Édition du 19 novembre 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Premières Nations

Petit atelier de sensibilisation pour toutes les Denise Bombardier du Québec

Après avoir lu un nouvel éditorial de Denise Bombardier sur le « problème autochtone » (1), nous avons voulu réagir, nous, Autochtones et Allochtones, qui ne supportons ni les fausses vérités, ni les raccourcis historiques, ni la condescendance qui, ensemble, enfoncent le clou du colonialisme. Cette lettre se veut un atelier de sensibilisation. Elle contient ce que chaque élève au Québec devrait apprendre sur les bancs d’école pour que désormais nous ne lisions plus ce genre de pamphlet.

Cette lettre s’adresse à ceux qui se sont dit, en lisant ce texte : « dans le fond, elle n’a pas tort », comme ça, vite fait, mais qui sont prêts à en savoir plus, qui sont prêts à faire le chemin de la réconciliation.

Des « réserves isolées », des « milliards dépensés », des « autorités corrompues », voire « mafieuses », des lieux « inhumains »...

Les réserves de Kahnawake, Mani-Utenam, Mashteuiatsh, Wendake, Ouje-Bougoumou, au Québec, ne sont pas isolées, ne sont pas inhumaines, ne sont pas des ghettos. Oui, elles contiennent leur lot d’inhumanités, mais cette inhumanité se trouve dans l’Histoire et dans le territoire dont on a privé les Autochtones depuis des siècles !

On ne peut pas analyser la vie dans les communautés et les questions de logements surpeuplés ou de consommation sans s’interroger sur les causes profondes de ces problématiques : la Loi sur les Indiens (loi qui a mis les Nations autochtones sous tutelle depuis plus de 140 ans), l’histoire des pensionnats, du génocide culturel, et ses conséquences intergénérationnelles.

Cette histoire, loin de maintenir les peuples autochtones dans leurs traditions, les en a au contraire privés, les dépossédant de leur culture. Voici quelques notions démystifiées.

Les réserves « ghettos »...

Quitter ou abolir les réserves sont des solutions simplistes, de fausses alternatives. Les Autochtones en milieu urbain vivent aussi leur lot d’injustices et de racisme.

Les récentes révélations de Val-d’Or n’en sont qu’un exemple. « Fermer les réserves » n’effacera pas les effets des pensionnats et ne fera simplement que déplacer le mal et exposer les Premières Nations à un peu plus de discrimination et d’isolement culturel.

C’est au contraire aggraver la situation, c’est créer un énième déracinement, un énième traumatisme. C’est nier le rapport intime des Autochtones avec la terre. C’est poursuivre l’œuvre de colonisation commencée il y a plus de cinq siècles et qui n’a jamais cessé depuis.

Oui, il y a de la violence dans les communautés autochtones ; c’est triste et inacceptable. Les femmes autochtones du Canada sont certes trois fois et demi plus à risque que la moyenne des femmes de mourir aux mains d’un membre de la famille, mais sept fois plus à risque de mourir aux mains d’un homme qui n’est pas membre de leur famille. Et plus de la moitié d’entre elles vit en ville, où elles subissent tout autant la violence.

Ce sont la pauvreté, la discrimination et l’impunité qui accompagnent la colonisation qui sont en cause, pas la « culture ». Car si vous visitez une communauté, vous découvrirez aussi une chaleur humaine, un mode de vie collectif où on transmet le savoir, un sens de la famille, une solidarité très forte entre femmes, toutes ces forces qui ont permis de ne pas sombrer malgré l’adversité de la colonisation.

Les « milliards de dollars »...

Cessons de compter les sommes versées aux « autres » et regardons ce que nous avons. « Tous ces milliards » dont « jouissent » les Autochtones ne représentent que les deux tiers des milliards que reçoivent les non-Autochtones pour l’éducation, la garde d’enfants en famille d’accueil, les foyers pour femmes violentées et autres services essentiels.

Notre civilisation a cette fâcheuse habitude de toujours vouloir savoir « combien ça coûte ». Mais savons-nous réellement tout ce que les Autochtones nous ont offert ? Des millions de km2 de territoires fertiles, riches en minerai, en gibier et en eau potable, sur lesquels le Canada a bâti sa « modernité » puis sa « prospérité économique », hypothéquant la nature de ces territoires autochtones reconnus.

Nous mangeons aujourd’hui la part que l’on nous a offert et celle de celui qui nous l’a donnée. Attawapiskat, qui est depuis de nombreuses années au cœur de véritables drames humains, est voisine d’une des mines de diamants les plus rentables du Canada. Alors que les Autochtones n’y ont pas d’emplois et très peu de revenus, on leur laisse gérer volontiers les impacts subséquents aux projets de « développement », comme la pollution de l’eau et des terres nécessaires à leur survie, à notre survie. Est-ce vraiment la civilisation que l’on souhaite voir prospérer ?

Les « traditions éculées »...

Penser que la chasse et la pêche sont des « mythes », c’est ignorer la réalité des communautés : chez les Cris du Québec, un tiers de la population continue de mener le mode de vie traditionnel et d’en faire profiter les autres. Dans toutes les communautés, on travaille précisément à réduire la dépendance au « junk food des Blancs ». Mieux encore : la chasse et la pêche, et le désir de maintenir ou de restaurer une souveraineté alimentaire, c’est sans doute ce qu’on peut faire de mieux en ces heures de réchauffement climatique. La relation non dominante des Autochtones avec la nature est un exemple à suivre.

La culture...

La culture autochtone est loin de se tenir « à l’écart de toute civilisation ». Elle est une civilisation millénaire à part entière : la littérature autochtone bouillonne, les poètes, les chanteurs, les chercheurs autochtones savent montrer la grandeur de leur culture, la richesse de leurs nations et le lien nécessaire au territoire et aux traditions. La singularité du système de pensée, l’organisation traditionnelle du pouvoir, la spiritualité autochtone sont aujourd’hui étudiées par des myriades de chercheurs pour leur richesse et leur valeur intrinsèque.

La gouvernance...

Des chefs corrompus ? Il y en a, certainement. On en trouve aussi dans la classe politique en général ; les événements de ces dernières semaines, sur la colline parlementaire à Québec, en témoignent. Toutefois, une nouvelle génération de jeunes politiciens et militants autochtones est en train d’éclore. Celle-ci souhaite mettre la main à la pâte et améliorer la gouvernance. Ces jeunes savent, comme nombre de chercheurs, que c’est en renouant avec les valeurs fondamentales des sociétés autochtones que les communautés commenceront à guérir. Ce n’est pas de la nostalgie ; c’est un effet connu et documenté. C’est une nécessité.

Comme plusieurs le soulignent, un certain nombre de communautés vont bien, même au Québec (nul besoin d’aller en Colombie-Britannique). Il a été démontré que les communautés qui s’en sortent le mieux sont celles qui ont été le moins exposées à la colonisation, qui ont pu garder leurs pratiques traditionnelles, leur culture et leur langue, qui bénéficient d’une certaine autonomie politique...

Cette culture est donc la porte de salut, et non l’inverse. Qu’on se le dise !

Cette lettre est cosignée par

Aurélie Arnaud, conférencière et consultante en communication ;

Alana Boileau, coordonnatrice justice et sécurité publique chez Femmes autochtones du Québec ;

Melissa Mollen Dupuis, co-initiatrice de Idle No More Québec ;

Widia Larivière, co-initiatrice de Idle No More Québec ;

Maïtée Labrecque-Saganash, jeune activiste crie pour les droits des Autochtones ;

Emmanuelle Walter, journaliste et auteure de Sœurs volées.

Note

1 - http://www.journaldemontreal.com/2016/04/18/jusqua-quand-des-reserves-au-canada

Widia Larivière

Cofondatrice de Idle No More Québec

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