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Cette ronde de négociations s’amorce dans le contexte d’une contestation radicale du rôle de l’État. Les centrales syndicales publient des manifestes (Ne comptons que sur nos propres moyens (CSN), L’État rouage de notre exploitation (FTQ), L’école au service de la classe dominante (CEQ)) dans lesquels l’État et ses appareils y sont décrits comme une superstructure qui met ses moyens d’action au service de la classe dominante.
Lors de la troisième ronde de négociation dans les secteurs public et parapublic au Québec, le gouvernement s’impose comme le véritable employeur. Son objectif consiste, pour l’essentiel, à rationaliser ses dépenses administratives, sociales et culturelles. La politique salariale (monétaire et normatif lourd) qu’il définit ne peut aller à l’encontre de ses objectifs fiscaux et budgétaires. Les conditions de travail et de rémunération des salariéEs syndiquéEs des secteurs public et parapublic doivent aussi être comparables à ce qui existe sur le marché du travail dit privé.
Pour cette ronde de négociation, le président de la CSN, Marcel Pepin, propose aux présidents Louis Laberge de la FTQ et Yvon Charbonneau de la CEQ, de mettre sur pied un Front commun dans les secteurs public et parapublic. L’idée sera acceptée et les trois grandes organisations syndicales s’unissent dans le cadre d’un Front commun qui regroupe plus de 210 000 syndiquéEs. Le but du front commun vise à discuter et à négocier la part du budget que l’État doit consacrer à la rémunération et aux avantages marginaux des salariéEs des secteurs public et parapublic.
Pour cette ronde de négociation, le gouvernement du Québec cherche, selon Beaulne, à poursuivre l’entreprise de normalisation des structures salariales entreprise à la fin des années 1960.
En mars 1971, le gouvernement dévoile les principes et règles à la base de ses propositions salariales :
a) parité de traitement indépendamment du sexe et du statut civil pour les titulaires d’un même emploi.
b) harmonisation des traitements pour des emplois similaires.
c) parité dans les traitements à l’échelle du Québec (élimination des disparités régionales).
d) reconnaissance de la spécialisation (qualification) (les offres sont construites de façon à ne pas réduire les écarts relatifs).
e) plans de traitement caractéristiques, c’est-à-dire extension des mêmes structures dans les nouvelles unités.
f) utilisation des comparaisons avec des organismes analogues pour vérifier l’ordre de rangement.
g) rejet d’une grille salariale générale dans le style européen.
h) niveau de rémunération fondé sur la moyenne généralement observée au Québec pour des emplois identiques ou analogues.
De ces principes, il se dégage que le gouvernement n’entend pas remettre en cause la structure des traitements en vigueur. Le gouvernement met de l’avant une politique de rémunération fondée sur le marché privé du travail.
Pour ce qui est des objectifs du Front commun, il s’agit à toutes fins utiles d’une contre-politique salariale qui inscrit les demandes syndicales dans la perspective d’une redistribution de la richesse dans une société capitaliste.
Du côté syndical, la structure de rémunération s’articulera autour des éléments suivants :
1. Fixer le salaire minimum à 100,00$/semaine dès la première année.
2. Respecter la hiérarchie salariale mais en réduisant les écarts par un rattrapage salarial qui diminue progressivement vers le sommet.
3. Obtenir une formule d’indexation qui protège intégralement contre la hausse des prix tout en accordant une protection relativement plus importante aux bas salariés, de même qu’un taux de croisière qui est toutefois décroissant avec l’élévation du niveau de salaire.
Deux conceptions du rôle de l’État en regard de la distribution de la richesse s’opposent. La politique syndicale impose que l’État doit donner l’exemple au patronat par le biais de : a) l’accroissement des salaires des moins bien nantiEs ; b) la sécurité d’emploi ; c) l’élimination de la discrimination salariale et d) la protection du pouvoir d’achat. Pour ce qui est de la politique salariale que met de l’avant le gouvernement, celle-ci s’appuie sur la logique du marché du travail et ce qu’il définit comme étant la capacité de payer des citoyens.
La lutte s’enclenchera, lors de cette ronde de négociation, autour de la question de la table centrale qui n’avait pas été prévue la Loi du régime des négociations collectives dans les secteurs de l’éducation et des hôpitaux. Il ne s’agissait pas d’un oubli de la part du gouvernement, puisque ce dernier n’entendait pas soumettre sa politique salariale au jeu de la libre négociation. Ce ne sera qu’après la tenue d’un vote où les syndiquéEs, à plus de 70%, rejettent les offres du gouvernement que celui-ci consentira à mettre en place une table centrale sans statut juridique réel. Fin mars et début avril, les syndiquéEs recourront à la grève (d’abord un 24 heures d’arrêt de travail et, ensuite, une grève générale illimitée) (Éthier, 1975).
Le 28 mars 1972, éclate la première grève de 24 heures déclenchée par le Front commun de 210 000 travailleuses et travailleurs des services publics, membre de la CSN (100 000) de la CSQ (70 000) et de la FTQ (40 000). Le Front commun groupe les fonctionnaires, le personnel des hôpitaux et du réseau des affaires sociales, le personnel enseignant et les employés de soutien des commissions scolaires et des cégeps, les syndiqués d’Hydro-Québec, de la Régie des alcools, les professionnels du gouvernement, etc.
C’est la première fois que les syndiquéEs des services publics québécois négocient ensemble afin d’accroître leur rapport de forces avec l’État-employeur. Les négociations se sont amorcées en mars 1971 mais comme elles traînent en longueur depuis un an, les « 210 000 » du front commun se prononcent massivement, le 9 mars 1972, en faveur de la grève (86% de votantEs, 75% pour le débrayage). Ce vote permet enfin d’obtenir la table centrale de négociations que le gouvernement Bourassa refusait depuis le début.
Un premier arrêt de travail est fixé au 24 mars mais annulé à la dernière minute… à cause d’une tempête de neige ! Il a lieu le 28 mars. Le gouvernement ne bouge pas. C’est alors que débute le 11 avril, la plus importante grève déclenchée à ce jour dans toute l’histoire du mouvement ouvrier au Québec et au Canada. L’arrêt de travail du front commun va durer 10 jours et ébranler profondément la société québécoise.
Le gouvernement réplique aussitôt par des injonctions ordonnant le retour au travail des 12 000 grévistes d’Hydro-Québec et de quelque 14 000 grévistes de 71 hôpitaux, bien que les syndiqués affirment qu’ils assurent les services essentiels. Le mouvement de grève se poursuit néanmoins dans plusieurs hôpitaux touchés par des injonctions. […] (CEQ-CSN, 1984).
Pour mettre un terme au débrayage massif des syndiquéEs des secteurs public et parapublic, le gouvernement adoptera, le 21 avril, le projet de loi 19 et fait émettre des injonctions à l’endroit des grévistes qui n’ont pas respecté les services essentiels. Les trois présidents des centrales syndicales seront, pour leur part, condamnés à un an d’emprisonnement pour avoir encouragé les syndiquéEs à défier les injonctions. L’emprisonnement des dirigeants et de militants syndicaux donnera lieu à ce que certains ont appelé : « La grève générale de mai 1972 ».
Pour avoir conseillé de passer outre aux injonctions ordonnant le retour au travail dans les hôpitaux pendant la grève, les présidents des trois centrales, Louis Laberge, Marcel Pepin et Yvon Charbonneau, se retrouvent en cour. Le 8 mai, le juge Pierre Côté les condamne à la sentence maximale : un an d’emprisonnement. Plusieurs dirigeantEs et militantEs syndicaux sont aussi condamnés à la prison.
Ce geste de répression exceptionnel déclenche la première grève générale de solidarité dans l’histoire du mouvement ouvrier au Québec, lancée spontanément sous le coup de la colère des travailleuses et travailleurs. À peine les trois présidents sont-ils incarcérés à la prison d’Orsainville, le 9 mai, que les syndiquéEs débraient un peu partout dans un immense défi à l’ordre établi et à sa « légalité » - car ce genre de débrayage est considéré comme illégal en Amérique du Nord. Au total, plus de 300 000 syndiqués participent, pour des durées variables, à ce vaste mouvement qui dure une semaine, en vue de réclamer la libération de leurs dirigeants emprisonnés. Les « événements de mai » 1972 constituent une flambée extraordinaire de solidarité de classe.
Les arrêts de travail éclatent à la fois dans les services publics et dans le secteur privé. C’est le cas des ouvriers de la construction, des métallos, des mineurs, des machinistes, des travailleurs de l’auto, des ouvrières et ouvriers du textile, des débardeurs, des employéEs de commerce, des ouvriers de l’imprimerie, du personnel des grands médias d’information ainsi que dans l’enseignement et certains hôpitaux.
Dans les villes comme Sept-Îles, Thetford, Sorel et Joliette, le mouvement est tellement presque général, à tel point qu’on parle « d’occupation » et de « contrôle » des lieux par les grévistes. Des postes de radio et de télévision sont occupés par les syndiqués qui y diffusent leurs messages.
Le 23 mai 1972, les trois présidents de centrales sortent de prison après en avoir appelé du jugement. Après que la Cour d’appel ait maintenu la sentence et que la Cour Suprême ait refusé d’intervenir, ils sont de nouveau incarcérés le 2 février 1973. Malgré les pressions de toutes sortes et les interventions du mouvement syndical international, qui dénonce cet emprisonnement sans précédent, les trois présidents purgent leur peine et sont libérés le 16 mai suivant. Le premier mai, plus de 30 000 travailleuses et travailleurs sont descendus dans la rue afin d’exiger leur libération. Le Parti québécois participe officiellement à la manifestation. (CEQ-CSN, 1984).
Si le projet de loi 19 vient mettre un terme au conflit ouvert entre l’État et ses syndiquéEs, il ne met pas un terme à la négociation qui, elle, permettra un certain nombre de gains syndicaux :
La négociation rend possible certains gains syndicaux, notamment le $100 minimum et une clause d’indexation qui, contrairement aux attentes, s’avéra fort profitable compte tenu de la spirale inflationniste qui s’emparera de l’économie. Mais le gouvernement réussit à maintenir l’essentiel de sa structure de rémunération et à imposer par décret sa propre politique sur la tâche et l’insécurité d’emploi des enseignantEs. La victoire syndicale en est surtout une de principe : la table centrale, donc l’instrument pour négocier la masse salariale ; le $100 minimum - même s’il n’est accordé qu’à la dernière année de la convention et que pour 35 heures- qui oblige l’État à déroger de son principe de l’alignement des salaires du secteur public sur le secteur privé (Piotte, 1979).
Pour conclure
Dans le cadre de la ronde de négociation de 1971-1972, le gouvernement a dû accepter de soumettre sa politique salariale au libre jeu de la négociation. La clause d’indexation des salaires va rapporter plus de 800 millions de dollars aux salariéEs syndiquéEs. De plus, ils obtiendront la sécurité d’emploi ainsi qu’un nouveau régime de retraite (le RREGOP). Au terme de cette négociation, le gouvernement est forcé de constater qu’il n’a pas été en mesure de décider seul du rythme de croissance des sommes à consacrer aux missions administrative, sociale et culturelle.
Le climat social est polarisé. Le gouvernement adopte une loi qui met un terme à l’arrêt travail dans les secteurs public et parapublic. Cette loi spéciale n’a pas pour effet de mettre un terme à la négociation. Malgré la position de départ adoptée par le gouvernement lors de la présente ronde de négociation (refus de négocier sa politique salariale), les parties ont poursuivi l’échange et la négociation. Dans l’ensemble, le résultat de la négociation est à l’avantage du Front commun. Deux groupes se verront décréter leurs conditions de travail : les enseignantEs de la CEQ et les professeurEs de la FNEQ.
Yvan Perrier
BIBLIOGRAPHIE
Audet, Monique. 2011. « Quarante ans de négociations dans les secteurs public : 1966-2006 ». Bulletin d’histoire politique. Vol. 19, no 2, p. 143-152.
Beaulne, Pierre. 2003. « Négociations salariales : « Y’en aura pas de faciles ». In De mémoire vive : La CSQ depuis la Révolution tranquille, textes rassemblés par Marie Gagnon. Montréal : Lanctôt, p. 121-140
CEQ-CSN. 1984. Histoire du mouvement ouvrier au Québec : 150 ans de luttes. Montréal : Coédition CSN-CEQ, 328 p.
Gouvernement du Québec. 1972. Mémoire à Me Camil Beaulieu. Commuissaire-enquêteur nommé sous l’empire de l’article 99 du Code du travail par les arrêtés en conseil 830-72 et 1027-72 de la Chambre du Conseil Législatif du Québec. Québec, le 17 avril 1972, p. 12p.
Hébert, Gérard. 1992. Traité de négociation collective. Boucherville : Gaëtan Morin éditeur, 1242 p.
Perrier, Yvan. 1992. Étude de certaines théories de la régulation et analyse de la régulation étatique des rapports collectifs de travail dans les secteurs public et parapublic au Québec de 1964 à 1986 (de la libre contractualisation à la négociation factice). Thèse de doctorat, Montréal, Université du Québec à Montréal, 745 p.
Perrier, Yvan. 2001. De la libre contractualisation à la négociation factice. Québec ; Éditions Nota bene, 148 p.
Piotte, Jean-Marc. 1979. « La lutte des travailleurs de l’État ». Les Cahiers du socialisme, no 3, p. 4-38.
Rouillard, Jacques. 1989. Histoire du syndicalisme québécois. Montréal : Boréal, 535 p.
Rouillard, Jacques. 2004. Le syndicalisme québécois : Deux siècles d’histoire. Montréal : Boréal, 335 p.
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