Tiré du blogue de l’auteur.
Au moment où Areva et les lobbies fossiles réalisent une véritable OPA sur Matignon, et alors qu’Emmanuel Macron veut diriger le pays comme on dirige une start-up, la nomination de Nicolas Hulot comme ministre d’Etat à la transition écologique et solidaire ne peut que générer plus de confusion politique.
Une confusion politique entretenue par Nicolas Hulot lui-même, lorsqu’il refusa d’entrer dans un gouvernement dirigé par le parti socialiste en 2016, alors qu’il y avait une majorité de "gauche" (même très libérale) à l’assemblée nationale et la nécessité d’embrayer sur la mise en oeuvre de l’Accord de Paris. En acceptant aujourd’hui d’entrer dans un gouvernement dirigé par un élu de droite pro-nucléaire et pro-charbon, et ce alors que l’essentiel des postes ministériels concernant les politiques économiques et sociales sont tenus par la droite et des pro-business, Nicolas Hulot brouille les messages qu’il avait envoyés à l’opinion publique depuis plusieurs années.
A commencer par le message consistant à dire que le libéralisme n’était "pas compatible" avec l’écologie. « Osons dire que la violence capitaliste a colonisé tous les cercles de pouvoir » déclarait-il au moment de la publication de son livre "Osons" en amont de la COP21, établissant un réquisitoire sans appel contre les politiques néolibérales faisant primer le business sur l’ensemble des autres domaines de l’existence : à la puissance des marchés et des multinationales, il brandissait la reconnaissance « de la finalité sociale et écologique de l’écologie » comme alternative au Business as usual. Comme nous l’avons expliqué ailleurs (ici et ici), les engagements de campagne et les premiers signes envoyés par Emmanuel Macron sont à des années-lumière des déclarations de Nicolas Hulot.
Disons-le et répétons-le tranquillement : face à l’aggravation du réchauffement climatique et la perte de biodiversité, les politiques écologiques dont nous avons besoin ne sont pas compatibles avec les politiques de compétitivité économique voulues par Emmanuel Macron, Edouard Philippe et Bruno Lemaire.
Il en ressort plusieurs questions à adresser à Nicolas Hulot. Directement, et pas par l’entremise de ses proches ou de commentateurs joyeux :
1. quelles sont donc les garanties obtenues d’Emmanuel Macron et Edouard Philippe qui ne l’étaient pas en 2016 de François Hollande et Manuel Valls ?
2. plus spécifiquement, ce que nous voulons savoir c’est quelles sont les garanties obtenues - car nous ne pouvons imaginer qu’il n’y en ait pas - sur Notre-Dame des Landes, le CETA, les centales à charbon, le nucléaire, le plan autoroutier (A45, GCO, etc), les pesticides, le Diesel, les gaz de schiste, etc
3. plus largement, nous n’imaginons pas non plus que des garanties n’aient pas été négociées et obtenues sur la possibilité de réorienter les politiques économiques et financières dans un sens compatible avec la transition écologique et sociale : évasion fiscale, taxe sur les transactions financières, régulations financières, financement de la transition écologique, agroécologie paysanne, etc ;
4. finalement, il est important que Nicolas Hulot explique comment il compte s’y prendre sur le plan stratégique : devenir ministre et avoir l’ambition d’être utile pour la cause qu’on prétend défendre implique de gagner des arbitrages. Nicolas Hulot a le choix : faire croire à "la société civile" et l’opinion publique que sa seule nomination permet de gagner des arbitrages dans les couloirs avec un gouvernement anti-écologique et pro-business. Ou bien reconnaître que de tels arbitrages ne pourront être gagnés sans rapport de force construits au sein de la population et du débat public : ce qui implique de ne pas s’enfermer dans son bureau mais d’utiliser sa position comme levier pour construire des controverses publiques et gagner des batailles par l’intermédiare de la mobilisation des ONG, associations, syndicats, collectifs citoyens. Nul doute qu’ils pourraient être prêts à batailler, à condition de créer les conditions pour que ce rapport de force public émerge et ne se règle pas dans les couloirs de Matignon ou de l’Elysée. Il n’y aurait rien de plus problématique qu’un Hulot ministre disant publiquement qu’il mène bataille à l’intérieur des arcanes du pouvoir, pour nous rassurer, alors que les arbitrages sont déjà perdus. Stratégie désastreuse déjà utilisée, plus que de raison, par de récents ministres écologistes, notamment sur la question de la taxation des transactions financières.
S’il veut être sérieux et digne de l’appartenance à la société civile qu’il revendique, Nicolas Hulot doit apporter des réponses précises à ces questions, et non des généralités comme le tweet publié dans la foulée de sa nomination.
Je finis en précisant que la confusion générée par la nomination de Nicolas Hulot est une très mauvaise nouvelle pour l’avenir de l’écologie politique dans ce pays. Principalement parce que nous avons besoin de clarification, c’est-à-dire de démêler, tant sur le fond que du point de vue des stratégies menées, ce qui est compatible avec les défis sociaux et écologiques auxquels nous sommes confrontés de ce qui ne fait que contribuer à perpétuer les impasses dans lequelles nous conduisent les politiques de compétitivité éconmique et anti-écologiques menées depuis 30 ans. La nomination de Nicolas Hulot, à ce stade, n’y contribue aucunement. Au contaire. D’une certaine manière, en acceptant d’entrer dans ce gouvernement libéral, Nicolas Hulot contribue à un coup bassement politicien d’Emmanuel Macron visant à empêcher que l’écologie politique, qui est loin d’avoir disparu des radars au lendemain de la présidentielle, puisse se recomposer sereinement dans les semaines et mois à venir, sous des formes nouvelles et hybrides (voir cette analyse).
Maxime Combes, économiste et auteur de Sortons de l’âge des fossiles (Seuil, collection Anthropocène).
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