« Alerte au peuple de Dieu. Unissez-vous. Ne votez pas pour Dilma Rousseff ! », « Dilma est en faveur de l’avortement. En voici la preuve », « Dites non à Dilma, dites oui à la vie ! » Des slogans de ce genre, hostiles à la favorite de l’élection présidentielle, ont circulé sur Internet pendant les semaines qui ont précédé le premier tour du scrutin, dimanche 3 octobre. A un rythme effréné, et toujours plus nombreux à mesure que l’échéance approchait.
Pour « Dilma », comme on l’appelle ici, il n’y a aucun doute : la campagne, à ses yeux calomnieuse, qui l’a prise pour cible a largement contribué à la priver d’une victoire au premier tour. Avec 46,9 % des voix, sous la bannière du Parti des travailleurs (PT), la dauphine du président Luiz Inacio Lula da Silva est en ballottage favorable avant le second tour qui l’opposera, le 31 octobre, au social-démocrate José Serra (32,6 % des suffrages). Avec 19,3 %, la candidate verte Marina Silva, quoique éliminée de la course, est la grande gagnante du premier tour. C’est elle qui, par son score brillant, a mis en ballottage Mme Rousseff.
Thème dominant
Les consignes de vote anti-Dilma sont signées : elles émanent des milieux chrétiens conservateurs, catholiques et, surtout, évangéliques. Elles accompagnent des films vidéo mêlant des sermons de prêtres ou de pasteurs, des citations ou des extraits d’interviews de la candidate. Objectif de ces montages : mettre en évidence d’éventuelles contradictions dans les discours de Dilma, et la faire passer pour une dangereuse antichrétienne.
Exemple : dans une homélie, déjà visionnée trois millions de fois sur la Toile, le pasteur Paschoal Piragine, de Curitiba, dans le sud du Brésil, appelle à « ne pas voter pour Dilma ». C’est la première fois, précise-t-il, en trente ans de sacerdoce, qu’il donne un tel mot d’ordre au cours d’un culte. Il diffuse ensuite un film dénonçant, pêle-mêle, l’homosexualité, la pornographie, la pédophilie, le divorce, la violence domestique, l’infanticide, et, point d’orgue, l’avortement. On voit dans ce film une femme rouée de coups et une enfant enterrée vivante. La dernière séquence, illustrée de foetus ensanglantés, s’achève sur un appel : « Eglise brésilienne, réagis ! »
L’avortement est le thème dominant de cette croisade anti-Dilma. Au nom du « droit à la vie » garanti par la Constitution de 1988, l’interruption de grossesse est interdite, sauf en cas de viol ou de danger mortel pour la mère. C’est un « crime » que le gouvernement Lula a tenté de dépénaliser. En vain. Il a dû battre en retraite face au tollé de l’Eglise catholique.
Dans le passé, Mme Rousseff, fidèle au programme du PT, a prôné la légalisation de l’avortement, pour des raisons de santé publique. C’est ce qu’elle déclarait encore au quotidien Folha de Sao Paulo en 2007 et à Marie-Claire en 2009. Or, depuis qu’elle est la candidate du PT, elle tient un autre langage. Elle affirme vouloir s’en tenir à la loi, comme d’ailleurs 68 % des Brésiliens, favorables, selon un sondage de 2008, au statu quo.
Hypocrisie
Dans cette affaire, l’Eglise catholique fait montre d’une certaine hypocrisie. La Conférence nationale des évêques répète volontiers qu’elle est politiquement « neutre » et n’a jamais donné la moindre consigne de vote. Mais elle s’est bien gardée jusqu’ici de condamner les auteurs des attaques, parfois violentes, contre Mme Rousseff.
L’intéressée dénonce une campagne mensongère émanant « des bas-fonds du monde politique ». Elle dément avoir jamais dit, par exemple, que « seul Jésus pourrait la priver d’une victoire ». Le 24 août, elle avait publié une « lettre au peuple de Dieu » où elle demandait aux chrétiens leurs « prières » et leur « vote ». C’est le moment où elle a commencé à baisser dans les intentions de vote des évangéliques.
Son équipe de campagne a réagi tardivement. Quatre jours avant le scrutin, Dilma Rousseff a organisé une rencontre avec des curés et des pasteurs évangéliques et a souligné qu’elle « respectait la vie ». Deux jours avant le vote, elle a assisté, à Porto Alegre, au baptême de son petit-fils. Cette fille de communiste, qui se disait naguère « non pratiquante », « à moitié mécréante », a rappelé qu’elle était catholique et avait, elle aussi, été baptisée.
Ces paroles et ces gestes n’ont pas suffi à stopper le mouvement de défiance à son égard. Une partie des électeurs évangéliques lui ont préféré Marina Silva, candidate idéale aux yeux des pasteurs et de leurs ouailles, puisqu’elle est de longue date disciple de l’Assemblée de Dieu, la plus importante église pentecôtiste du Brésil.