Édition du 19 novembre 2024

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LGTB

Les LGBT ne doivent pas se laisser instrumentaliser par la droite

Dans un article intitulé « Les ’Inclusifs’ et l’affaire Awada : la diabolisation et la censure », paru dans une récente livraison d’Être magazine, André Gagnon attaque à son tour Dalila Awada. Il reprend les bricolages et organigrammes fantaisistes de Poste de veille. Ainsi, il reproche à cette Québécoise de « passer sous silence son implication dans tout ce qui est à caractère musulman, que ce soit le féminisme musulman, l’Association Bridges ou le Centre communautaire musulman de Montréal. Si elle nie tout lien direct avec Présence musulmane, le Congrès musulman canadien ou la Ligue islamique mondiale, elle ne nie pas pour autant son implication dans l’Association musulmane Bridges qui pratique la ségrégation sexuelle, ni sa participation au Centre communautaire musulman de Montréal dont l’imam chiite Ali Sbeiti a été formé en Iran des Ayatollahs. Pourquoi taire cet aspect pourtant évident de sa personnalité qui est à la base même de son engagement dans le débat sur la laïcité ? »

Cette sortie vindicative ne fait pas avancer le débat. La ségrégation sexuelle dont il est question ici, c’est celle qui a donné lieu à une salle divisée provisoirement en deux avec d’un côté les femmes et, de l’autre, les hommes. Quelques minutes plus tard, les deux groupes étaient à nouveau rassemblés. Mais puisque Madame Awada était présente à cette soirée, de même qu’Amir Khadir, ces derniers seraient complices de cette ségrégation, qui est comme certains se plaisent à l’insinuer, l’antichambre de la charia. Donc selon la logique de Poste de veille reprise ici par André Gagnon, on insinue qu’Awada et Khadir sont favorables à la charia. Autre amalgame douteux, Madame Awada a participé à une réunion du centre communautaire musulman de Montréal. L’imam de cette communauté aurait été formé en Iran chez les Ayatollahs. Ergo, Madame Awada défend les idées des Ayatollahs de l’Iran.

Je passe sur les propos similaires qu’il tient à l’encontre d’une autre Québécoise illustre, Madame Asmaa Ibnouzahir, invitée à deux reprises à prendre la parole dans des forums organisés par Québec solidaire. L’important est de noter que ce genre de propos met le feu aux poudres, jette de l’huile sur le feu et enflamme les esprits apeurés par l’envahisseur islamiste. Quand on tient à répétition ce genre de discours, on attise la haine, la xénophobie et le racisme.

On cherche à culpabiliser Dalila Awada en procédant par association douteuse. Mais puisqu’il n’y a que six degrés de séparation entre tous les êtres humains, nous sommes tous plus ou moins proches d’une personne illuminée et la facilité avec laquelle certains individus procèdent à des amalgames douteux n’a d’égal que la facilité avec laquelle on peut entacher des réputations.

Bien sûr, André Gagnon prend bien soin de préciser que sa lutte est contre les aspects homophobes de toutes les religions, et pas seulement la religion musulmane. Mais la virulence de son propos contre Dalila Awada s’inscrit bien dans la conjoncture politique des débats autour de la charte du PQ, qui ont ciblé d’abord et avant tout les musulmanes voilées. M. Gagnon a beau saluer les récents acquis de la laïcité institutionnelle québécoise contre la présence de la religion catholique à l’école, l’énergie déployée ici contre la figure de la musulmane voilée participe des sorties hystériques de très nombreux intervenants qui voyaient ou continuent de voir l’envahissement de l’Islam politique partout au Québec.

Ce discours civilisationnel de l’Occident contre la présence musulmane envahissante n’est pas neuf. Déjà en novembre 2012, un texte du Monde Diplomatique, faisant état des nombreuses luttes absolument essentielles des LGBT, notait qu’il existe une frange de droite qui instrumentalise leur lutte politique dans un combat civilisationnel contre l’islam. Ainsi, Gabriel Girard et Daniela Rojas Castro écrivaient : « ...la lutte contre l’homophobie a pu être instrumentalisée politiquement, comme l’attestent les controverses récentes sur l’« homonationalisme » (Cf. Jasbir K. Puar, Homonationalisme. Politiques queers après le 11-Septembre, Amsterdam, Paris, 2012 ; et Didier Lestrade, Pourquoi les gays sont passés à droite, Seuil, Paris, 2012.). Forgé comme un concept critique, celui-ci décrit le mouvement qui, au cours des années 2000, a conduit certaines franges du mouvement LGBT des pays du Nord à désigner les immigrés et en premier lieu les "musulmans" comme la nouvelle figure menaçante pour les modes de vie gays et lesbiens. Les préoccupations légitimes vis-à-vis des persécutions de certains gouvernements et de l’homophobie de secteurs réactionnaires de l’islam sont ici enrôlées dans un combat "civilisationnel". Aux Pays-Bas, la figure de Pim Fortuyn, homosexuel revendiqué et homme politique d’extrême droite assassiné en 2002, prolonge jusqu’à la caricature cette tendance. La frontière tracée entre le « progressisme » des pays occidentaux et l’« obscurantisme » des autres s’estompe pourtant quand on sait que les premiers refusent ou restreignent le droit d’asile pour les personnes persécutées en raison de leur orientation sexuelle dans les seconds... »

Aussi, on demanderait à certains militants LGBT d’avoir plus de retenue dans leurs élans contre les personnes de foi musulmane. Car inévitablement, cette montée aux barricades a de plus en plus les allures d’un discours qui confond la religion musulmane et l’homophobie. C’est aussi un discours qui a de plus en plus des accents frontistes que Marine Le Pen met présentement de l’avant et que le Parti québécois a étonnamment été amené à reproduire, alors que l’histoire du PQ n’a pourtant absolument rien à voir avec celle du Front national. C’est enfin un discours qui a de plus en plus les allures d’un combat civilisationnel à la Samuel Huntington.

Pire, c’est un discours qui vise des minorités sous la forme d’un profilage ethno-religieux. Or, nos chartes des droits et libertés interdisent la discrimination contre toutes les minorités fragilisées, qu’il s’agisse des LGBT, des femmes, des personnes handicapées, des minorités ethniques ou des minorités religieuses. Cette discrimination doit être interdite, y compris dans la fonction publique. On se demande alors pourquoi certains LGBT s’en prennent avec autant d’acharnement à la minorité religieuse musulmane.

On attend toujours des preuves démontrant la présence à nos portes d’un prétendu islamisme politique. Certes, il faut être vigilant et apprécier les enjeux en étant sensible à la perspective internationale. Mais dans la conjoncture actuelle, s’il existe bel et bien un mouvement international qui a pénétré le Québec depuis au moins 2010, c’est le discours islamophobe, alimenté par une hantise de l’Islam politique, celle-ci étant entretenue et fétichisée au point de devenir hargneuse.

Il faut poursuivre sur la voie de la laïcité de nos institutions. Il faut ainsi se munir d’une charte de la laïcité. Il faut en outre enlever le crucifix à l’Assemblée nationale et interdire les prières avant les conseils de Ville. Il faut travailler à visage découvert dans la fonction publique. Il faut transformer le service d’information de la Commission des droits de la personne en une Commission des accommodements, chargée d’informer la population sur les balises permettant de déterminer si une demande d’accommodement est raisonnable. Il faut peut-être aussi éliminer progressivement le financement des écoles privées confessionnelles et les crédits d’impôt aux organisations religieuses.

Toutefois, cela ne doit pas se faire aux dépens des individus. Ceux-ci doivent continuer d’être libres. Ils peuvent montrer leur foi religieuse, y compris dans la fonction publique. La foi religieuse ne doit pas être confondue avec des éléments doctrinaux passéistes qui ont historiquement été associés à la religion ou qui le sont encore dans certaines franges conservatrices ou intégristes.

L’hystérie anti-cléricaliste qui anime certains esprits ne doit pas être institutionnalisée, car c’est une posture qui va à l’encontre de la neutralité, valeur cardinale de l’État laïc.

Michel Seymour

Profs contre la hausse

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