Édition du 17 décembre 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Le mouvement des femmes dans le monde

Notes féministes pour penser notre projet de société

Ce texte est une contribution féministe pour le débat du Comité international de mars 2020, afin d’y apporter quelques réflexions issues du mouvement féministe.

Tiré de Inprecor no 676, juillet 2020
Commission femmes de la Quatrième Internationale

« Pour un monde dans lequel nous soyons socialement égales,humainement différentes et totalement libres. »
attribuée à Rosa Luxemburg

1. La division sexuelle du travail, qui soutient l’oppression des femmes et qui sert les intérêts du capitalisme, provoque une séparation entre le privé et le public, le reproductif et le productif. Cette séparation acquiert une forme spécifique sous le capitalisme, à partir de laquelle nous pouvons définir la reproduction sociale comme le processus par lequel le travail domestique et de soin que nous réalisons en tant que femmes acquiert une signification politique, de production (accouchement) et reproduction de la force de travail (en assumant toutes les tâches domestiques et de soin nécessaires pour que la classe travailleuse survive), rendant possible la reproduction du capitalisme. C’est la condition essentielle à sa survie. C’est avec cette logique que nous voulons rompre, d’autant plus que c’est d’elle que découlent les inégalités dont nous souffrons en tant que femmes. La nécessité de changements structurels dans l’économie, le politique et le social implique une réorganisation du travail et du temps afin de pouvoir mettre en place une société radicalement différente. Le capitalisme, main dans la main avec le patriarcat, s’approprie notre travail (dans et en dehors de la maison) et nos temps, organise nos rythmes et espaces de vie (nos maisons, nos quartiers, nos villes…), la manière dont nous devons construire nos identités, détermine comment nous devons nous mettre en relation et construire nos affects, la façon dont nous nous alimentons, la relation que nous avons avec notre entourage, etc., etc., etc. Tout est organisé autour de la logique capitaliste et patriarcale d’accumulation du capital. Notre logique est inverse : mettre les personnes et leurs besoins au centre, ce qui passe par une rupture avec cette séparation du privé et du public, mettre au centre les personnes, rompant ainsi avec les oppressions et dominations qui nous traversent.

2. Que signifie mettre au centre les personnes ? Qu’en tant que femmes, nous ne soyons plus en charge de garantir le bien-être des personnes dont nous nous occupons et d’avoir seules la charge de la reproduction sociale. Cela signifie aussi nous reconnaître comme des personnes, car nous réalisons ces tâches avant de penser à nous ou nos projets de vie. Quand nous parlons de la socialisation de ces tâches, nous ne parlons pas de leur collectivisation, mais plutôt de repenser à la société et comment nous concevons le cadre dans lequel nous concevons nos formes de vies. Cela paraît fondamental pour construire des services publics intégraux et forts, mais aussi pour rompre avec l’inertie du quotidien. En tant que femmes, nous ne pouvons pas continuer à devoir majoritairement préparer le petit-déjeuner ou laver les vêtements des autres. Nous devons questionner nos routines, nos rythmes de vie, de manière à ce qu’ils soient plus soutenables pour nos corps et la planète…

Mettre les personnes au centre signifie aussi construire des villes dans lesquelles les personnes et leurs besoins sont au centre. Redessiner les transports, pas seulement pour arriver vite au travail ou au centre commercial.

Repenser l’usage des espaces publics, rompre la brèche entre le centre et la périphérie de nos villes ou celle existant entre le milieu rural et urbain. Tout cela doit être mis en lien avec ce qui est important et qui le fait… ce qui implique aussi re-réfléchir quels travaux sont socialement nécessaires et lesquels non. Nous avons des priorités différentes.

De plus, assumer les tâches de reproduction sociale comme quelque chose de social et politique évite que ce soit chacune à la maison qui en négocie la répartition. Actuellement, on les considère comme quelque chose d’individuel et personnel, en dehors de la sphère politique. On sait que cette négociation ne se passe pas dans des conditions d’égalité, compte tenu du rôle et de la position attribuées à chaque genre. La famille doit arrêter d’être l’espace dans lequel se reproduit la domination. Elle doit arrêter d’être l’unique forme de vie collective possible. Cela implique de repenser la forme de la parentalité de manière plus collective. Ce qui entraîne d’abolir la famille comme institution de reproduction du système. Ce qui implique de politiser nos foyers et toutes les décisions personnelles sur la maternité et la parentalité. Nous devons aussi réfléchir à comment nous considérons l’enfance et le rôle des personnes âgées ou en situation de handicap dans notre société, les relations sociales que nous établissons avec elles et comment nous sommes capables de rompre les logiques de domination que nous avons intériorisées.

Les places, les rues, les lieux de travail, les centres éducatifs et chaque espace dans lesquels nous nous socialisons doivent nous appartenir à nous aussi pour construire d’autres relations sociales interpersonnelles.

Les formes selon lesquelles nous considérons nos relations affectives doivent également être questionnées, d’autant plus qu’aujourd’hui elles sont articulées sur la base d’inégalités.

Questionner la monogamie, construire d’autres modèles de relations. Tout en respectant les décisions personnelles de chaque personne, avec l’idée qu’il n’y a pas une seule option possible, ou une option meilleure que les autres. C’est seulement ainsi que nous pouvons construire nos projets de vie, à plusieurs ou non, avec une autre ou plusieurs autres personnes, de manière libre et dans la diversité.

Pour enfin promouvoir une diversité d’options d’être, d’expression de soi, de mise en relation, de construire des relations, de choix entre des positions diverses et pour rompre avec une unique forme de faire les choses, dans une perspective démocratique et plurielle en laissant la place à la décision individuelle après le démantèlement des normes hégémoniques du système économique-politique-social et culturel actuel.

3. Reconnaitre le travail reproductif et de soins ne passe pas nécessairement par le reconnaître sous une forme monétarisée ou le convertir en emploi (même avec des paramètres différents que ceux du capitalisme).

Le débat sur le salaire domestique vs la socialisation des soins n’est pas nouveau même s’il prend à nouveau de la place. Notre position en faveur de la socialisation des soins ne passe pas seulement par une réflexion sur un réseau de services publics qui garantit ces travaux, il induit de repenser les services publics eux-mêmes afin qu’ils soient plus démocratisés, plus décentralisés, plus participatifs, moins autoritaires, moins rigides, plus communautaires… Cela oblige à repenser la forme qu’a l’État dans une société socialiste, à comment il disparaît pour laisser place à une manière nouvelle d’articuler la société et le pouvoir.

4. Quand nous pensons à ces changements profonds, nous ne devons pas oublier que cela oblige à nous reconsidérer dans notre intimité la plus profonde, à comment nous nous comportons et nous interagissons avec nous-même, notre corps, notre sexualité et avec les autres personnes. La division sexuelle du travail ne se fonde pas uniquement sur la séparation du productif et du reproductif, elle se base aussi sur la complémentarité des genres, de l’homme et de la femme, en les stéréotypant et excluant d’autres possibilités d’être, en établissant des normes coercitives.

Notre projet de société doit inclure de manière centrale et stratégique la rupture avec la binarité du genre et la normativité (hétéronormativité et cisnormativité). Comment nous vivons nos désirs et notre plaisir, comment nous construisons notre identité de genre et notre orientation sexuelle, et comment nous l’exprimons, tout cela est intimement lié à cette division sexuelle du travail, tout cela fait aussi parti du patriarcat que nous voulons abattre. Il est nécessaire de construire une culture nouvelle, à l’opposé de la culture du viol, qui reconnaisse les corps de toutes les femmes cis ou trans, et leurs désirs, qui les reconnaissent comme des sujets capables de décider sur leurs corps, leurs vies et leurs sexualités, qui visibilise qu’il y a mille manières d’être une personne et de vivre et exprimer notre genre et notre sexualité. Non pas comme quelque chose de complémentaire ou secondaire mais comme un point fondamental de notre stratégie, puisque l’accumulation du capital passe aussi par la dépossession de nos corps et notre sexualité étant donné que cela sert sa propre logique et survie.

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