De manière plus précise, le film raconte la vie de Molière de l’âge de 10 ans, en 1632, jusqu’à sa mort survenue en 1673, le soir même de la quatrième représentation du Malade imaginaire. Nous découvrons les jeux auxquels enfant il s’adonnait et ce qui semble être son premier grand traumatisme : la mort de sa mère. Nous suivons son éducation à travers les fêtes de rue et le théâtre populaire. Mnouchkine relate également les grandes étapes de sa vie professionnelle et sentimentale : la gloire qu’il a connue à la Cour du Roi, en passant par les pérégrinations de « l’Illustre Théâtre » et ses amours avec Madeleine et Armande Béjart.
Molière apparaît dans le contexte de son époque. Une époque particulièrement difficile et éprouvante tant la pauvreté était répandue et les conditions d’hygiène assez élémentaires. Ajoutons à ce contexte, peu réjouissant, la volonté de certains bigots, appartenant au bloc dirigeant, de vouloir interdire la tenue des événements associés à leurs yeux au vice et d’empêcher, à certains moments, la présentation de certaines pièces.
Le film nous apprend que le père de Molière rêvait de faire de son fils un tapissier-marchand. Jean-Baptiste Poquelin refuse de suivre cette voie. Il va à Orléans et s’engage dans des études en droit. Il croise sur son chemin des personnes dévotes en position d’autorité qui veulent bannir de leur bourgade le péché. Pour ce faire, elles décident d’interdire la tenue du carnaval. La population refuse de se soumettre à cet ordre. La police intervient et roue de coups de bâtons certains fêtards. C’est précisément le soir où le carnaval est réprimé par les forces de l’ordre que Jean-Baptiste Poquelin fait la rencontre de la comédienne Madeleine Béjart. Elle est de sept ans son aînée. Malgré cet écart d’âge, c’est avec elle qu’il unira, pendant plusieurs années, sa destinée. C’est, entre autres, avec certains membres de la famille Béjart qu’il fonde « l’Illustre Théâtre ». Mnouchkine présente Molière comme un homme qui décide par lui-même, malgré l’opposition farouche de son père, de devenir acteur.
Une fois bien intégré dans la troupe, il puisera dans ses souvenirs ce qu’il a compris des défauts et des travers humains pour rédiger une œuvre théâtrale riche, voir même géniale, tantôt drôlatique et tantôt tragique. Et du tragique, il en a été témoin à plusieurs occasions dans sa vie. Très jeune, Molière a vu que les médecins de son époque étaient des profiteurs et non d’authentiques guérisseurs. Ils pratiquaient, souvent inutilement, la « saignée » en échange de repas copieux. À l’adolescence, Molière a été en mesure de constater comment les fanatiques et les bigots pouvaient être les grands opposants et les ennemis des fêtes costumées. Plus tard, il verra que cette volonté négatrice des sources du plaisir s’attaque aussi à la liberté de création au théâtre.
Ce film rappelle qu’au tout début de sa carrière théâtrale, en 1644, alors qu’il n’avait que vingt-deux ans, pour faire vivre sa troupe, Molière n’a pas hésité à s’endetter. Il montait des tragédies dans lesquelles il tenait les premiers rôles et où il était indiscutablement mauvais. On s’en doute, le succès n’était pas au rendez-vous. Molière s’est retrouvé dans une fâcheuse situation. Criblé de dettes, les huissiers sont à ses trousses. Incapable de les rembourser, il est jeté en prison. C’est après cet échec que Molière comprend l’intérêt de la comédie. Il fera évoluer le genre en y intégrant des éléments dramatiques.
Pour l’essentiel, le film porte sur les rapports amoureux, amicaux et d’argent qu’on retrouve au sein d’une famille et d’une troupe de théâtre. Il aborde aussi les relations qui se sont développées entre Molière et les personnes du pouvoir qui se présentaient comme les amis et les protecteurs des arts (le Duc de Conti, le frère du Roi, le Roi Louis XIV). Il est aussi question des grands succès de Molière, de quelques uns de ses revers et des trahisons qu’il a rencontrées dans sa vie professionnelle. Sa pièce Tartuffe lui causera d’ailleurs bien des ennuis. Elle donnera l’occasion aux dévots de demander à Colbert, l’éminence grise de Louis XIV, d’intervenir auprès du Roi pour en interdire la représentation. Le Roi accèdera, en partie, à cette demande. La jalousie, l’envie, l’amour, la rivalité et la haine entre les humains sont également abordés dans ce film. Le film se termine sur les derniers moments de la vie de Molière. Mnouchkine le montre, un an après la mort de Madeleine Béjart, usé et surtout terriblement vieilli.
Certaines scènes sont spectaculaires (l’homme-volant, la scène du théâtre emporté par le vent) et d’autres nous répugnent tant elles s’opposent à nos standards de propreté et aux mœurs de notre époque (le manque d’hygiène du curé qui donne des cours de latin, le mariage contraint d’une jeune adolescente avec un vieillard croulant, manifestement en manque de vitalité). Le passage dans lequel il est question de la dureté des conditions de vie et d’existence des paysans affamés est particulièrement éprouvant à regarder.
Contrairement à ce que nous pouvons nous attendre, ce film, dans lequel il est question de théâtre, est peu bavard. Il y a de nombreux non-dits. Ces silences ne sont pas des longueurs, loin de là. Il s’agit plutôt de moments qui nous permettent de réfléchir sur la signification et la profondeur de l’œuvre de Mnouchkine.
Yvan Perrier
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