfédérales au pouvoir contraignant. On pense à une réforme en profondeur surtout de l’OIT et de l’OMS, mais aussi, du point de vue politique, de l’ONU, et sans compter l’OMC.
Tout cela entraîne naturellement la suppression de la grande propriété privée, aussi bien du point de vue du sol que des entreprises et des infrastructures, et sa limitation notamment à l’agriculture de proximité, aux biens personnels et à l’épargne individuelle, voire à des entreprises de production et de services aux dimensions restreintes. S’y substitueront différentes formes de coopératives, en particulier pour le logement.
5. Revendications écosocialistes à moyen et à court terme
À moyen terme, ces propositions écosocialistes impliquent, à titre de revendications :
- un appareil industriel régional assurant une production selon des critères sociaux et écologiques dans les domaines du vêtement, du bâtiment, des moyens de transport, des médicaments, des techniques médicales, des technologies de l’information et de la communication, tout en évinçant l’industrie de l’armement ;
- l’appropriation sociale et politique des infrastructures industrielles correspondantes et par conséquent le démantèlement des monopoles exercés dans ces domaines par des entreprises telles que Nike, Inditex/Zara et Adidas ; LafargeHolcim et Vinci ; Boeing, Airbus, Volkswagen, Renault-Nissan-Mitsubishi, Toyota et Ford, mais aussi Alstom-Bombardier ; DowDupont, BASF, Bayer, Roche et Novartis ; et naturellement les GAFAM pour les TIC ;
- la socialisation pour les grandes entreprises de l’extraction et du trading des matières premières, à commencer par les hydrocarbures : expropriation de Sinopec, Royal Dutch Shell, BP, ExxonMobil, etc., puis Glencore, Trafigura ou Gunvor (toutes abritées par le paradis fiscal helvète), pour ne donner que quelques exemples ;
- mais aussi la « nationalisation » et la socialisation (avant la régionalisation) des grandes banques, assorties d’un contrôle politique et collectif sur la monnaie, pour les indispensables investissements dans une transition écologique et sociale planifiée et gérée de manière démocratique et décentralisée ;
- la soumission de l’économie, soustraite à la grande entreprise privée, à une planification décentralisée, organisée de manière démocratique et non bureaucratique, selon des critères sociaux et environnementaux ;
- la planification également pour l’aménagement du territoire et pour l’urbanisme, en rupture avec la propriété privée du sol et du bâti, et par conséquent en rupture avec la spéculation foncière et la spéculation immobilière ;
- une recherche scientifique soustraite au secteur privé et orientée vers la satisfaction des besoins sociaux et des exigences écologiques de base, par techniques et technologies interposées ;
- le remplacement des traités de libre-échange et des traités bilatéraux par des traités régionaux de collaboration solidaire et d’échange en termes de réciprocité.
Et, dans l’immédiat :
- des économies d’énergie drastiques, visant en particulier pour 2050 non pas la simple neutralité carbone, mais l’élimination des gaz à effet serre ;
- le passage du transport routier et du transport aérien des personnes et des marchandises, dans la mesure du possible, du bus ou du camion et de l’avion au chemin de fer ;
- la suppression du trafic individuel motorisé, sinon pour des raisons utilitaires, et une forte limitation du trafic aérien ; en concomitance, la promotion de la mobilité douce dans les villes, et la destruction et la naturalisation de celles des infrastructures routières et aéroportuaires devenues caduques ;
- avant la propriété commune du sol, une planification et un aménagement strict du territoire visant en particulier à éviter les longs déplacements domicile-lieu de travail ;
- pour la production de biens « de consommation », la promotion de marchés régionaux à partir d’unités de production relocalisées, dans la perspective de l’élimination de l’obsolescence programmée et dans la volonté de la durabilité ;
- quant à la distribution des biens, suppression des grands centres commerciaux situés hors agglomérations et forte limitation de la vente à distance ;
- du point de vue de la production et des services, non pas la « décroissance », mais un autre développement selon des critères de justice sociale et écologique, pour se substituer aux rapports néocoloniaux entres pays du Nord et pays du Sud ;
- une fiscalité fortement progressive et redistributive au niveau municipal, régional et étatique ;
- dans la définition englobante du travail proposée, élargie aux services devenus publics, une nouvelle répartition du travail impliquant le plein-emploi ;
- pour atteindre le plein-emploi, la redéfinition du travail, l’égalité salariale, la démocratie sociale et écologique dans l’entreprise et les services publics, dans une collaboration étroite avec les syndicats, en rupture avec le management entrepreneurial ;
- une forte réduction des écarts salariaux, dans un premier temps dans une fourchette de 1 à 5 (proposition d’Attac dans les années 2000) ;
- dans le domaine de la production de médicaments (relocalisée), une généralisation des licences obligatoires accompagnée de la suppression des brevets, y compris les brevets du vivant ;
- pour une alimentation fondée sur une agriculture de proximité, une forte limitation des importations (fruits et légumes de contre-saison, produits à base d’OGM, viande et volaille produites industriellement, etc.) pour tendre à la souveraineté alimentaire et, du point de vue de la restauration, un boycott de la « malbouffe », responsable en particulier d’une augmentation inquiétante de l’obésité ;
- du point de vue financier, la possibilité pour les États de supprimer les dettes illégitimes, selon les objectifs du CADTM, avec la promotion des banques coopératives de crédit et des banques alternatives ;
- l’indispensable confrontation avec la question du contrôle des naissances, qui doit s’opérer non pas par la contrainte, mais par la formation, notamment au niveau scolaire, en particulier dans les pays du Sud ;
- dans cette mesure, le renforcement et l’extension des services publics dans les domaines de l’éducation et de la santé, mais aussi de la gestion de l’eau, des transports, des télécommunications, etc.
- sur le plan politique, partage entre démocratie électorale et parlementaire et démocratie participative, en étroite collaboration avec les associations citoyennes, avec la « société civile » ;
- du point de vue international, la suppression des frontières sécurisées (question des migrations contraintes…) pour le rétablissement de la libre circulation et d’installation des personnes, en contraste avec de fortes limitations à la liberté de circulation des marchandises.
du point de vue culturel enfin, rupture avec une culture états-unienne axée sur les profits à tirer de la médiatisation d’une tournure de vie complaisante, asservie au capitalisme (production hollywoodienne, musique rap récupérée, séries télévisées fondées sur le « people », téléréalité, jeux vidéo violents, publicité tapageuse et trompeuse, industrie porno-machiste, culture du management entrepreneurial pour la gestion des services, culture du shopping mall pour la consommation, SUV et Harley Davidson pour le transport individuel et les loisirs, etc.).
6. Conclusions anthropo- et écopoiétiques
C’est dire que la transition écosocialiste exige une redéfinition complète des relations des communautés humaines avec leurs milieux, des rapports forcément réciproques et interactifs des êtres humains avec la biosphère indispensable à leur survie. Au-delà des quatre « ontologies » identifiées par l’anthropologue Philippe Descola dans les rapports envisagées par les cultures humaines entre « intériorité » et « physicalité » (animisme, naturalisme, totémisme et analogisme), au-delà d’une coupure entre culture et nature animée par l’anthropocentrisme destructeur sous-tendant le néolibéralisme, au-delà d’une nature que l’on humaniserait en une Terre pourvue de droits et devenant ainsi personne quand on n’en fait pas une divinité sous le nom de Gaia, le nouveau paradigme idéologique exigé par l’écosocialisme pourrait être, du point de vue anthropologique, celui d’une « anthropopoiésis » écopoiétique. Ces termes d’inspiration hellénistes sont là pour désigner le nécessaire processus de fabrication sociale et culturelle de tout être humain dans son identité relationnelle, en interaction autant avec des proches qu’avec un environnement qu’il fabrique et qui le fabrique.
En effet, le désordre climatique présent et désormais accentué par la crise sanitaire, la crise économique d’un monde soumis à la globalisation capitaliste et technocratique le montrent une fois encore : en relation avec les représentations que l’homme se fait aussi bien de son environnement que de ses proches, en relation avec les discours qu’il tient et qu’il propage à leur propos, les arts techniques qu’il invente ont, dans leurs usages, un impact déterminant autant sur les communautés humaines que sur leurs milieux ; et cela par le fait même que les pratiques d’ordre technique relèvent d’une création d’ordre sémiotique : les arts techniques donnent sens à l’environnement pour le transformer au profit de l’homme en société. Loin de toute objectivation en « nature » pour l’exploitation et les profits que l’on a évoqués, notre milieu, et finalement la biosphère, correspondent à un monde qui est indispensable à la survie de l’homme, vivant par nécessité en société et que sa perception sensorielle et intellectuelle rend d’emblée signifiant. Impossible de sortir de l’anthropocentrisme.
De même que nos relations avec les autres, notre environnement est ainsi constamment configuré, refiguré, modelé par nos savoirs, nos discours et nos pratiques dans une interaction qui nous confronte désormais, par notre soumission à l’idéologie néolibérale, aux problèmes écologiques et sanitaires évoqués. L’impératif tournant écologique, avec la rupture écosocialiste qu’il requiert face à un capitalisme destructeur des communautés des hommes et de leurs milieux, exige donc une anthropopoiétique doublée d’une écopoiétique d’ordre sémiotique. C’est un double processus à entendre comme fabrication interactive et solidaire de l’être humain avec sa communauté sociale et avec son environnement, autant par la communication et les relations sociales que par les pratiques techniciennes, les unes et les autres signifiantes. Anthropopoiésis et écopoiésis donc dans le sens d’une émancipation intersectionnelle des individus et de leurs relations avec les proches assurant en réciprocité son identité sociale et culturelle, mais aussi dans la maîtrise sociale et écologique de l’interaction nécessaire et constante entre l’être humain et le milieu qui assure sa survie biologique, notamment par le biais des techniques de l’information et de la communication.
Autant la pratique de l’histoire critique que celle de l’anthropologie culturelle et sociale peuvent ouvrir le champ des possibles.
7.8.20
Bibliographie
La réflexion sur les tenants et aboutissants d’un écosocialisme pratique a été nourrie de la lecture de plusieurs livres et textes, en particulier :
Christophe Aguiton, Geneviève Azam, Elizabeth Peredo, Pablo Solón, Le monde qui émerge. Les alternatives qui peuvent tout changer, Paris, Les Liens qui Libèrent – Attac, 2017(avec une focalisation sur les droits de la « Terre-Mère » et sur le « buen vivir » qui manque en particulier la remise en cause des rapports néocoloniaux entre Nord et Sud par mondialisation économico-financière interposée, cela en dépit d’un bon chapitre sur la « déglobalisation »).
Jérôme Baschet, Adieux au capitalisme. Autonomie, société du bien vivre et multiplicité des mondes, Paris, La Découverte, 2014 (propositions politiques pour une société postcapitaliste tendant à un « pluriuniversalisme culturel »).
Christophe Bonneuil et Jean-Baptiste Fressoz, L’événement Anthropocène. La Terre, l’histoire et nous, Paris, Seuil, 2016 (2e. éd., avec un excellent chapitre additionnel sur le mal nommé « capitalocène »).
Philippe Corcuff (ed.), Marx XXIe siècle. Textes commentés, Paris, Textuel, 2012
Jean-Marie Harribey, Le trou noir du capitalisme. Pour ne pas y être aspiré, réhabiliter le travail, instituer les communs et socialiser la monnaie, Bordeaux, Le Bord de l’eau, 2020 (rupture avec la domination de l’économie marchande sur la société et le système-Terre en particulier par la revalorisation du travail et la restitution des biens communs tout en socialisant la monnaie : une contribution essentielle pour la formulation de propositions écosocialistes).
Hervé Kempf, Pour sauver la planète. Sortez du capitalisme, Paris, Seuil, 2009 (reste attaché à l’économie de marché, mais régulée selon l’impact environnemental et le souci de la justice sociale)
Michael Löwy, Qu’est-ce que l’écosocialisme ?, Paris, Le Temps des Cerises, 2020 (2e éd. revue de Écosocialisme. L’alternative radicale à la catastrophe écologique capitaliste, Paris, Mille et une nuits, 2011, dans une perspective marxiste critique et avec la publication du texte déterminant de la « Déclaration écosocialiste de Belém » de janvier 2009).
Bruno Latour, Où atterrir ? Comment s’orienter en politique, Paris La Découverte, 2017 (qui à partir d’un bavard essai précédent, parvient à restituer la figure de Gaia déguisée en Terrestre et désormais à nous proposer d’être des « interrupteurs de globalisation » sans remettre en cause le système capitaliste qui la fonde ; voir aussi : Imaginer les gestes-barrières contre le retour à la production d’avant-crise…)
Andreas Malm, L’anthropocène contre l’histoire. Le réchauffement climatique à l’ère du capital, Paris, La Fabrique, 2017 (critique du « récit de l’Anthropocène » à partir du rôle joué par l’impérialisme britannique et par le « capital fossile »).
Daniel Tanuro, Trop tard pour être pessimistes ! Ecosocialisme ou effondrement, Paris, Textuel, 2020 (pertinent quant aux analyses scientifiques de la dégradation écologique et quant à la dénonciation du capitalisme vert ou du Green New Deal, mais pour le moins flou dans des propositions écosocialistes qui n’offrent pas d’alternative au productivisme capitaliste et qui ignorent la question du néocolonialisme affrontée dans la perspective alter-mondialiste).
coordonné par Nicolas Haeringer, Maxime Combes, Jeanne Planche, Christophe Bonneuil, Crime climatique : stop ! Paris, Seuil, 2015 (différentes contributions sur le chaos climatique comme écocide et crime contre l’humanité).
Par ailleurs, en relation avec la crise sanitaire encore en cours, on fera référence à :
Fabien Escalona et Romaric Godin, « Les quatre scénarios pour l’hégémonie politique du “monde d’après“ », Mediapart 23.5.20.
Monique Chemilier-Gendreau, « Vers des jours heureux… » : (sur le renouvellement des institutions et de la justice internationales).
Les Possibles 23, printemps 2020 : le texte d’Attac-France, « Coronavirus : une révolution écologique et sociale pour construire le monde d’après », et un dossier sur la « planification sociale et écologique » (voir en particulier les textes de Pierre Khalfa, Michael Löwy, Dominique Plihon).
Les Possibles 24, été 2020, avec notamment le texte d’Alexis Cukier, « Démocratiser le travail dans un processus de révolution écologique et sociale ».
Attac, Plan de sortie de crise : Plus jamais ça ! Un monde à reconstruire.
« Déclaration finale de la conférence écosocialiste pour la justice climatique » (26-28.6.20).
Sans oublier, quant aux effets sur les migrations contraintes de la mondialisation économico-financière dans le creusement des inégalités et les dérèglements environnementaux, les différents textes réunis par :
Claude Calame et Alain Fabart (coord.), Migrations forcées, discriminations et exclusions. Les enjeux de politiques néocoloniales, Vulaines sur Seine, Éditions du Croquant, 2020, et sur les rapports de l’homme avec son environnement, mon propre essai :Claude Calame, Avenir de la planète et urgence climatique. Au-delà de l’opposition nature/culture, Fécamp, Lignes, 2015. [1]
Source : Attac France
Notes
[1] Du point de vue historique et par référence à des contacts personnels, certes limités, avec le socialisme concret, la référence peut être faite d’une part à la République démocratique allemande de la fin des années soixante, d’autre part à la Chine populaire de l’après-révolution culturelle. Du côté de la DDR et de la production industrielle, indépendamment de la Stasi instituée et imposée par le « grand frère » soviétique, le « Volkseigener Betrieb » (VEB), la « Planwirtschaft » (à l’évidence trop centralisée), le plein emploi, et, pourquoi pas ?, le « Kartoffeleinsatz ».
Du côté de la Chine, après les errements destructeurs du « Grand Bond en avant », la socialisation de la paysannerie et de l’agriculture dans les communes populaires sur l’ensemble du territoire, une alimentation en suffisance, une revenu de base assuré par le travail, la scolarisation de tous les enfants même dans les communes les plus reculées, les déplacements urbains à vélo, et, quant au logement, l’absence de bidonvilles et un système sanitaire capillaire (avec des « médecins aux pieds nus » qui manquaient néanmoins de formation et de moyens).
Enfin, dans l’ordre d’autres modèles de vie en communauté sociale en relation avec un environnement spécifique, on pourrait ajouter la Papouasie Nouvelle-Guinée, le long du Sépik, dans des communautés relativement peu touchées par le colonialisme australien, pour la manière de donner un sens, par mythes et rituels, au milieu assurant sa survie et d’activer ce sens culturel pour les relations sociales au sein de la communauté, d’ailleurs souvent dans le conflit avec les voisins…
Autant la pratique de l’histoire critique que celle de l’anthropologie culturelle et sociale peuvent ouvrir le champ des possibles.
Auteur.e
Claude Calame est Directeur d’études, École des Hautes Études en Sciences Sociales, Paris. Il est membre du Collectif de soutien de l’EHESS aux sans papiers et aux migrant-es (Section EHESS de la LDH), membre de la Commission « migrations » d’ATTAC-France et membre du CADTM.
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