P. Marois va donc diriger le gouvernement provincial, ce qui constitue une première pour une femme au Québec, qui a d’ailleurs été saluée par l’ensemble du mouvement féministe comme une nouvelle étape de la lutte pour l’égalité, 72 ans après que les femmes québécoises aient obtenu le droit de vote. Mais en analysant les résultats du scrutin du 4 septembre, on s’aperçoit qu’il n’a donné aucun grand gagnant. Pas même le PQ qui reprend les clés du pouvoir provincial, 9 ans après en avoir été chassé à la suite de politiques sociales antipopulaires basées sur l’objectif, à la sauce néolibérale, du déficit zéro. Le PQ revient aux commandes bien que la question de la souveraineté, qui est au cœur de son programme, ne semble pas très populaire chez les électeurs, en ce moment. Le nouveau gouvernement sera minoritaire et devra composer avec une opposition de droite très puissante qui pourrait le faire tomber, si elle le désire, dès le printemps prochain à l’occasion de la discussion sur le budget.
Le mouvement étudiant peut certes s’estimer content que les hausses des frais de scolarités décrétées par l’ancien gouvernement soient annulées et que la fameuse loi spéciale qui restreint considérablement le droit de manifester soit abrogée. Deux organisations étudiantes, la FECQ et la FEUQ1 , ont d’ailleurs déclaré le conflit étudiant terminé après que P. Marois ait répété que ces deux mesures faisaient partie des toutes premières décisions qu’elle allait prendre. Cependant, on ne peut pas affirmer que l’aspiration à une rupture avec le néolibéralisme, clairement exprimée par le printemps érable, a trouvé un plein écho dans les urnes.
Ces élections n’ont donné aucun grand perdant non plus. Pas même le premier ministre sortant, Jean Charest, qui - s’il n’est pas parvenu lui-même à se faire réélire dans sa circonscription - a réussi néanmoins à envoyer 50 députés à l’assemblée, soit seulement quatre de moins que le PQ. Ce résultat est d’autant plus loin de constituer un désastre pour J.Charest qu’il l’a obtenu après 3 mandats successifs comme chef de l’exécutif, marquées pour le dernier par des allégations de corruption et de collision avec les milieux de la mafia. Le PLQ a non seulement réussi à garder la plupart de ses châteaux forts que sont les circonscriptions anglophones et celles à forte présence allophone (immigrants) mais a également maintenu une implantation dans toutes les régions francophones de la province, ce qui était la condition minimale à sa survie comme parti de pouvoir.
Alors que plusieurs médias l’avaient "aidée" à se construire , en donnant de la visibilité à son fondateur François Legault bien avant la création du parti, et l’avaient longtemps présentée comme une "alternative crédible" au PLQ, la nouvelle formation politique de droite, la Coalition pour l’Avenir du Québec (CAC), n’a pas réussi à faire élire plus que 19 députés. La CAC a mené la campagne autour du thème du changement et a essayé de percer aussi bien chez les francophones fatigués du clivage souverainiste/fédéraliste que chez les anglophones inquiets pour leur avenir devant la perspective de la victoire du PQ et du retour du débat sur l’organisation d’un nouveau référendum sur la souveraineté. Autre fait marquant, et non des moindres, de la campagne de la CAC - qui lui a surement valu l’hostilité de larges pans des classes moyennes -, les attaques contre les fonctionnaires et les projets de réduire leurs effectifs ainsi que ceux de l’entreprise publique Hydro-Québec. Ce parti peut toutefois se targuer d’avoir séduit, dès sa première participation 27 % d’électeurs et le nombre de sièges obtenus ne reflète pas les suffrages exprimés en sa faveur. Son handicap est de cibler la même clientèle électorale que le PLQ.
Enfin, Québec Solidaire (QS), sans doute le parti le plus proche des aspirations du printemps érable, affiche une joie mesurée après la réélection facile d’Amir Khadir et l’élection de l’autre co-porte-parole du parti, Françoise David militante féministe de longue date. QS espérait une représentation de 4 à 6 députés et a mené une belle campagne dans une bonne dizaine de circonscriptions. QS a consolidé ses appuis à Montréal. En plus de ses deux victoires, il s’est assuré plus de 20 % des suffrages, dans plusieurs autres circonscriptions de l’Est de Montréal. Manon Massé, autre figure du parti qui avait notamment fait partie de l’expédition flottille vers Gaza, est même arrivée deuxième dans une circonscription à fort ancrage péquiste. Au delà de ces résultats qui ont permis d’envoyer un deuxième député solidaire et d’espérer la conquête d’autres circonscriptions lors des prochaines élections, ce jeune parti de gauche a vu le nombre de ses adhérents plus que doubler depuis le début de l’année en passant de 6 000 à plus de 13 000, fin août. Outre la défense de ses propositions comme la gratuité scolaire, la nationalisation des ressources énergétiques et minières ou la moralisation de la vie politique, QS entend mener la bataille autour de la nécessité d’instaurer la proportionnelle qui lui aurait permis, avec les 6% de suffrages exprimés en sa faveur d’avoir au moins 7 députés.
Les dossiers prioritaires du nouveau gouvernement
Les Québécois ont visiblement opté pour de petits changements alors que le "printemps érable" voulait imposait une rupture radicale avec le système en place. La victoire du PQ a-t-elle sonné le glas de ce mouvement ? Difficile à dire et il faut sans doute la fin des 100 premiers jours du gouvernement Marois pour le savoir. La nouvelle première ministre a promis un sommet sur l’éducation dont elle respecterait les recommandations mais au cours de la campagne, elle a exclu la perspective de la gratuité scolaire, objectif visé par l’organisation la plus influente et la plus combative du mouvement étudiant la CLASSE2 .
D’autres dossiers attendent le nouveau gouvernement comme celui portant sur les orientations en matière d’exploitation des ressources naturelles. Le PQ a promis d’imposer, aux minières une "redevance minimale obligatoire sur la valeur brute de production" en plus d’une taxation sur le surprofit de 30 %. Pour son premier mandat, P. Marois a exprimé depuis longtemps sa volonté d’instaurer une "gouvernance souverainiste" soit de demander le rapatriement de pouvoirs partagés avec le gouvernement fédéral canadien comme l’agriculture, la culture et même plus récemment l’assurance emploi. P. Marois espère que cette stratégie et les conflits qu’elle ne manquerait pas de provoquer, avec Ottawa, contribueraient à émousser la souveraineté chez la population québécoise et créer ainsi les conditions gagnantes pour un nouveau référendum.
Parmi les engagements du PQ, figure aussi la généralisation de la loi 101 sur la langue française pour l’appliquer aux Cégeps3. P. Marois a par ailleurs soulevé la colère des minorités après sa déclaration, durant la campagne, sur la "nécessité de connaître le français pour pouvoir se porter candidat à des élections au Québec". Cette sortie, jugée maladroite y compris dans les rangs même du PQ, est en effet venue heurter les Anglophones, les immigrants allophones et les premières nations sans permettre au PQ d’engranger plus d’intentions de vote chez les francophones. Ce faisant, le PQ ne fait que se tirer dans les pattes. Alors que les Anglophones représentent environ 7% de la population du Québec et les nouveaux arrivants de 12 à 13% et que 50 000 immigrants arrivent chaque année dans la province, il sera difficile au PQ de réaliser la souveraineté s’il n’arrive pas à rallier une partie de ces communautés quand même au sein des francophones natifs du Québec, l’idée de l’indépendance ne séduit dans le meilleur des cas que 60% d’entre eux.
Un autre projet du PQ a suscité l’ire des minorités religieuses et les critiques des autres partis, c’est celui sur la charte de laïcité dont on s’attend à ce qu’elle soit sévère sur le port des signes religieux et notamment du foulard islamique dans la fonction publique, pour notamment répondre à l’inquiétude d’une partie de son électoral devant l’immigration "musulmane" dont on pointe du doigt les "difficultés d’intégration et d’adaptation aux valeurs du Québec". Pour mener cette bataille, le PQ a même recruté, comme candidate, la militante anti-islamiste d’origine algérienne Djemila Benhabib. Cette dernière connue jusque là pour être une partisane d’une laïcité totale de l’État, a étonné par son ralliement à la position du PQ en faveur du maintien du crucifix, à l’assemblée nationale, suspendu juste derrière le siège du président du parlement. Ce revirement de D. Benhabib démontre aux yeux de nombreux observateurs que finalement elle est davantage une militante anti-voile qu’une militante pour une laïcité ferme. Du coup, ses accusations de "lâcheté", qu’elle étalait dans les médias, envers Québec Solidaire et la fédération des femmes du Québec (FFQ) sur leur position jugée complaisante à l’égard du port du voile paraissent pour le moins exagérées. Djemila Benhabib sera finalement battue par la députée libérale sortante.
Sur la question de la laïcité comme sur d’autres dossiers, le gouvernement péquiste aura à composer avec les trois autres partis représentés au parlement. Sa marge de manœuvre est étroite et il est fort à parier que les Québécois seront invités à nouveau aux urnes dans moins de deux ans. D’ici là, les mouvements sociaux surveilleront une à une les mesures que le gouvernement aura à prendre et jugeront sur pièce. La nouveauté c’est qu’ils auront dans leur rétroviseur le printemps plein d’espérances que le Québec vient de vivre.
Notes :
1- Fédération étudiante et collégiale du Québec et Fédération étudiante universitaire du Québec
2- Coalition large de l’association pour une solidarité syndicale étudiante
3- Collèges d’enseignement général et professionnel : (secteur supérieur préuniversitaire).