Édition du 17 décembre 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Débat sur le pacifisme en Ukraine

Pacifisme, militarisme et solidarité avec l’Ukraine

La guerre en Ukraine est une abomination ! L’espoir qu’a libéré l’effondrement du mur de Berlin à l’Est comme à l’Ouest a été frappé de plein fouet par l’invasion de la Russie en Ukraine ! Ce n’est pas nouveau que des courants à gauche s’opposent sur l’attitude à adopter face à la guerre. Celle en Ukraine ne fait pas exception.

Ronald Cameron

L’histoire n’est pas un long fleuve tranquille et elle ne se répète jamais de la même façon, malgré les ressemblances. Il importe de prendre acte des réalités de cette guerre et de trouver le chemin d’une position qui tient compte de la complexité de la situation. Les sentiments qui animent notre engagement sont portés par une volonté de solidarité avec le peuple ukrainien, mais aussi par le refus de la politique militariste de notre propre impérialisme.

Plusieurs contestent l’intégrité des positions exprimées à gauche en Occident, à commencer par la gauche ukrainienne et russe. Nous disions l’an dernier qu’il « est essentiel d’entendre l’appel de la gauche “post-soviétique”, issue de la génération qui n’a pas connu la guerre froide et qui a grandi après l’effondrement des régimes soviétiques en Europe de l’Ouest »1. Ça demeure non seulement vrai, mais dramatiquement urgent.2

La responsabilité de l’OTAN dans la guerre en Ukraine

Une partie des courants de la gauche occidentale voit dans cette guerre strictement une résultante du maintien de l’OTAN après la chute du mur de Berlin. On comprendra vite que la gauche ukrainienne ne trouve pas que c’est une bonne analyse. Il est vrai que l’OTAN est en quelque sorte l’état-major de l’impérialisme occidental sous la gouverne des États-Unis et qu’elle utilise la situation au bénéfice des démocraties libérales. Néanmoins, l’idée que le conflit est la conséquence presque directe de « notre » impérialisme fait abstraction des faits, qui sont aussi complexes que simples !

La Russie est évidemment le pays qui a envahi le territoire ukrainien avec de violentes attaques militaires. La population qui en subit les conséquences sur son territoire, ses villages et villes assiégées et bombardées, qui voit les personnes civiles mourir et humilier, c’est la population ukrainienne. Une fois cela dit, on doit évidemment aller plus loin. Toutefois, la discussion ne peut pas se résumer à la seule analyse géopolitique, économique ou énergétique. La préoccupation centrale vise plutôt à définir l’approche à adopter à l’endroit de la population ukrainienne et russe, dans un contexte de renforcement de l’effort de guerre de notre propre impérialisme ?

L’exemple de la solidarité des réseaux européens

Les mouvements de solidarité avec la gauche démocratique et sociale en Ukraine sont plus importants en Europe de l’Ouest qu’en Amérique du Nord. C’est l’œuvre des mouvements surtout syndicaux qui ont établi des contacts directs avec les mouvements démocratiques en Ukraine3. De ce côté-ci de l’Atlantique, peu de choses sont faites pour aller au-delà de l’accueil des personnes migrantes provenant d’Ukraine, qui demeure un geste humanitaire essentiel dans une telle situation traumatique pour la population.

La mobilisation de ces mouvements d’Europe s’est opérée en opposition aux attaques russes perpétrées sur le sol ukrainien. La position de ces mouvements demande un arrêt des bombardements, un retrait des troupes russes et sur la solidarité avec la résistance ukrainienne ! En fait leur position reprend l’idée qu’un peuple ne peut pas être libre, s’il en opprime un autre.

Le droit à l’autodétermination et le pacifisme

Voilà que les mouvements progressistes qui reconnaissent le droit à l’autodétermination se voient maintenant accuser de manquer de solidarité envers le peuple ukrainien ! Il faudrait que ces mouvements soutiennent aussi l’effort de guerre de leur pays occidental, animé par des sentiments de solidarité soi-disant plus concrets !

Comment peut-on soutenir la croissance sans précédente des budgets militaires et l’effort de guerre de « notre » impérialisme ?4 Doit-on associer notre voix avec les faucons de l’impérialisme occidental pour être plus solidaire avec le peuple ukrainien ? La solidarité avec l’Ukraine est-elle condamnée à n’être qu’un marchepied du militarisme de l’OTAN ? Un tel appui aux politiques de l’OTAN procède d’une logique formelle tout aussi aveugle des conclusions qu’elles tirent de la situation.

Alors que le mouvement pacifiste n’a pas connu un grand succès ces dernières années, le voilà qu’il est dénoncé, non pas pour son opposition à l’OTAN, mais parce qu’en s’opposant à l’effort de guerre ici, il serait en défaut de ses obligations de solidarité avec l’Ukraine ! Qui a dit que les seules positions politiques valables sont celles qui ne présentent aucune contradiction ?

Cette guerre n’est pas la nôtre, elle est imposée au peuple ukrainien, au peuple russe, mais aussi à tous les peuples de la terre. S’opposer à la hausse des dépenses militaires, ce n’est pas s’opposer à la fourniture d’armes à la résistance ukrainienne, mais c’est de refuser que les dirigeants des pays du Nord utilisent cette guerre à des fins de renforcement du complexe militaro-industriel et du militarisme dans nos sociétés.

Reconnaître que le pays agresseur est la Russie, demander le retrait des troupes russes, souhaiter une défaite russe n’est pas une position aplaventriste devant la politique impérialiste occidentale ! Il s’agit d’une position qui répond aux réalités de l’agression russe contre le peuple ukrainien. À l’inverse, s’opposer à l’effort de guerre du Canada, des États-Unis, de l’OTAN n’est pas trahir notre solidarité avec le peuple ukrainien, mais inclut le combat de la transformation sociale ici dans notre politique de solidarité. Notre opposition au renforcement du dispositif militaire occidental ne nous empêche pas de développer plus concrètement les actions de solidarité avec la population ukrainienne.

Concilier pacifisme et solidarité

Le premier moment d’une position pacifiste sur la guerre en Ukraine est d’affirmer clairement que le contentieux dans cette région du monde ne peut pas se régler par les armes. Et cette position demeure vraie, même si l’enlisement est bien avancé. C’est pourquoi les mouvements pacifistes doivent condamner l’agression militaire de la Russie, qui voit dans la domination du peuple ukrainien le salut de sa sécurité ! Par la même occasion, les mouvements pacifistes doivent offrir un soutien au peuple en lutte contre leur agresseur.

Par contre, l’évolution d’un monde des inégalités et le développement des contradictions interimpérialistes conduisent à cette augmentation sans précédent des budgets militaires, pour relancer la production et la croissance économique, surtout après les vaches maigres de la pandémie. Le renforcement du militarisme n’annonce rien de bon, ni pour la population laborieuse occidentale ni pour celle en Ukraine et en Russie. Prendre position sur la guerre en Ukraine n’est pas un exercice de construction d’une position « parfaite » ! Il s’agit de définir celle qui correspond le mieux au combat que nous devons mener, celle de militer pour une société basée sur la coopération, la solidarité t la reconnaissance du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes en paix.

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