Tiré de Entre les lignes et les mots
Publié le 18 février 2022
Auteur d’une monumentale Histoire de l’or noir, Matthieu Auzanneau récidive dans un livre court et percutant co-écrit avec Hortense Chauvin au titre explicite : Pétrole, le déclin est proche. Ils remettent les pendules à l’heure sur l’importance du pétrole au sein de nos existences, la notion de pic pétrolier mais également sur les impacts socio-économiques qui nous attendent dans un futur (très) proche.
Un pic déjà franchi !
« Le pétrole est aujourd’hui derrière (et souvent dans) chaque objet, chaque aliment, chaque transaction économique ». C’est ainsi que Matthieu Auzanneau et Hortence Chauvin résument l’omniprésence du pétrole pour nos sociétés. Fabrication de biens, agriculture industrielle, procédés chimiques, transports, chauffage, emballages, extraction de minerais. Aucun aspect de nos vies n’échappe en réalité au pouvoir de cette énergie, nous donnant l’équivalent quotidien de plusieurs centaines « d’esclaves énergétiques ». Et, par voie de conséquences, aucun aspect de nos vies ne pourra rester identique sans cette quantité d’or noir qui nous alimente chaque jour. Car oui, le pétrole reste bel et bien une ressource non renouvelable à l’échelle humaine.
Mais contrairement à une idée répandue, nous n’arriverons jamais à épuiser la totalité du pétrole présent sous terre (trop profond, régions inhospitalières) et, même nous le pouvions, il est absurde d’imaginer le consommer jusqu’à la dernière goutte. En revanche, au fur et à mesure de l’exploitation des gisements, le pétrole au sein de ceux-ci va devenir de plus en plus compliqué à extraire, et donc de plus en plus coûteux. Comme toute ressource non renouvelable, l’exploitation du pétrole suit une courbe en cloche.
Après une augmentation de la production (en raison de l’augmentation des gisements nouvellement découverts), cette dernière finit par ralentir sa progression et atteindre un pic. Une fois ce dernier franchi, il ne sera plus possible d’exploiter plus de pétrole que ce qui ne l’a déjà été. De nombreux gisements sont dans cette situation (notamment en mer du nord) et la question aujourd’hui est de savoir quand le pic au niveau mondial sera atteint. De nombreux analystes estiment que le pic de pétrole conventionnel aurait déjà été atteint durant la première décennie de ce siècle (2008 selon l’Agence internationale pour l’énergie).
L’ouverture de gisements non conventionnels (pétrole de schiste et sables bitumineux principalement) peut évidemment éloigner le pic de quelques années. Mais, la planète étant finie, ces nouveaux gisements seront de moins en moins fréquents et, d’autres part, seront souvent plus difficiles à exploiter, et donc plus coûteux à la fois en argent mais également en termes énergétiques (il faudra toujours plus de pétrole pour exploiter une même quantité de pétrole). En d’autres termes, pour que ces gisements soient exploitables, il faudra indéniablement que le prix du baril soit suffisamment haut, sans quoi ça ne sera pas rentable. Il s’ensuit ce qui se passe depuis une quinzaine d’années : si les prix sont trop bas, il n’y a pas assez d’investissement et on court donc vers une insuffisance de l’offre. Cela fera remonter les prix (comme nous le voyons actuellement), ouvrir de nouveaux forages, remonter l’offre jusqu’à une nouvelle baisse des prix, etc. Une raréfaction du pétrole n’est donc pas spécialement une bonne nouvelle en termes d’écologie car des prix élevés vont encourager une exploitation de gisements jusque-là non rentables et il reste assez d’énergies fossiles exploitables pour précipiter un réchauffement de l’ordre de 4 à 6 degrés d’ici 2100, ce qui serait évidemment catastrophique.
À noter que tout ce qui précède vaut pour l’ensemble des ressources non renouvelables, en particulier les minerais. Plus l’exploitation d’un gisement se poursuit, plus la teneur en minerais est faible. Ainsi, extraire une même quantité va nécessiter davantage d’efforts, d’argent, d’eau et… d’énergie.
Des conséquences inattendues
Les conséquences de cette situation sont tellement astronomiques que nos sociétés peinent à les imaginer. Or, plusieurs évènements survenus ces dernières années fournissent un aperçu de ce qui nous attend si rien n’est fait pour diminuer notre dépendance à cette énergie. C’est un autre aspect fondamental de ce livre que de faire le lien entre des crises économiques d’une part, et la disponibilité et le prix du pétrole d’autre part.
La crise des Subprimes qui a balayé les États-Unis, ainsi qu’une partie de l’Europe, a de multiples causes profondes, à commencer par l’explosion des inégalités et la mainmise de la finance sur l’ensemble de la société. Mais la hausse des prix du brut a une responsabilité écrasante dans le déclenchement de la crise. Non seulement parce qu’elle a aggravé les difficultés des ménages surendettés, qui plus est vivant dans des zones périurbaines ultra dépendantes de la voiture. Mais aussi, et surtout, elle a fait augmenter le niveau d’inflation, poussant la Banque centrale américaine (la FED) à augmenter les taux d’intérêt, portant le coup fatal à des millions de citoyens ayant contracté les fameux prêts immobiliers à taux variables.
Alors que tous les ingrédients ayant permis la crise de 2008 sont de nouveaux réunis depuis plusieurs années (endettement généralisé, absence de régulation du secteur financier, déconnexion entre l’économie réelle et les principaux indices boursiers, etc.), il est fort probable que l’augmentation des cours du pétrole conduise à l’éclatement de bulles et/ou au déclenchement de krachs économiques majeurs dans un avenir très proche.
L’abondance de pétrole, facteur de stabilité
Autre aspect intéressant du livre : analyser différentes crises sociales et politiques aux quatre coins du monde sous l’angle de la production pétrolière. À commencer par les dizaines de pays ayant connus des émeutes de la faim à partir de 2008, suite à la hausse des prix des denrées agricoles, elles-mêmes corrélées à celui du pétrole. Bien entendu, la spéculation, tout comme les subventions de nombreux gouvernements à la production d’agrocarburants, a amplifié cette tendance lourde.
Plus spécifiquement, les auteurs pointent le rôle de la baisse de la production de pétrole dans le déclenchement des guerres civiles syrienne et yéménite ou encore la débâcle vénézuélienne. Dans ces trois pays, le déclenchement de la crise a suivi de quelques années le pic de production, rendant les gouvernements de moins en moins capables d’acheter la paix sociale via des politiques redistributives. Bien sûr, cet élément n’est pas le seul facteur de cette instabilité et il ne faut pas surestimer l’importance du pétrole dans des crises qui ont de multiples causes. Il n’empêche que, pour les nombreux États ayant basé leur économie sur les exportations d’hydrocarbures, l’avenir risque bien d’être semé d’embûches au regard de l’évolution de la production.
Se libérer de l’excrément du diable
Cette expression, fruit de l’imagination d’un des pères de l’OPEP, est révélatrice de l’ambiguïté de cette énergie, a fortiori quand elle vient à manquer. L’épuisement des réserves de pétrole ne devrait pas nous conduire tout de suite dans un monde à la Mad Max. Le pic pétrolier ne signifie pas la disparition de la totalité des stocks du jour au lendemain. Mais il est clair qu’une fois ce pic passé, les contraintes pesant sur l’approvisionnement de l’or noir ne pourront qu’augmenter. C’est déjà ce qu’il se passe depuis quelques années et la situation actuelle augure de futures contractions inévitables de nos économies et de nos portefeuilles. Il est grand temps d’intégrer cette variable dans l’ensemble de nos prévisions, à la fois individuelles et collectives.
Renaud Duterme
Matthieu Auzanneau, Hortense Chauvin : Pétrole, le déclin est proche, Paris, Seuil, 2021.
https://geographiesenmouvement.com/2022/02/04/petrole-bientot-la-fin/#more-2583
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