Édition du 17 décembre 2024

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Syndicalisme

Négo et secteur de la santé : Donnez-nous les moyens dès maintenant !

L’État québécois et différentes centrales syndicales (CSN, CSQ, FIQ, APTS, FTQ) se sont engagés durant la dernière semaine dans des négociations accélérées visant le renouvellement des conventions collectives des employé·es du secteur public et parapublic. La situation de crise sanitaire de la COVID-19 offre aux syndicats du secteur de la santé un rapport de force difficilement imaginable il y a 6 mois. Profitons-en dès maintenant pour faire des gains, non seulement pour le personnel de la santé, mais pour la santé de la population en général !

Publié le 28 mars 2020
tiré de Infolettre mai 2020 De Alternative Socialiste
Rémi A. et Julien D.

L’arrivée de la pandémie de coronavirus a intensifié l’état de crise dans lequel se trouvent les services publics et leur personnel, en particulier ceux du réseau de la santé. Des 550 000 personnes concernées par les négociations du secteur public et parapublic, presque la moitié appartiennent au réseau de la santé. Sentant la colère monter, le gouvernement Legault veut rapidement régler les négociations afin de s’épargner la grogne de la couche la plus combative de la classe ouvrière québécoise.

Le réseau de santé québécois était déjà fragile avant la pandémie. L’accès aux soins de santé gratuit et de qualité est depuis longtemps compromis par la pénurie de main-d’oeuvre, le sous-financement chronique et les privatisations. La crise du coronavirus n’a fait qu’accentuer le problème. Et elle ne fait que commencer !
Le Québec se situe actuellement dans la montée de la courbe d’infection. La première ligne d’accueil du système de santé est dans une situation très précaire. Contrairement à ce que prophétisent les chroniqueurs économiques, la récession mondiale et les pertes d’emplois massives au Québec et au Canada ne permettront pas une remontée de l’économie à brève échéance. C’est plutôt la chute libre du pouvoir d’achat et le chômage qui guettent les travailleurs et travailleuses, y compris ceux et celles de la santé.

Pas de retour possible à l’avant-crise

Il ne suffira pas d’attendre la fin de la crise sanitaire pour reprendre les négociations et les manifestations comme avant. Les relations de travail ne reviendront pas à leur état d’avant-crise. On voit déjà les gouvernements donner, sans condition, des milliards de dollars aux compagnies privées pour les aider à “aider” les travailleurs et les travailleuses. Ces subventions ne garantissent aucune sauvegarde d’emploi ou maintien des conditions de travail. Au contraire, on assiste à des mises à pied massives et même à des réductions de salaires dans le secteur des communications et de la culture. Pendant ce temps, aucun acteur économique ou politique ne prend l’initiative de lutter résolument pour un réinvestissement massif en santé.

Pour une vraie solidarité avec les « anges gardiens »

La crise du coronavirus touche les employé·es de l’État différemment selon leur secteur de travail. Il est compréhensible que des syndicats de personnel enseignant ou de bureau en télétravail ne perçoivent pas l’urgence de la situation sur le terrain et qu’ils tiennent à reporter les négociations.

Même du côté du personnel professionnel en santé, les négociations précipitées sont accueillies avec une certaine crainte. Pour ces personnes relativement mieux payées, même si la question salariale est importante, celle des conditions de travail l’est davantage. Composé essentiellement de femmes, ce corps professionnel est accablé par un manque de personnel qui engendre une surcharge de travail, des blessures, une détresse psychologique, de l’épuisement, etc.

Du côté des bas salarié·es, les mêmes conditions de travail difficiles sont doublées d’un bas salaire. Le taux de rétention du personnel est encore plus bas. Il en découle des situations de sous-effectifs dangereuses pour tout le monde.

Cette situation montre que la question des salaires et celle des conditions de travail sont interreliées. L’une a un impact sur l’autre. Des augmentations de salaire dans une catégorie d’emploi auront des impacts sur la situation de travail des autres. Même avec les meilleures lettres d’entente sur les conditions de travail, si l’employeur ne les respecte pas et que les griefs s’accumulent, le problème restera entier. Pour réellement régler la dimension des conditions de travail, des décisions politiques radicales s’imposent. En conséquence, il est nécessaire de lutter pour un réinvestissement massif et pour la nationalisation de toutes les compagnies privées liées à la santé (cliniques, pharmaceutiques, agence de personnel, matériel médical).

Restriction des moyens de pression et blitz de négos

Avec les décrets de l’urgence sanitaire, il est maintenant interdit pour les syndicats de la santé de faire des moyens de pression ailleurs que sur les réseaux sociaux. De nombreux articles de leurs conventions collectives sont suspendus.

Néanmoins, la situation actuelle a déjà fait reculer le gouvernement. Jusqu’ici, la partie patronale a proposé une hausse salariale de 2,2% la première année et un mécanisme d’indexation au coût de la vie pour les années suivantes. Cette proposition, même si elle paraît modeste, est déjà plus élevée que le résultat de l’entente conclue entre l’État et le Front commun en 2015. À l’époque, seule la Fédération de la santé et des services sociaux (FSSS-CSN) est allée chercher davantage en continuant de lutter seule.

Si des centrales syndicales font actuellement un blitz de négociations, bon nombre demandent toutefois la suspension des négociations pour 18 mois. Elles tiennent à ce que la question des conditions de travail soit priorisée et non pas escamotée au profit de celle des salaires. Elles espèrent bâtir un meilleur rapport de force dans le futur.
Si cela paraît être une bonne idée en théorie, renvoyer les négociations à plus tard ne garantit pas un meilleur rapport de force. Ce qui est sûr, c’est que le système de santé sera dans une situation pire encore. Les autres services publics, comme l’éducation, ne seront pas mieux lotis. L’envenimement de la situation n’impliquera pas forcément une plus grande solidarité entre les syndicats.

Pour les bas salarié·es en première ligne de défense contre l’épidémie, c’est maintenant qu’il faut aller chercher des gains historiques !

Rien en bas des demandes initiales !

La décision unilatérale de certaines directions de centrale syndicale de procéder à des négociations précipitées est inquiétante. Sans réelle consultation démocratique, elles ont déjà soumis des contre-offres à la baisse par rapport à leurs demandes initiales. Les directions syndicales ont ainsi balayé de manière impardonnable la demande des hausses à taux fixe. Dans le contexte actuel, il n’y a aucune raison de réclamer moins que les demandes d’avant la crise. Au contraire !

En plus des primes de risque, le mouvement syndical a l’occasion d’obtenir l’indexation automatique des salaires à l’inflation (mécanisme éliminé dans les années 90) et des augmentations de salaire horaire à taux fixe pour tout le monde.

C’est au gouvernement de porter l’odieux de ne pas vouloir améliorer le salaire des travailleurs et travailleuses de la santé, pas aux directions syndicales.

« Avant, nous étions dans le jus. Maintenant, nous sommes dans le jus et nous risquons nos vies tous les jours. »

Cette citation d’une employée d’hôpital souligne bien l’urgence qui habite celles et ceux qui entrent directement en contact avec les personnes atteintes de la COVID-19. Contrairement au personnel professionnel (catégorie 1 et 4), bien des employé·es de première ligne (catégorie 2 et 3) sont moins bien formé·es pour traiter avec les maladies infectieuses.

Les personnes préposées aux bénéficiaires ne peuvent pas garder 2 mètres de « distanciation » avec les personnes qu’elles soulèvent. Les agentes administratives et le personnel d’entretien en contact direct avec les personnes infectées reçoivent leur équipement par ordre de priorité, soit après les autres secteurs (s’il en reste). Le personnel immunosupprimé risque sa vie chaque jour en rentrant au travail, tout comme le personnel lui-même atteint de la COVID-19. Toutes ces personnes au bas de l’échelle salariale sont celles qui risquent le plus d’être infectées. Leurs syndicats reçoivent des tonnes d’appels de panique chaque jour : collègues à bout qui fondent en larmes, pénurie de matériel, patients agressifs, relocalisation arbitraire du personnel, etc.

Leur demander de « passer à travers la crise » dans ces conditions est irresponsable. Le pire, c’est que la situation ne va pas s’améliorer.

Faire des gains maintenant, une urgence pour le personnel de la santé

La crise sanitaire actuelle est politique. Le mouvement syndical ne peut pas se permettre d’être sur « pause » et se contenter de réclamer la « paix sociale » pour les prochaines années. Un syndicat ne peut pas du même souffle parler de solidarité sociale avec les syndiqué·es de la santé et renvoyer, dans la pratique, cette solidarité à plus tard. Ce sont, d’abord et avant tout, les travailleurs et les travailleuses à bas salaire qui nous sortiront de la crise, pas le gouvernement Legault.

Être solidaires de ces employé·es implique de prendre les moyens pour faire des gains urgents ici et maintenant, à commencer par les primes de risque, l’indexation des salaires au coût de la vie et les hausses à taux fixe. Reporté les négociations, c’est risquer de perdre le rapport de force actuel pour une hypothétique mobilisation intersyndicale dans 18 mois. C’est aussi laisser le système de santé actuel couler avec les risques que ça implique pour la population. Un décret insatisfaisant de la part du gouvernement aurait les mêmes conséquences désastreuses.

Les travailleuses et les travailleurs de la santé risquent leur vie tous les jours dans des conditions difficiles et stressantes. C’est maintenant qu’il faut faire des gains pour le personnel de la santé !

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