Même si c’est rationnellement indéfendable, il reste que la moitié de l’humanité (les hommes) a tendance à traiter l’autre moitié (les femmes) comme si elle n’était qu’accessoire alors que c’est elle qui détient la clé de l’avenir. Jean Rostand expliquait déjà cela dans son livre Les chromosomes au début du vingtième siècle : on peut théoriquement répliquer un œuf humain pour obtenir un nouvel humain, il faudrait d’ailleurs mettre ça au féminin, car ça donnerait une humaine, l’ovule étant nécessairement de chromosome X. On ne peut pas théoriquement faire un nouvel humain juste avec un spermatozoïde, ni même avec des millions.
Mais la culture dans laquelle nous vivons, si elle consent avec morgue à reconnaître un peu de ce qu’elle doit aux femmes, continue à leur imposer une vie faite de renoncement et d’autosurveillance. S’est-on demandé pourquoi la récente vague de « coming out » de femmes agressées qui n’avait jamais parlé paraît si importante alors qu’elle n’est en fait que l’écho lointain de la réalité ? Les hommes qui sont en position d’autorité se sont-ils mis à la place des femmes qui se demandent toujours ce qui peut leur arriver quand elles doivent sortir le soir, quand elles passent dans un lieu mal éclairé, quand elles sont aimables avec un étranger ? Pourquoi devraient-elles avoir à se surveiller ? Pourquoi serait-ce leur responsabilité de se surveiller et pas celle des hommes d’être respectueux ?
On se rappellera peut-être la chanson La rue, qu’interprétait Pauline Julien à la fin des années 70 : « Si tu sors dehors, toutt peut t’arriver, si tu sors dehors, t’es comme en danger, tu peux t’faire faire n’importe quoi, pi ça peut être n’importe qui » (paroles d’Odette et Madeleine Gagnon, musique de Jacques Marchand). Cette chanson exprime parfaitement l’injonction horrible faite aux femmes par la culture misogyne : « Tu es à la disposition des hommes, de tout homme. »
C’est pourquoi on ne peut se contenter de classer la série des tweets #agressionnondénoncée comme une mode de réseaux sociaux. Il faut l’intégrer dans un mouvement continu de prise de parole, de conscience et d’éveil, dont les femmes sont les phares.
Cela nous amène à la triste constatation faite par nombre de participantEs aux activités commémorant le vingt-cinquième anniversaire de la tuerie misogyne du 6 décembre 1989 : comment se fait-il que la plaque commémorative à Polytechnique soit si peu connue, ne fasse l’objet d’aucun fléchage signalétique, ne soit pas référée comme lieu de recueillement ? Est-ce par manque d’intérêt ? Est-ce par crainte du vandalisme misogyne ?
Qui osera prétendre après cela que le féminisme n’est plus nécessaire ?
LAGACÉ, Francis