Que l’on soit pour ou contre la grève étudiante, il convient d’appeler les choses par leur nom, aussi une petite leçon est-elle ici appropriée.
Voyons donc l’origine du mot. Les ouvriers journaliers de Paris se réunissaient place de Grève où ils attendaient de trouver du travail, de sorte que le premier sens de être en grève au début du XIXe siècle a été « chercher du travail » comme nous l’apprend le Petit Robert historique de la langue française.
Par la suite, des expressions comme mettre un patron en grève ont signifié le refus du travail d’un certain patron. Il a fallu ensuite peu de temps pour que le mot prenne le sens de « cessation collective des activités ». Au cours du XXe siècle, le mot a été appliqué à toute décision de cesser des activités. De sorte qu’on a parlé très normalement de grève des étudiants et même de grève des prisonniers.
Historiquement, toutes les grandes grèves étudiantes du Québec ont été appelées grève comme il se doit par les différents acteurs et commentateurs des événements. Le boycott, plus proprement appelé boycottage, consiste pour sa part à refuser les biens ou les services d’un fournisseur. On voit ici le choix idéologique de ceux qui préfèrent ce terme à grève : ils refusent les décisions collectives et estiment que les cours sont un service commercial.
Pour enfoncer le clou et montrer que la grève n’est pas le boycott, on pourra constater que lorsqu’il n’y a pas grève, il est possible pour un individu de boycotter un ou des cours, un professeur, un département, une université, etc.
L’étroitesse d’esprit de certains qui cherchent le droit de grève des étudiantEs dans le code du travail n’y change rien. Le droit de grève étudiante n’y figurera jamais puisque qu’il ne s’agit pas de relations de travail. Cela ne signifie pas pour autant que les associations étudiantes n’ont pas le droit de prendre des décisions collectives pour faire valoir leurs revendications.
À ce propos, il serait de bonne justice qu’un parti politique progressiste mette à son programme l’adoption d’une loi reconnaissant les droits collectifs des étudiantEs et le respect qui est dû aux choix que font leurs assemblées générales. Je quitte ici la linguistique pour le domaine politique.
Mais l’idéologie joue souvent dans les choix linguistiques, c’est pourquoi la sociolinguistique nous en apprend beaucoup sur le fait que la langue et le vocabulaire n’ont rien de neutre.
Que s’est-il donc passé pour que, tout à coup, on se mette à marteler que la grève étudiante n’en est pas une ? Qu’y a-t-il de différent avec 2005 ? En fait, la tendance à la marchandisation était déjà très forte en 2005, mais la propagande n’avait pas encore fait ce pas qu’elle attendait juste de franchir. Les mots ayant une valeur symbolique forte, les tenants d’une vision mercantile de l’éducation ramènent la grève à un choix individuel de refuser le service qui leur est offert. En fait, si les étudiantEs boycottaient, ils refuseraient surtout de payer leurs droits d’inscription ou refuseraient une université ou un département en particulier.
Ces retournements de sens sont typiques des autorités totalitaires qui, ne pouvant changer la réalité, en changent les appellations. On a ainsi des lucides, dont le sens d’origine est « raisonnement clair », puis « personne dont le raisonnement est clair, qui voit clair », alors qu’il s’agit plutôt de personnes aveuglées par le néolibéralisme.
Quoi qu’il en soit, pour revenir à la grève étudiante, il convient de se rappeler que d’utiliser le nom normal qui a du sens dans le contexte, c’est-à-dire grève ne signifie pas nécessairement qu’on y soit favorable, mais dès lors qu’on emploie le terme boycott, qu’on soit commentateur ou journaliste, c’est qu’on prend parti contre la grève et qu’on veut ramener l’action collective à un choix individuel et commercial.
Francis Lagacé, M.A. Linguistique, Ph. D. Lettres