Édition du 18 juin 2024

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Amérique latine

Les gouvernements d’Amérique latine après Chávez

Du point de vue des gouvernements et des institutions en Amérique latine, les changements produits par la disparition de Hugo Chávez sont importants, mais non fondamentaux. Le processus révolutionnaire vénézuélien est plus faible et par conséquent ses adversaires sont plus forts. Mais si la direction de l’Etat et du PSUV se décident à radicaliser et approfondir la transformation du pays en s’appuyant sur ses bases, s’ils réduisent les gaspillages et améliorent la distribution alimentaire, le changement social pourra alors faire un nouveau bond en avant - d’autant plus que le léger rétablissement actuel de la consommation et de la production aux Etats-Unis, le principal marché vénézuélien, donne une certaine stabilité au prix du pétrole.

C’est sur cette dernière donnée, d’autre part, que reposent les garanties apportées par le gouvernement de Nicolas Maduro à Cuba, à l’ALBA [1] et aux pays des Caraïbes, à l’encontre des vociférations de la droite vénézuélienne contre les « cadeaux inutiles » en pétrole et en soutiens financiers accordés à ces alliés du Venezuela et des concessions sur ce plan que la droite du chavisme lui-même veut offrir à la droite anti-chaviste.

Pendant ce temps, au Brésil, face aux élections de l’année prochaine, la droite ne semble compter ni sur un candidat clair ni sur des possibilités de victoire. L’économie se porte mieux et le gouvernement compte sur le soutien des multinationales, de l’agro-business et du grand capital national auxquels il a fait d’importantes concessions tout en n’étant pas confronté à de fortes protestations sociales.

En Uruguay, par contre, il existe la possibilité que Tabaré Vázquez, qui incarne la droite du « Frente Amplio » [2], soit le nouveau président, ce qui affaiblirait les liens avec le Brésil (et avec le Venezuela), aggraverait les tensions avec l’Argentine et renforcerait une tendance au rapprochement avec les Etats-Unis et à la tentative de former un bloc très modéré au sein de l’Unasur [3]. Mais un tel changement serait graduel et quantitatif et non qualitatif. Au Paraguay, le nouveau gouvernement de Horacio Cartes, du Parti Colorado [4], corrompu et de droite, est pour sa part très lié au Brésil et maintiendra son opposition au rôle joué par le Venezuela dans le Mercosur [5] sans pour autant pouvoir s’opposer à l’intégration de l’Equateur et de la Bolivie.

Quant au Pérou, le modéré Ollanta Humala est toujours sous le feu des critiques de l’ex- président Alan García et du « fujimorisme » [6] et affronte en outre un problème frontalier avec le Chili ce qui, avec la croissance économique, permet de penser qu’il maintiendra dans le court terme sa politique. En Colombie, le président Santos regarde d’un œil ce qui se passe au Venezuela, en tentant de ne pas se compromettre avec la droite de ce pays et de maintenir le commerce frontalier, tandis que, de l’autre œil, il surveille le sabotage permanent exercé par l’ex-président Álvaro Uribe et l’extrême-droite et tente de les contrecarrer avec des négociations de paix avec les guérillas et avec de vagues promesses de réforme agraire.

En Equateur, Rafael Correa s’est renforcé face à la droite par son contrôle de l’Assemblée nationale tandis que l’opposition sociale de gauche est plus faible que jamais, ce qui donne une importante marge de manœuvre à un « progressisme » officiel de type social-chrétien. En Bolivie, la droite n’est pas en condition d’affronter le gouvernement d’Evo Morales qui, par contre, est confronté à une importante opposition dans les mouvements sociaux, tout en récoltant des progrès économiques généraux.

Le plus intéressant dans le continent latino-américain se produit aujourd’hui au Chili, où les luttes indigènes, les grèves et le mouvement étudiant permanent pour une éducation laïque, publique et gratuite coïncident avec la candidature présidentielle de Michelle Bachelet (qu’ils n’appuient pas), poussant cette dernière et le Parti Socialiste à se « gauchir » quelque peu.

En conséquence de tout cela, on peut prévoir pour l’avenir proche une Unasur plus modérée, un retard dans les plans intégrationnistes promus par Chávez et un Mercosur encore plus limité et avec d’abondants conflits internes où le Brésil pèsera plus et le Venezuela moins que dans le passé. Malgré les points critiques vénézuélien et argentin, il n’y a pas de bouleversements d’ampleur prévisibles.

Tout dépendra en effet vers où penchera finalement la balance dans la lutte pour approfondir le processus démocratique vénézuélien, pour porter des coups réels au capitalisme et construire des éléments d’autonomie et d’autogestion en renforçant les communes et les germes du pouvoir populaire. Pour vaincre la droite oligarchique et pro-impérialiste, il faut vaincre la bureaucratie et le centralisme autoritaire, le verticalisme décisionnel. Tel est le défi pour la prochaine période et de la conclusion de cette bataille dépendra d’où ira le Venezuela : vers le passé pré-chaviste ou vers la construction d’éléments socialistes.

L’Argentine affrontera également un processus électoral important en octobre prochain et une élection présidentielle dans un an et demi. Les 54% des votes obtenus par Cristina Kirchner font désormais partie du passé et aujourd’hui le gouvernement serait heureux avec 30 à 40% des suffrages qui lui permettraient d’être la première force majoritaire face à une opposition dispersée et de conserver ainsi la majorité dans le Parlement.

L’élection présidentielle semble quant à elle plus compliquée car il est difficile que le gouvernement – qui n’a pas d’autre candidat - obtienne cependant la majorité parlementaire indispensable pour amender la Constitution et permettre ainsi un troisième mandat consécutif pour Cristina Fernández Kirchner. En outre, l’austérité non avouée provoque des heurts avec les syndicats et irrite une opposition aussi violente, primitive et insatiable que celle au Venezuela, mais qui est plus désunie que cette dernière. La clé du problème de l’Argentine est que la légitime protestation sociale contre la corruption, l’autoritarisme et la réduction des salaires réels ne trouve pas d’expression politique positive.

Comme je tenterai de l’analyser dans un prochain article, ce qui est donc fondamental aujourd’hui en Amérique latine, c’est le degré actuel et l’évolution future de la conscience et de l’organisation des mouvements sociaux ainsi que « l’indépendantisation » d’une gauche anticapitaliste vis-à-vis des mouvements nationaux-populaires confus qui sont désormais arrivés à leur limite.

Source : http://www.jornada.unam.mx/2013/05/05/opinion/022a1pol
Traduction française pour Avanti4.be : Ataulfo Riera

Notes d’Avanti

[1] L’ALBA (Alliance bolivarienne pour les peuples de notre Amérique) est née en 2005 sur l’initiative de Chavez afin d’offrir une alternative continentale au projet étatsunien (mis en échec par les mobilisations populaires) d’une « Zone de libre-échange des Amériques ». L’ALBA réunit aujourd’hui le Venezuela, Cuba, la Bolivie, le Nicaragua et l’Equateur, ainsi que trois petits Etats de la Caraïbe.

[2] Le Frente Amplio (Front large) est un mouvement politique fondé en 1971 rassemblant le Parti démocrate chrétien, le Parti communiste, le Mouvement révolutionnaire oriental et le Mouvement du 26 mars, fondé par les ex-guérilleros « Tupamaros ».

[3] L’Union des nations sud-américaines, né en 2008, anciennement connue sous le nom de Communauté sud-américaine des Nations, est une organisation intergouvernementale intégrant deux unions douanières présentes dans la région : le Marché commun du Sud (Mercosur) et la Communauté andine (CAN), dans le cadre d’une intégration continue de l’Amérique du Sud. Son objectif est de « construire une identité et une citoyenneté sud-américaine et [de] développer un espace régional intégré ». Elle est composée des douze États d’Amérique du Sud (Wikipédia)

[4] Le Parti Colorado est un vieux parti politique interclassiste de la droite libérale qui a longtemps alterné au pouvoir avec son rival, le Parti Blanco, conservateur.

[5] Le Mercosur (« Marché commun du Sud »), né en 1991, est une communauté économique qui regroupe plusieurs pays de l’Amérique du Sud.

[6] Du nom d’Alberto Kenya Fujimori, qui fut président du Pérou de 1990 à 2000. Coupable de meurtres et de violations des droits de l’homme, il s’est exilé pendant six ans avant d’être extradé vers le Pérou et condamné, en 2009, à 25 ans de prison.

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