Tiré de MondAfrique.
Leur confrontation semble supervisée par un parrain politique et économique, Mamy Ravatomanga qui s’est imposé dans le cercle des Ultra-Riches de l’île rouge. Madagascar, loin d’offrir un système marchand daté, inaugure peut-être un type de capitalisme cosmopolite très contemporain. L’iceberg de la prédation illicite et clandestine des ressources naturelles, des pierres précieuses à la faune en passant par le bois de rose, a pour partie immergée le capitalisme formel dominé par des groupes non malgaches.
Le Bureau des droits de l’Homme des Nations unies se dit « préoccupé » par la gestion des rassemblements politiques et la « situation des droits humains ». Les observateurs ont noté un emploi excessif et disproportionné pour disperser quatre manifestations organisées par le Collectif des candidats à la présidentielle, dont un des membres a été arrèté ce mardi par la police.
L’Association Française pour le Développement (AFD), le bras armé financier du Quai d’Orsay, produisait en mars 2021 une étude intitulée : « Madagascar : le retour de la stabilité politique permettra-t-il le décollage de l’économie malgache ? ». On en est loin à la veille de cette présidentielle qui ébranle les églises protestantes et la classe politique. L’AFD sert toujours une resucée des analyses qui font porter sur la gestion publique et la trahison des élites malgaches l’impossibilité d’une croissance de l’économie pouvant contribuer à la réduction de la pauvreté.
« Madagascar a subi l’une des récessions les plus importantes de (son) histoire », renchérit Marc Stocker, économiste principal de la Banque mondiale.
La Banque mondiale, un an après l’AFD, soit en 2022, est moins optimiste que l’analyse précitée. « Avec le Produit intérieur brut actuel, le faible taux d’investissement annuel, il faut des années pour avoir une base de croissance soutenue », souligne Professeur Hery Ramiarison, économiste. Face à la pandémie, les opérateurs ont également souffert. La croissance a été structurellement limitée. Pour faire face aux différents chocs, l’institution de Bretton Woods suggère, entre autres, d’accélérer la campagne de vaccination, d’entreprendre des réformes en termes de tarification du prix du carburant, de l’électricité, de l’énergie, de l’investissement… outre l’éducation et la santé. Aucune de ces mesures ne sera appliquée.
Mais la Banque mondiale et l’AFD partagent la même bévue : croire que les oligarques (qui sont loin d’être tous Malgaches) ont besoin de réformes pour s’enrichir. Souvent le modèle de la libéralisation, selon les diktats de la Banque mondiale, a ruiné des entreprises encastrées dans l’économie nationale. La privatisation a permis de transférer des activités vitales de l’État à des entrepreneurs peu soucieux du service public. La « communauté internationale » assiste, sans aucune rétorsion contre Andry Rajoelina, au pillage des minerais, du bois de rose et des ressources halieutiques qui alimente une économie criminelle à même d’infiltrer et l’État et comme les banques du secteur dit formel. C
Ces entrepreneurs venus d’ailleurs
Le paradoxe malgache a longtemps résidé dans l’expansion d’un capitalisme insulaire sans la participation des indigènes qui avaient pourtant connu un empire prospère et marchand reposant sur l’esclavage. La colonisation française s’emploie rapidement à extraire le plus possible de ressources naturelles pour la métropole, en particulier pendant et après la seconde guerre mondiale. Le riz et le bœuf en boite (corned beef) nourrissent les Français tandis que la partie rurale de l’ile connait la famine qui débouchera sur la rébellion populaire de 1947.
Ce sont des Indiens implantés dans l’île, dès la fin du XIXème siècle, qui créent, en 1930, avec Socota, une entreprise textile dont les produits sont destinés au marché intérieur. Avec la libéralisation de l’importation, en 1990, sur la recommandation de la Banque mondiale, les arrivées de textiles et de vêtements qui échappent à la TVA détruisent le marché de Socota.
Le groupe se diversifie (les crevettes Bio en particulier) et s’oriente vers l’exportation de textiles pour survivre. La suspension de l’AGOA, de 2009 à 2014, pour cause de coup d’État de Rajoelina, va compromettre la santé du groupe et l’inciter à déménager ses industries du textile vers un pays encore bénéficiaire de l’AGOA.
Les intérêts français restent présents dans l’économie malgache puisque 253 entreprises voient la participation d’au moins un investisseur direct français dans leur capital. Mais la dissémination de ces investissements français ne produit en rien un tissu d’activités et un élargissement des marchés intérieurs. L’année 2009, l’année du coup d’État de Rajoelina, l’investissement direct français s’accroit et se concentre dans 4 branches pour 76% du stock d’argent investi. Il s’agit des branches : « Activités financières » (27%), « Distribution de produits pétroliers » (21%), « construction et BTP » (16%) et « Télécommunication » (12%). On peut mettre quelques noms de monopoles sur ces branches : Total, Colas, Orange, etc.
Les capitalistes les plus riches de l’île et les plus visibles ne sont pas malgaches. Ainsi Ylias Akbaraly, à la tête du groupe Sipromad, Iqbal Rahim, le fondateur d’un des plus importants fournisseurs de services énergétiques et de produits pétroliers en Afrique, le groupe Galana, Karim Barday, PDG du groupe Basan, spécialisé dans l’agro-alimentaire, Ralph Fraise, il possède le groupe Henri Fraise Fils & Cie, un acteur français majeur de l’import-export, Salim Ismail, PDG du groupe Socota, et Malik Karmaly, PDG de Habibo Group, maitre de la grande distribution.
La position dominante de ces groupes familiaux est confortée par les licences de géants mondiaux comme Unilever et les alliances bancaires et sectorielles des Indiens avec les grandes entreprises du CAC 40. Celles-ci sont peu désireuses d’être en première ligne, au cas (bien improbable) où elles seraient questionnées sur la dérive politique ou les effroyables conditions de travail dans la Zone Franche Industrielle. Les licenciements sans pitié des femmes qui vieillissent par les patrons de la Zone Franche Industrielle sont un des exemples de la gestion importée dans le secteur dit moderne de l’île.
En dépit de l’emprise des capitalistes extérieurs sur l’économie visible de Madagascar, une néo-bourgeoisie nationale, très centré sur quelques leaders malgaches, émerge.
Les indigènes dans la cour des grands
A tout seigneur, tout honneur, et c’est bien sûr Mamy Ravatomanga qui va bâtir sa fortune et accumuler de l’immobilier à travers les privatisations des infrastructures et des services liés aux transports (terrestres, aériens et maritimes). Un des fleurons de la rafle sur les privatisations opérée par SODIAT, le groupe de Ravatomanga, reste Madarail. Par des détours juridiques où Christian Ntsay, actuel Premier ministre, apporte sa touche, SODIAT délaisse le rail mais s’empare des terrains urbains de Madarail. Le groupe SODIAT obtient d’abord l’attribution d’un droit commercial sur le site de la gare ferroviaire de Soarano (le centre de la capitale malgache) à la société Madarail, dont Mamy est l’actionnaire principal, pour une période de 50 ans.
Depuis 2022, ce n’est plus un simple droit commercial qui serait cédé, mais la propriété même des terrains. Par ailleurs, ce n’est plus Madarail qui en serait le bénéficiaire, mais Madarail Immobilier S.A. D’après le registre malgache du commerce et des sociétés, l’administratrice générale de cette entreprise, créée en 2013, est Herisoa Razakasolo, par ailleurs directrice de coordination du groupe SODIAT, et Mamy Ravatomanga est membre de son conseil d’administration.
Ce sont des montages que les plus riches des capitalistes français ne renieraient pas. Ravatomanga sait concilier des associés qui profiteront de cette manne issue du secteur public. Au conseil d’administration de Madarail, on retrouve Naina Andriantsitohaina, le fils du patriarche des patrons gasy, aussi maire de la capitale et Hassanein Hiridjee, l’actionnaire majoritaire d’Axian Group, deuxième fortune malgache et sixième au classement africain avec presqu’un milliard d’USD. Hiridjee est aussi un partenaire indispensable pour la vanille et d’autres filières à devises. Le capitalisme indigène s’accommode volontiers des patrons en place, y compris indiens, surtout quand ils sont fidèles au régime de Rajoelina. Ami et complice de Mamy, Edgar Razafindravahy, est le fondateur d’un conglomérat, le groupe Prey, qui compte plus de 10 sociétés dans le pays, notamment l’Express de Madagascar. Naina Andriantsitohaina, déjà cité dirige le conglomérat familial hérité de son père qui comprend entre autres Prochimad, distributeur de produits chimiques, et la BMOI, banque commerciale à Madagascar avec des capitaux français. SODIAT a repris Madarail à Bolloré qui le premier s’était emparé du chemin de fer malgache lors de la privatisation du secteur public. Mamy a gardé le directeur français que Bolloré avait mis à la tête de Madarail privatisé. Il n’y a donc pas vraiment de conflictualité entre les indigènes de la fortune et les princes de la finance française.
Des actifs dormants
Cependant, les quelques figures du capital indigène qui ont pu percer dans quelques niches ne suffisent pas à occulter que la bière à Madagascar reste française, le ciment, depuis peu suisse, etc. Il ne s’agit pas d’un capitalisme indigène à la nigériane qui serait affranchi de l’étranger et de l’État. Les holdings de Mamy Ravatomanga placés à l’Ile Maurice et à Panama ne sont pas capables d’investir à grande échelle et de conquérir des marchés comme Dangote, au Nigéria toujours.
Les capitaux sont des actifs dormants qui peuvent permettre une bonne opération mais n’autorisent pas la formation brute de capital fixe, source de croissance selon les économistes de l’AFD. La plus vieille expérience malgache de capitalisme, celle de la famille Andriantsitohaina, se voit toujours surclassée par les groupes d’origine étrangère. C’est sans doute l’ex Président Ravalomanana qui avait le mieux incarné un stratégie de marché au service du plus grand nombre des pauvres, avec la transformation des produits laitiers.
À Madagascar, le vainqueur de la Présidentielle est un club de milliardaires dont les entreprises sont en bas des classements internationaux par la taille et par le chiffres d’affaires.
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