Il ne se passe pas un jour sans qu’une nouvelle d’agences de presse renouvelle l’actualité sur la « vie à Cuba », celle de sa population, celle de ses dirigeants, et parmi eux les quelques-uns, fort peu, qui ont le droit de prendre la parole publiquement, certains d’être relayés par les médias. Par contre, la parole diffuse circule à Cuba « en petits comités », parfois avec une tonalité de rumeur et de tentative d’interprétation de ce qui se passe « au sommet de la pyramide », du dit pouvoir populaire.
Le 8 septembre, Jeffrey Goldberg, dans le magazine The Atlantic, publie un article ayant pour titre « Le modèle cubain ne fonctionne même plus nous dorénavant ». Le 10 septembre, Jeffrey Goldberg, toujours dans The Atlantic, écrit : « Selon CNN, Fidel Castro affirme que j’ai mal compris son affirmation. » Sur cette chaîne américaine (qui émet en espagnol pour l’Amérique du Sud), il est indiqué que, lors d’un discours à l’Université de La Havane, le 9 septembre 2010, discours reproduit sur le canal de la télévision cubaine, Fidel Castro a affirmé qu’il voulait dire « exactement l’opposé » de ce que Jeffrey Goldberg avait compris. Dans l’article d’agences ci-dessous (traduit de l’espagnol), il est possible de lire l’interprétation faite par Castro de sa propre affirmation. Le dirigeant cubain conclut toutefois : « J’attends avec intérêt son article complet », soit celui de Goldberg.
Le 14 septembre 2010, diverses agences de presse annoncent que « le gouvernement de Cuba va réduire en 2011 de plus d’un demi-million le nombre de travailleurs du secteur étatique et que seront créés, pour leur réinsertion, de nouvelles formes de contrats, des coopératives, le droit temporaire d’usage et de jouissance d’un bien appartenant à l’Etat (usufruit) et des postes de travail indépendant ».
Conjointement, le Secrétariat national de la Centrale des travailleurs de Cuba (CTC), dans une longue déclaration, donne le feu vert à cette mesure. Elle laisse clairement entendre que les travailleurs cubains doivent « améliorer la discipline et l’efficacité » et « développer le potentiel de réserves productives ». De fait, l’origine une série de « difficultés » est attribuée aux travailleurs et travailleuses de Cuba qui, sous une forme ou une autre, gagnent trop pour ce qu’ils produisent !
Ainsi, cet ajustement social et économique décidé par le très-haut est pris en charge et défendu par une centrale syndicale qui est le prolongement direct de l’appareil bureaucratique d’Etat. Quelles que soient les difficultés – pour des raisons multiples – que traverse Cuba, cet ajustement structurel et l’attitude de la CTC laissent mal augurer du futur.
Pour nous, cela n’est pas nouveau. Pour certains, le déni peut continuer. Pour d’autres, ils ferment les yeux, se sentant mal assis dans un train fantôme. Peut-être que d’aucuns regarderont la réalité en face. Les développements sociaux, politiques et économiques à Cuba auront un impact en Amérique latine que beaucoup de socialistes révolutionnaires, en Europe, mesurent mal. Or, dans divers pays d’Amérique latine, sous des formes plus ou moins développées, existe un débat important sur le rapport entre socialisme et démocratie, sur la configuration possible d’un « pouvoir populaire » et de ses relations étroites avec des institutions contrôlées, construites et reconfigurées.
Cela à partir d’une expression libre et contradictoire des besoins sociaux, économiques, écologiques, politiques, culturels, ainsi que d’émancipation de diverses oppressions (de genre, de race…). Cela aussi dans des pays marqués par la colonisation, plus ou moins par l’esclavage et l’écrasement des Amérindiens ainsi que des décennies de domination impérialiste. Soit les évolutions, les crises ouvertes qui prendront forme à Cuba sont intégrées dans un débat public, assumé, par les socialistes révolutionnaires, soit de sombres heures s’annoncent en Amérique du Sud, dans la Caraïbe. Un tertium datur est toujours possible, mais son espace est réduit. Sous peu, nous reviendrons plus en détail sur ce thème de première importance. C.-A. Udry
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Dans le cadre de sa réapparition sur la scène publique, quatre ans après la crise de santé qui l’a obligé à abandonner le pouvoir, l’ex-président de Cuba, Fidel Castro, a déclaré que le modèle cubain « ne fonctionnait plus » pour l’île, selon ce qu’a écrit un journaliste étasunien qui lui a rendu visite la semaine passée à La Havane.
Jeffrey Goldberg, rédacteur de la revue The Atlantic, a demandé à Castro s’il valait encore la peine d’essayer d’exporter le système économique cubain vers d’autres pays et l’ex-mandataire lui a répondu : « Le modèle cubain ne fonctionne même plus pour nous. »
Goldberg a publié l’extrait en anglais hier mercredi [le 8 septembre] sur le blog qu’il tient sur le site de la revue susmentionnée. Le journaliste dit que Castro a fait ce commentaire de manière informelle, alors qu’ils déjeunaient ensemble après une longue conversation sur le Moyen-Orient et qu’il n’est pas entré dans les détails.
Le gouvernement cubain n’a pas souhaité faire de déclarations dans l’immédiat quant à l’affirmation du journaliste.
Le journaliste, qui a visité Cuba à l’invitation de Fidel Castro, a publié sur le site Internet de la revue un long article sur ses impressions qui se basent sur les longues conversations qu’il a eues avec le leader révolutionnaire durant son séjour de trois jours sur l’île. Mais il n’a pas rapporté plus de déclarations de l’ex-chef d’Etat sur ce thème.
Goldberg a cité en revanche Julia Sweig, spécialiste des questions étasuniennes à Cuba, qui l’a accompagné dans son voyage. Celle-ci a nuancé la réponse de l’ex-chef de l’Etat : « Il [Castro] n’a pas repoussé les idées de la révolution. J’ai interprété ses paroles comme étant un aveu du fait que dans le « modèle cubain » l’Etat joue un rôle trop grand dans la vie économique du pays. » Selon l’experte du laboratoire d’idées Council on Foreign Relations, l’intention cachée derrière les mots de Fidel pourrait être celle de « créer un espace pour son frère et actuel président, Raúl Castro », lui permettant « d’appliquer les réformes nécessaires et de les mener à bien en dépit des résistances certaines de la part des communistes orthodoxes à l’intérieur du parti et de la bureaucratie ».
Depuis son retour à la vie publique en juillet, Fidel Castro a consacré de nombreux articles de fond, a donné plusieurs entretiens et a fait des interventions publiques pour parler du danger d’une guerre nucléaire mondiale. Mais il a évité toute allusion à la situation interne de son pays ou à la politique menée par son frère Raúl, à qui il a transmis la présidence en juillet 2006, lorsqu’il a dû subir une chirurgie intestinale complète.
Dès son arrivée au pouvoir, Raúl Castro a annoncé « des changements structurels et de conception » dans le système économique de l’île, bien que les autorités assurent que celui-ci n’abandonnera pas le socialisme.
Après des mesures initiales telles que l’autorisation d’avoir plusieurs emplois ou la répartition des terres en jachère entre des agriculteurs indépendants, Raúl Castro a annoncé au début du mois d’août 2010 qu’il autoriserait les Cubains à ouvrir de petits commerces, à engager de la main-d’œuvre et à commercialiser directement certains produits.
Le ministre de l’Economie, Marino Murillo, a déclaré en août que le gouvernement de Raúl Castro était en train d’étudier une « actualisation du modèle économique cubain où seraient primées les catégories économiques du socialisme et non le marché ». Murillo a illustré sa déclaration en annonçant la cession en location de plus de petits commerces à leurs employés [usufruit]. Mais il a insisté sur le fait que c’est la planification centralisée qui continuerait à régir les rapports et qu’il n’était pas question de céder à ces employés une quelconque propriété.
L’Etat cubain contrôle 90 % de l’économie, verse environ 20 dollars par mois aux travailleurs, leur offre la santé et l’éducation gratuite, de même que des logements et des transports à des prix très bas.
Dans le cadre des réformes entreprises, le gouvernement a annoncé récemment aux Cubains qu’ils devaient travailler plus et attendre moins du gouvernement. En même temps, Fidel a dit clairement qu’il ne voulait ni abandonner le système communiste, ni adopter le libre marché.
A son retour de Cuba, Goldberg, un journaliste spécialiste de la question du Moyen-Orient, n’a publié que des résumés et n’a que très peu cité les propos mêmes de Fidel Castro. C’est la première interview que l’ancien leader a concédée à un journaliste étranger depuis qu’il a renoncé au pouvoir présidentiel.
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Clarification de la part du leader cubain
L’ex-président cubain Fidel Castro a reconnu hier avoir dit lors d’un entretien que « le modèle cubain ne fonctionnait plus », mais après trois jours d’agitation mondiale, il a assuré que ses paroles signifiaient « exactement le contraire » de ce qui avait été interprété et qu’à son avis, ce qui ne fonctionnait plus, c’était le capitalisme. « Mon idée, comme tout le monde le sait, c’est que le système capitaliste ne marche plus du tout, ni pour les Etats-Unis ni pour le monde, qu’il conduit de crise en crise, crises qui sont à chaque fois plus graves, globales et répétées et auxquelles il ne peut échapper », a déclaré Castro lors de la deuxième présentation publique de ses Mémoires à La Havane.
« Comment un tel système pourrait-il être utile pour un pays socialiste comme Cuba ? » s’est demandé Castro dans un extrait vidéo diffusé par le journal de la télévision officielle, après que ses déclarations publiées mercredi par la revue étasunienne The Atlantic ont reçu un écho international.
Dans l’interview mentionnée, alors qu’il était interrogé par le journaliste israélo-américain Jeffrey Goldberg quant à savoir s’il pensait que le modèle cubain était quelque chose qu’il valait la peine d’exporter, Castro avait répondu : « Le modèle cubain ne fonctionne plus, même pour nous ». Lors de la présentation de son livre La contre-offensive stratégique, faite ans l’Aula de l’Université de La Havane, Castro a déclaré : « J’ai exprimé cela sans amertume ni préoccupation. Cela m’amuse maintenant de voir comment on a interprété mes propos au pied de la lettre. » Fidel n’a pas nié avoir dit ces paroles ni n’a remis en question le travail de celui qui l’a interviewé, Jeffrey Goldbert, un « grand journaliste » qui « n’invente pas des phrases ».
Goldberg a joint à son article les propos de la spécialiste des Etats-Unis à Cuba Julia Sweig, du Council on Foreign Relations, qui considère que Castro « n’était pas en train de renier les idées de la Révolution », mais qu’il essayait de « créer un espace » à son frère et actuel président, Raúl Castro, afin que celui-ci puisse appliquer les « réformes nécessaires ».
« La réalité, c’est que ma réponse signifiait exactement le contraire de ce qu’ont interprété les deux journalistes nord-américains concernant le modèle cubain », a affirmé Castro, qui n’a pas précisé si, par cela, il exprimait son refus du programme de lentes réformes économiques conduit par l’actuel gouvernement.
(Traduction A l’Encontre)