Les municipales parisiennes cristallisent les désaccords au sein du Front de gauche
EUZEN Philippe
9 octobre 2013
La préparation des municipales parisiennes met en exergue les points de tension grandissant entre le Parti communiste et le Parti de gauche (PG). Les partenaires du Front de gauche n’ayant pas réussi à trouver un accord électoral, les cadres du PC parisien ont préféré, mercredi 9 octobre, favoriser une union dès le premier tour avec le Parti socialiste. Cette décision suscite l’émoi de leurs partenaires du Parti de gauche, qui estiment que « l’avenir du Front de gauche est en cause » et tentent de peser sur le vote des adhérents communistes qui prendront la décision finale lors d’un vote, du 17 au 19 octobre.
La direction du PC n’a pas voté à l’unanimité pour la création d’une liste commune avec le PS, mais 67 % d’entre eux ont préféré l’accord passé avec les socialistes parisiens à celui qu’ils ont négocié avec le Parti de gauche. « Nous avons obtenu du Parti socialiste des avancées concrètes », justifie le chef de file des communistes parisiens, Ian Brossat. L’accord passé avec les socialistes engage notamment la potentielle future majorité à produire 30 % de logements sociaux à horizon 2030, à créer 5 000 nouvelles places en crèche, à s’engager pour l’amélioration de l’offre de soins dans la capitale et pour l’égalité entre les femmes et les hommes.
Les adhérents devront se positionner en faveur de cet accord stratégique passé avec les socialistes ou en faveur de celui obtenu avec le PG. Si ce dernier n’a pas eu la préférence des membres du conseil départemental du PCF, c’est, expliquent-ils, parce que leurs partenaires du Front de gauche « n’ont pas la même volonté de rassembler la gauche ». Au contraire, le Parti de gauche « veut faire des municipales un enjeu national et sanctionner le gouvernement », là où le PCF souhaite pouvoir peser dans une majorité municipale plus large à Paris et conserver ses villes ailleurs en France.
L’AVENIR DU FRONT DE GAUCHE EST-IL EN CAUSE ?
L’autre raison qui explique leur choix est qu’ils ont obtenu du PS un nombre satisfaisant de sièges. En cas de victoire, les communistes disposeraient de 13 sièges de conseillers de Paris – ils en avaient demandé 15 –, et de 32 sièges de conseillers d’arrondissement. En revanche, de telles négociations n’ont pas abouti avec le PG. « Nous voulions avoir la garantie que nous aurions une représentation politique actuelle qui reflète la composition actuelle du Conseil de Paris. Mais la discussion n’a pas pu être engagée » avec le Parti de gauche, explique un cadre du PCF.
« Nous tenons au Front de gauche, plaide Ian Brossat. Je ne veux pas taper sur Danielle Simonnet [tête de liste du Parti de gauche pour les municipales à Paris], mais il ne faut pas insulter l’avenir. » Bien qu’ils n’aient pas la même stratégie politique vis-à-vis du gouvernement, des listes Front de gauche pourront cependant être présentées dans d’autres communes, comme cela semble se profiler à Marseille, « en fonction des circonstances locales et des intérêts de la population ».
En réaction, le président du Parti de gauche, Jean-Luc Mélenchon, qui fait des municipales parisiennes un symbole important, enjoint, sur Twitter, le PCF de ne pas « quitter le Front de gauche ». Dans un communiqué, le PG dit regretter ce vote et s’interroge : « Pourquoi donner la préférence aux socialistes plutôt qu’aux camarades des combats communs ? » Alors que les communistes veulent distinguer les socialistes parisiens de leurs homologues du gouvernement, le parti de Jean-Luc Mélenchon estime qu’il est difficile de justifier un ralliement local quand « les Solfériniens adoptent des lois de plus en plus à droite ». « Réduire le vote parisien a un événement local est une régression politique », estime-t-il, avant de prévenir que « l’avenir du Front de gauche est en cause ». « Cette manœuvre politique », ajoute-t-il, pourrait permettre au Parti socialiste de « parvenir enfin à diviser le Front de gauche et affaiblir sa lisibilité nationale en le faisant disparaître à Paris ».
Le message est clair. Le Parti de gauche veut peser sur le vote des adhérents communistes en faisant de la décision qu’ils prendront à Paris la pierre angulaire de l’avenir du Front de gauche.
Le Monde.fr | 09.10.2013
Front de gauche : risque de fortes précipitations
KRIVINE Alain
10 octobre 2013
La prochaine échéance des municipales va être un véritable test pour les différentes composantes du Front de gauche. Essentiellement dominé par le PCF, ses 8 000 éluEs et ses 761 mairies, ce Front connaît aujourd’hui des débats violents.
Ces débats ont déjà abouti à une scission de la Gauche unitaire. Une moitié regroupée autour de Christian Piquet refuse de participer à la création avec la Gauche anticapitaliste, la FASE et une partie des Alternatifs d’un « troisième pilier » qui ne serait que « l’extrême gauche du Front » selon ses opposants. Comme le PG, la GA s’inquiète de voir le PCF préparer des listes dès le premier tour avec le PS.
L’essentiel repose donc sur le PCF qui a réuni ce week-end plus de 500 dirigeants locaux et éluEs. En laissant formellement le choix des alliances aux instances locales, la direction a quand même donné le ton : critiquer le PS à gauche mais ne pas rompre avec un parti qui lui assure ses éluEs et donc en partie son financement. Pierre Laurent a été clair : « le cœur de notre stratégie : transformer la gauche pour la rassembler…Le maître mot pour nous n’est pas l’autonomie, c’est le rassemblement en allant le plus loin possible au premier tour et en rassemblant toute la gauche au second », et de conclure : « Pas de frontière au rassemblement ».
La direction a choisi
Le maire PCF de Saint-Denis, Didier Paillard, a tellement bien compris le message, que confronté dans sa propre ville à la candidature du député PS Hannotin, il conclu ainsi son interview dans l’Humanité : « L’union, pour l’heure, le PS s’y refuse. Mais je ne renonce pas et ne renoncerai jamais à notre démarche citoyenne de rassemblement à gauche »...
Le Conseil national a validé les noms des têtes de liste des villes de plus de 20 000 habitants. Dans les jours qui viennent, les militantEs du PCF devront trancher le choix entre liste autonome du Front de gauche ou liste commune avec le PS. À Paris où le PS accepte de doubler le nombre d’éluEs du PCF ou à Toulouse, les choix de la direction sont clairs. Mais pour les militantEs, ça ne sera pas évident.
Mélenchon a déjà décidé de déborder provisoirement le PCF sur sa gauche, en annonçant des listes autonomes dans toutes les grandes villes, avec donc dans certaines villes des forces issues du Front de gauche en concurrence… Au niveau des directions, ce débat reste essentiellement tactique, mais parmi les militants, cela rejoint un débat essentiel dont nous devons être partie prenante : être de simples opposants à la politique d’austérité ou construire une véritable opposition politique de gauche à un gouvernement dont les capitulations nourrissent l’extrême droite.
Alain Krivine
Front de Gauche : nous dépasserons nos difficultés ensemble !
publié le 13/10/2013 - tiré du journal du NPA
Front de Gauche : nous dépasserons nos difficultés ensemble !
publié le 13/10/2013
Face à la gravité de la situation, de nombreuses interrogations s’expriment sur la situation du Front de Gauche. Pour autant il ne peut être question aujourd’hui de rester passif et de laisser le doute s’installer.
Ces derniers jours, le patronat a engagé une violente offensive pour accroître le travail du dimanche. La libération de la parole raciste envers nos concitoyens Roms est encouragée par les représentants du gouvernement. La réforme des retraites se place dans la continuité de celles mises en œuvre par la droite. Les écoles, domaine soi-disant « sanctuarisé » par François Hollande et devant bénéficier de créations de postes, subit de plein fouet les conséquences de l’austérité gouvernementale à travers des réformes imposées de façon autoritaire, comme le démontrent les difficultés d’application des rythmes scolaires. Par ailleurs la conférence gouvernementale de septembre sur les questions énergétiques ainsi que le dernier rapport du GIEC confirment, dans une quasi indifférence générale, que la logique économique qui prévaut actuellement provoque de plus en plus de bouleversements environnementaux de grande ampleur.
Il y a plus que jamais besoin que le peuple se mêle de ses affaires, retrouve les moyens de s’exprimer pour faire entendre les exigences d’égalité, de justice sociale et environnementale.
Les résultats de l’élection cantonale partielle de Brignoles sont un signal d’alarme supplémentaire qui démontre la capacité du Front National à se nourrir de la démoralisation et du repli sur soi, tandis que la politique gouvernementale provoque une abstention et une démobilisation des électeurs dans toute la gauche. Il est nécessaire de redoubler d’efforts pour susciter un nouvel espoir à gauche, capable de mobiliser ceux qui subissent de plein fouet le désarroi provoqué par la politique du gouvernement.
Cela suppose que se fasse entendre une alternative de gauche à la politique libérale et répressive menée par François Hollande et Jean-Marc Ayrault. Dans cet objectif, il y a besoin que le Front de Gauche se déploie dans le pays à la hauteur des attentes qu’il a suscitées. Le Front de Gauche doit être capable d’être une force d’initiative pour entraîner largement toutes celles et tous ceux qui veulent un véritable changement de cap dans ce pays et en Europe.
Cela suppose de maîtriser collectivement au sein du Front de Gauche les débats qui nous traversent. C’est le cas notamment en ce qui concerne les prochaines élections municipales.
Pour notre part, nous pensons que partout où c’est possible, et en particulier dans les grandes villes, comme à Paris, Lyon, Toulouse, Marseille, Bordeaux… il est essentiel de travailler à la construction de listes ouvertes à l’initiative du Front de Gauche, en lien avec les initiatives populaires et citoyennes, pour le premier tour des élections municipales dans le but de changer les rapports de force à gauche et dans la société. C’est une question centrale pour faire entendre une autre voix que celle de la résignation, convaincre ceux qui hésitent et risquent de s’abstenir et pour mettre en échec les volontés de conquête de la droite et de l’extrême droite. C’est la meilleure manière de montrer que le Front de Gauche existe et porte une alternative lors de ces élections municipales. Ce qui devrait l’emporter c’est la nécessité que là aussi les électeurs puissent se prononcer pour une politique de gauche qui défende la retraite à 60 ans et refuse l’allongement de la durée de cotisation amenant à travailler jusqu’à 66 ans, comme le veut le gouvernement, pour une politique de gauche qui refuse un budget d’austérité qui va laisser intacte la répartition des richesses au profit des plus nantis, et va corseter les budgets des collectivités territoriales. Cet éclairage national s’accorde à nos projets locaux, élaborés avec les citoyens, pour conquérir des majorités de rupture ou une influence accrue du Front de gauche dans les municipalités. Bien entendu, au second tour, nous sommes tous favorables à rassembler les différentes listes de gauche du premier tour pour faire barrage à la droite et au Front National. Raison de plus pour faire entendre nos orientations au premier tour.
Bien sûr, il existera des situations dans certaines villes où se constitueront des listes communes avec les sections locales du Parti Socialiste, d’Europe Ecologie, du NPA. Cela est décisif notamment pour reconduire les municipalités dirigées par le Front de Gauche, comme dans les situations où le FN risque de conquérir des municipalités, mais cela doit se faire pour faire entendre une logique de rupture avec le libéralisme et en toute indépendance de la politique gouvernementale. Et nous constatons que le Parti Socialiste, de son côté, est plus préoccupé de conquérir des municipalités tenues par le Front de gauche que de rassemblement pour une véritable politique de gauche.
Quand des désaccords se produisent, il faut les mettre à leur juste place et ne pas faire en sorte que cette question paralyse l’ensemble du Front de Gauche.
Aujourd’hui, des dizaines de listes du Front de Gauche sont en train de se construire et représenteront une réalité politique nouvelle en mars 2014. Dans d’autres villes, les formations du Front de Gauche se retrouvent divisées et pourraient faire des choix différents. Dans ce cas, personne ne veut rester passif et chacun cherchera logiquement à mettre en œuvre son orientation.
Malgré cela, le Front de Gauche est, et doit rester uni sur la politique alternative qu’il défend face à celle du gouvernement. Quelle que soit la configuration globale, il est essentiel de préserver l’outil que constitue le Front de Gauche aujourd’hui. Il faut mettre de côté toute idée qu’un « autre Front de Gauche » pourrait émerger sur la base de situations de division de nos forces. Nous sommes unis sur un programme, « l’Humain d’abord ». Nous sommes unis pour défendre une autre Europe s’émancipant des Traités européens, et nous aurons l’occasion de faire progresser cette perspective lors des prochaines élections européennes, et avec d’autres rassemblements du même type que le nôtre sur le continent. Nous sommes unis sur la nécessité de travailler à rassembler une autre majorité avec d’autres forces de gauche pour gouverner sur une politique alternative à celle du gouvernement actuel. Nous sommes unis sur l’idée que sans le rassemblement d’une majorité alternative à gauche, ce sont les forces réactionnaires et le Front National qui profiteront de la situation. Aucune de ces perspectives ne peut se concrétiser sans un Front de Gauche rassemblé.
Quelles que soient ses limites et les difficultés qu’il rencontre, il est décisif de préserver le Front de Gauche, de le développer et de le dynamiser... Pour cela, nous ne pouvons pas attendre que la séquence des élections municipales et européennes se passe pour mettre en mouvement le Front de Gauche. Nous tourner ensemble vers le peuple. Cela veut dire donner un nouveau souffle aux différents espaces du Front de Gauche, aux Assemblées Citoyennes autour d’exigences de développement de l’égalité et de défense des libertés comme de celles pour rejeter les régressions sociales. Au sein de l’organisation actuelle de Front de gauche, il faut agir pour donner toute leur place aux Fronts Thématiques et au Conseil National, pour faire enfin entendre plus d’idées nouvelles, engager des campagnes publiques sur des exigences simples et immédiates qui démontrent qu’une alternative à gauche existe dans le pays et que nous sommes déterminés à la faire vivre.
Dimanche 12 octobre 2013
Clémentine Autain (FASE), Pierre Gayral (Les Alternatifs), Pierre-François Grond (GA), Ingrid Hayes (GA), Pierre Laporte (FASE), Roland Mérieux (Les Alternatifs), Danielle Obono (C&A), Francis Sitel (GU), Marie-Pierre Toubhans (GU), Stéphanie Treillet (C&A)