Édition du 17 décembre 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Luttes syndicales

Alma

Les travailleurs de Rio Tinto défendent leur dignité contre le revanchisme et les réorganisations antiouvrières de la compagnie

- Entrevue avec Marc Maltais, président du Syndicat des travailleurs de l’aluminium d’Alma -

Les travailleurs de l’aluminerie de Rio Tinto Alcan à Alma reprennent progressivement le travail après avoir signé leur convention collective au début juillet, mettant fin à un lockout de plus de 6 mois.

(tiré du journal Le marxiste-léniniste, LML)

Selon le protocole de retour au travail négocié par le syndicat, tous les travailleurs devraient être rentrés à l’ouvrage dans les 90 jours qui ont suivi le redémarrage de la première cuve qui a eu lieu le 10 août. Les travailleurs d’Alma font état de difficultés multiples dues à une attitude revancharde de la part de RTA et des nombreuses réorganisations de travail que la compagnie a faites durant le lockout qui rendent les conditions de travail très insécuritaires.

Les travailleurs d’Alma ont une lourde tâche devant eux, devant simultanément se défendre contre les attaques à leurs conditions de travail, se préparer à l’échéance de leur fonds de pension à la fin 2014 et faire avancer la lutte pour l’annulation de l’entente secrète entre le gouvernement du Québec, Hydro-Québec et RTA sur la question de l’hydro-électricité qui a notamment permis à RTA de financer son lockout à raison de 90 millions $ de vente d’énergie excédentaire à Hydro-Québec. Le Marxiste-Léniniste lance l’appel à tous les travailleurs du Québec et du Canada de continuer à appuyer de toutes leurs forces la lutte des travailleurs d’Alma dans la période qui vient. Cette lutte défend les droits de tous. Voici une entrevue réalisée récemment avec Marc Maltais, le président du Syndicat des travailleurs de l’aluminium d’Alma.

LML : Peux-tu nous en dire plus sur les conditions dans lesquelles s’effectue le retour au travail ?

Marc Maltais : Il y a définitivement une attitude de revanche de la part de l’employeur contre la lutte que nous avons menée et les gains que nous avons faits. L’employeur aime à prétendre dans la communauté qu’il est content du contrat que nous avons signé, mais à l’intérieur nous vivons une situation bien différente.

Il y a des mesures qui ont été prises que j’assimilerais à de l’infantilisme industriel. Ils ont enlevé des choses comme du mobilier dans l’usine, des choses qui peuvent sembler accessoires mais qui ont un impact sur le climat de travail et cela a choqué beaucoup de travailleurs. Ce sont des choses que tu ne penses pas à négocier. Tu t’imagines que quand tu vas rentrer au travail, qu’il va y avoir des portes dans les cadres de portes, que tu vas encore pouvoir aller prendre tes pauses dans les cafétérias, que les chaises dans les salles de repos vont encore être là, etc., mais tout cela a été changé. Ils sont allés beaucoup dans les aspects que nous n’avons pas négociés. Ça démontre ce que nous avons toujours dit, que si ce n’est pas écrit noir sur blanc dans la convention tu vas le perdre, et même si c’est écrit, tu vas devoir te battre pour le faire appliquer.

Il y a plus sérieux encore. On a eu des confrères, parmi les militants les plus combatifs, qui semblent avoir été identifiés et sur lesquels la compagnie exerce un suivi particulier.

En ce qui concerne le protocole de retour au travail, c’est difficile de faire respecter le principe de l’ancienneté dans le rappel des travailleurs. En plus, pendant un mois, avant le démarrage de la première cuve, ce sont les cadres et les sous-traitants qui ont préparé les cuves pour le redémarrage, ce ne sont pas nos gens qui les ont préparées. Tout cela a pris un mois avant que la première cuve soit redémarrée, et c’est seulement après cela que le compteur pour le retour à l’ouvrage a commencé et que le monde s’est mis à rentrer en plus grand nombre à l’ouvrage.

Il y a des endroits où il n’y avait à peu près jamais eu de sous-traitance, mais au lieu de faire rentrer nos gens ce sont des sous-traitants qu’on a fait rentrer pendant que nos membres attendaient pour revenir au travail. Dans notre négociation, nous avons réussi à maintenir nos concierges, tout le monde disait qu’on allait les perdre, qu’ils sont trop payés, on les a gardés mais la compagnie, au lieu de faire rentrer nos concierges tout de suite, a fait entrer des sous-traitants. Elle a plaidé que si elle fait des réorganisations, elle veut attendre que celles-ci soient toutes planifiées avant de faire rentrer nos membres pour que la job soit toute prête pour eux quand ils reviennent. Cette compagnie a toujours eu le droit de réorganiser son travail et cela n’a jamais été fait en faisant des mises à pied en attendant que la réorganisation soit faite. Bien que le retour au travail se soit fait de façon lente au début, nous avons fait des représentations et à l’heure où on se parle, le retour des travailleurs a commencé à se faire de façon plus rapide et nous sommes maintenant en avance sur l’échéancier.

LML : Qu’en est-il justement des réorganisations ?

MM : En voici un exemple. À l’électrolyse, avant le lockout, un même travailleur faisait toutes les tâches, le siphonage, le changement des anodes et l’opération elle-même. Ce sont 3 tâches différentes mais c’est le même travailleur qui les exécutait. Aujourd’hui, cette tâche a été sectionnée en deux, il y a des gens qui ne font plus que de l’opération, et d’autres font le siphonage et les changements d’anodes. C’est un changement organisationnel, mais aussi de philosophie parce qu’avant l’idée c’était d’avoir plus de tâches, d’être autonome, plus performant, de développer l’expertise des travailleurs, de considérer l’ensemble et non seulement la tâche ; le changement va avoir un impact négatif je crois sur la productivité et la qualité du travail. La façon précédente était moins débilitante, tu ne faisais pas toujours la même chose à la journée longue. Selon la compagnie, en faisant travailler les cadres pendant le lockout, elle a vu qu’il y avait soi-disant des temps morts dans la journée de travail du travailleur et elle veut les remplir.

Cela pose de très sérieux problèmes notamment en santé et sécurité. À mesure que nous sommes rentrés à l’ouvrage, nous avons vu que des risques ont été pris dans les opérations à la faveur du lockout. RTA dit que les normes de sécurité ont été respectées mais nous avons de sérieuses questions à ce sujet. Nos gens qui sont rentrés ont vu qu’on avait joué au fou avec des procédures de sécurité comme le cadenassage, des choses que nous n’aurions jamais acceptées. Mais les procédures ont été modifiées et de nouveaux documents ont même été écrits et maintenant la compagnie voudrait qu’on les adopte nous aussi et qu’on fasse les mêmes choses. Nous avons 3 représentants à la prévention dans l’usine et je te jure qu’ils ne chôment pas afin de s’assurer que la sécurité est respectée et que personne ne se blesse.

Toutes les normes et les procédures qu’on a aujourd’hui, on les a écrites avec notre sang, s’il y a des règlements c’est parce qu’il y a eu des accidents. Tu ne peux pas dire que ce n’est plus nécessaire. Et ces procédures là, on les a établies paritairement, travailleurs-employeurs. Il va falloir les reprendre dans leur totalité. On en a pour quelques années à reprendre un rythme normal en matière de santé et de sécurité de l’usine. Je viens de parler des changements à l’électrolyse ; il faut considérer tous les patterns, l’alternance, tout ça doit être pris en considération, tu peux être exposé pendant telle ou telle période de temps au béryllium, à la chaleur. Toutes ces choses là avec les réorganisations, il faut faire les calculs, est-ce qu’elles respectent ces considérations de santé et de sécurité ? Ce que RTA elle-même dit, c’est qu’avant d’implanter des réorganisations, on doit faire des schémas pour s’assurer que tu ne seras pas surexposé au contaminant, à la chaleur, à la fatigue musculo-squelettique, mais nous, nous sommes rentrés, et la réorganisation était déjà en place. On est obligé d’embarquer dans un train qui court, de faire les études chemin faisant, on n’est pas supposé de prendre de risques, mais on en prend ; le baromètre pour déterminer si la réorganisation ne fonctionne pas il a deux jambes et deux bras, s’il se plante on va constater que la réorganisation ne fonctionne pas. Nous ne sommes pas d’accord, ça n’est pas comme ça que ça doit marcher.

LML : On a parlé de 67 postes qui seront éliminés maintenant suite aux réorganisations. Qu’en est-il ?

MM : Ça fait partie des soi-disant gains d’efficacité que RTA dit avoir trouvés pendant le lockout par exemple avec le réaménagement des tâches d’électrolyse, les supposés temps morts que maintenant ils vont combler. Je veux préciser que pour ces 67 postes évaporés en question, les travailleurs qui les occupaient ne perdront pas leur emploi. Si les réorganisations marchent, les travailleurs vont être déclarés en surplus dans leur secteur et être déplacés ailleurs. Il n’y a pas de mises à pied. Nous avons gagné qu’il n’y aura pas de mises à pied. Déjà, en mars dernier, la compagnie nous avait approchés au sujet de 139 mises à pied qu’elle voulait faire. Nous avons dit, déjà à ce moment-là, si tu veux négocier, pas de mises à pied. On est sortis à 778 et on est rentrés à 778.

LML : Récemment, le journal Le Quotidien a publié les résultats d’un sondage fait par la firme Segma Recherche qui dit que la majorité de la population de la région pense que c’est RTA qui a gagné la bataille avec le lockout et que les travailleurs ont été défaits. Quelles sont tes réflexions à ce sujet ?

MM : Je ne sais pas si vous êtes au courant, mais la question sur notre conflit était posée hors contexte. Le sondage portait sur les intentions de vote dans la campagne électorale ! On imagine la question, « à propos, c’est qui selon vous qui a gagné, RTA ou le syndicat ? » Ça nous montre les tentacules médiatiques de RTA à l’oeuvre, qu’elle ne veut pas admettre que nous avons gagné, qu’elle veut créer l’impression que des compagnies comme elles sont trop grosses, que c’est impossible de leur tenir tête, que toute résistance est futile. La réalité c’est que c’est nous autres qui avons gagné la bataille de l’opinion en expliquant les choses.

Le sondage ne s’adressait pas à des gens qui connaissent la question, mais à la population « at large ». Nous autres, au syndicat, cela nous a pris 7 heures pour présenter l’entente à notre membership. Cela nous a pris 5 heures pour présenter l’entente aux officiers syndicaux des autres usines qui sont des gens aguerris. Je comprends que les gens aient répondu comme ils l’ont fait. Ils ont répondu sur la base de leur impression. Ils se sont peut-être dits, OK, la compagnie a touché 90 millions $ en vente d’énergie pendant le lockout tout en maintenant un tiers de la production tandis que les travailleurs ont perdu 40-50 000 $ en salaires, alors ça a l’air que les travailleurs ont perdu. Toute la complexité du contrat de travail, toutes ses clauses, les gains sur la sous-traitance, les gains pour les générations futures qui sont uniques pour le Québec, le Canada et toutes les installations de Rio Tinto dans le monde, cela ne faisait pas partie du tableau. Cela dénote que ce genre de sondages n’a rien de scientifique.

LML : Où en êtes-vous à présent dans votre campagne sur l’hydro-électricité ?

MM : On est exactement là où on voulait être. Les candidats et les chefs des principaux partis n’ont pas eu d’autre choix que de se positionner sur des enjeux précis. C’est important parce qu’en 2015, si les conditions ne changent pas, RTA pourrait nous mettre tous en lockout, toutes les installations syndiquées de Rio Tinto Alcan dans la région parce que nos conventions collectives expirent en même temps à la fin 2015.

Notre première demande, c’est de connaître le contenu des ententes énergétiques entre Hydro-Québec et RTA. Grâce au Devoir, on a pu mettre le nez dans les ententes secrètes, mais le contenu exact à savoir combien Hydro-Québec paie pour l’énergie qu’elle achète de RTA est toujours secret. Ces contrats d’énergie nous ont impliqués à notre corps défendant, comment ça se fait qu’ils nous ont impliqués dans des octrois d’énergie sans qu’on soit au courant des conditions de ces octrois ? Pour RTA, le lockout est une opportunité d’affaires, mais quel est le prix de vente ?

On ne sait pas à quel tarif exactement Hydro-Québec achète l’hydro-électricité de RTA. On n’arrive pas à le savoir, paraît-il que c’est une question qui doit demeurer secrète pour ne pas nuire à la compétitivité des entreprises, mais nous, on nous a impliqués là-dedans sans qu’on ait un mot à dire. On a appris que RTA finançait son lockout avec ses ventes d’énergie alors qu’on était déjà en lockout sur notre banc de neige. Et en plus, on a deux ministres du gouvernement Charest qui ont pris position sur les ondes pendant le conflit contre nos revendications alors que nos négociations sont censées être une question privée entre RTA et nous.

Avec le très peu qu’on connaît, il y a des pistes de solutions que nous avons en vue. Demander que le prix de vente à Hydro-Québec reflète le prix de production de l’énergie pourrait être une solution. On ne demande pas qu’ils ne turbinent pas l’eau ; ce qu’on ne veut pas c’est qu’ils en tirent un avantage contre nous, on veut pouvoir négocier d’égal à égal. Le rapport de force que nous avons pu établir c’est justement d’avoir fait un débat public sur les grands avantages énergétiques qui leur ont été donnés. La crainte du nationalisme énergétique a été un des principaux facteurs qui les ont ramenés à la raison.

LML : Votre fonds de pension doit être renégocié lorsqu’il se termine à la fin 2014. Tu as dit que ça va être une bataille majeure pour le syndicat. Peux-tu nous en dire plus ?

MM : Notre fonds de pension, comme c’est le cas chez Produits forestiers Résolu, a un gros déficit de capitalisation. Le fonds de pension de RTA qui couvre 4300 travailleurs au Québec a un déficit de 1 milliard $. Lorsque j’ai participé à l’assemblée des actionnaires de Rio Tinto à Londres en avril dernier, Jan du Plessis, le président du Conseil d’administration de Rio Tinto, ne m’a pas permis de poser ma question même si j’avais ma main levée très visiblement. Pendant qu’il m’ignorait, Tom Albanese, le PDG de l’entreprise, me regardait en riant. Puis à un moment donné, un actionnaire se lève, c’est juste s’il n’avait pas avec lui une carte avec sa question écrite par la haute direction sur la scène, et il a dit que les régimes de fonds de pension à prestations déterminées sont quelque chose d’insécurisant pour les actionnaires. Guy Elliott qui est sur le CA a tout de suite répondu que les seuls fonds de pension à prestations déterminées qui restent sont en Amérique du Nord et on va y voir.

Notre fonds de pension arrive à échéance le 30 décembre 2014 et RTA a déjà placé ses nouveaux cadres sur un fonds de pensions à cotisations déterminées. On pense que RTA va essayer de mettre ses futurs employés sur un fonds de pension à cotisations déterminées, une forme de clause orphelin, quelque chose contre lequel on s’est toujours battu à vie à mort. Imagine la pression que RTA mettrait sur la population. Elle pourrait menacer de ne pas investir dans la phase 2 du complexe d’Alma et dans les phases 3 et 4 d’Arvida à moins qu’on accepte cette concession majeure dans les pensions.

LML : Que veux-tu dire en conclusion ?

MM : Le travail en commun que nous avons fait, tous les syndicats à affiliations différentes qui ont travaillé ensemble pendant le lockout, c’est crucial de le développer : TCA, Métallos, CSN, tout le monde. On ferait une grave erreur de sous-estimer la capacité de Rio Tinto et des autres grands monopoles à nous livrer bataille. Je ne pense pas que Rio Tinto soit faible. Quand j’ai rencontré des travailleurs de Rio Tinto de Tasmanie, j’ai vu ce qui leur est arrivé, j’ai vu que dans certains cas il y a juste une poignée de syndiqués qui restent. On ne doit pas prendre Rio Tinto à la légère.

J’ai assez de respect pour la capacité de combat de Rio Tinto pour reconnaître qu’ils sont organisés et que nous n’avons pas le luxe de nous tromper de cible. Nous sommes des syndicats différents, mais nous avons tous les mêmes objectifs. On veut la même affaire même si on ne s’entend pas nécessairement sur la manière d’y arriver. Ce n’est pas péjoratif d’avoir chacun nos drapeaux, de se sentir près de la philosophie de l’organisation à laquelle on appartient, mais essentiellement on veut les mêmes choses. C’est extrêmement positif que d’avoir des syndicats qui travaillent ensemble sur cette question de l’énergie comme cela se voit en ce moment et il faut que ça se développe.

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