Édition du 17 décembre 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Négociations du secteur public

Dossier du Collectif d’analyse politique - Nouveaux Cahiers du Socialisme

Le vent se lève

Les syndicats du secteur public ont atteint un niveau de mobilisation supérieur à ce que nous avons connu ces dernières années.

La cascade des mobilisations

Les syndicats du secteur public ont atteint un niveau de mobilisation supérieur à ce que nous avons connu ces dernières années. Plus de 80 % ont pris des votes de grève et c’est dans une proportion de 85% que ces votes ont été favorables. La manifestation du 3 octobre du Front commun (150 00 personnes ; 400 autobus venant de toutes les régions du Québec), qui suivait celle du 30 septembre de la FAE, nous confirme cet élan des salarié-es dans la lutte pour l’amélioration de leurs conditions de travail. Et ça ne s’arrête pas là ! Cette semaine, toutes les organisations, se sont donné-es le mot pour souligner la journée internationale des enseignants, et ainsi, des lignes de piquetage plus ou moins dures se sont dressées devant plusieurs établissements d’enseignement.

Autrement, les syndicats de la santé de la FSSS-CSN ont entrepris des occupations des bureaux de direction dans l’ensemble des établissements. Le Front commun a déjà dans ses cartons plusieurs autres actions de perturbation économique, comme cela avait été le cas le 1er mai dernier, ce qui avait bien dérangé les élites locales et le gouvernement. D’ici peu, on devrait revoir les « visites » du centre-ville et des institutions financières. Dans l’ensemble des régions du Québec à différents moments lors des prochaines semaines, la population sera sensibilisée. Force est de constater que les syndiqués ont décidé de se faire respecter par l’État employeur. Nous devons soutenir ces travailleurs dans leurs démarches, et ce, peu importe le chemin qu’ils et elles décideront de prendre dans la suite des choses. Un automne chaud était annoncé, eh bien, très chaud il sera !

Robert Deschambault


Sur le front de la santé, partout, ça mobilise

Selon Manon Massé du Conseil central du Montréal métropolitain, « les syndicats de la santé et des services sociaux de la CSN sont massivement embarqués dans l’action : « éducation politique auprès des membres sur l’austérité par le biais d’innombrables assemblées de cuisine, tournées départementales, sensibilisation de la population par la distribution de tracts, création de coalitions de quartier, sans compter les multiples actions de visibilité, dans les milieux de travail et sur la place publique, les manifestations de quartier, les occupations de bureaux de ministres ». Entre-temps ajoute Manon, les syndicats à la base et les conseils en région travaillent pour renforcer la confiance et la solidarité « en misant sur la mobilisation et l’unité dans l’action ».

Le retour de l’ASSÉ

À la fin du mois passé, l’ASSÉ a organisé un « Rassemblement syndical en éducation (RSE) où plus de 150 militants-es étaient présents pour échanger sur la prochaine ronde de combats. On dira que 150, ce n’est pas beaucoup, mais attention, cette rencontre a été marquante. De toute évidence, les noyaux constitutifs de l’ASSÉ semblent avoir surmonté un certain nombre de problèmes. Leur convergence si on peut dire, avec la frange radicale des professeurs de cégep (Professeurs contre la hausse) donnait à leur réflexion une profondeur, exprimant une sensibilité réellement anticapitaliste. C’est aussi la démonstration qu’une nouvelle génération prend la relève, démontrant une volonté non seulement combative, mais stratégique. Par exemple, les étudiants savent bien qu’il faut préparer un grand affrontement avec le gouvernement actuel, mais cela ne peut se faire à coups de slogans et de volontarisme. L’ASSÉ « reboostée » pourrait jouer un rôle important dans les prochaines étapes de la lutte, comme on le voit déjà dans les mobilisations en cours dans les cégeps.

Un beau matin au Cégep Marie-Victorin

Chez nous, le vote de grève est passé facilement (à 83,3 %), comme dans tous les autres syndicats de la FNEEQ jusqu’à maintenant (excepté le Centre québécois de formation aéronautique). Environ 250 professeurs étaient présents-es, ce qui en fait la plus grosse AG depuis 2010 au moins. Des questions légitimes ont été soulevées sur la formule de la grève régionale rotative. Une certaine frange aurait préféré aller directement vers la grève générale illimitée. Une majorité s’entendait pour dire qu’il aurait à tout le moins fallu une grève de l’ensemble des syndicats du secteur public en même temps, plutôt qu’une région ou deux chaque jour. Tout le monde insistait sur le fait qu’il fallait préparer dès maintenant la prochaine étape, que le gouvernement décrète nos conditions de travail ou pas. Malgré cela, nous nous sommes ralliés à la grève dans sa forme actuelle, d’une part parce qu’elle rassemble le Front commun et d’autre part, parce qu’on nous a assuré que la deuxième phrase du libellé de vote de grève (qu’on actualise le mandat en cours d’exercice) était là pour lancer le message que nous n’arrêterons pas au bout de 6 jours. Le déclenchement de la grève devrait se faire d’ici la fin octobre, après les élections fédérales. Le comité stratégie s’est gardé la prérogative de décider de la date. D’ici là, nous continuons le boycottage de la Commission des études (où les professeurs sont majoritaires) et des comités paritaires en plus des autres actions de perturbation et de sensibilisation. Nous sommes particulièrement fiers de l’appui local à la mobilisation de la FAE (le 30 septembre), par notre présence sur les piquets de grève de l’école Henri-Bourassa et par une publicité d’appui dans le journal Le Métro. Depuis le début d’octobre, nous avons commencé à faire des pauses bruyantes intersyndicales dans le corridor de la direction, tous les jours de 10 h à 10 h 15. Nous évaluerons lors de notre prochaine AG la possibilité de boycotter les portes ouvertes et autres activités du genre. Comme quelqu’un l’a énoncé à sa façon lors de notre AG de grève, les 6 jours de grève rotative ne seront que les « préliminaires » ; la bataille reste à faire ensuite, soit en continuant la grève, soit en faisant face à un décret ou à une entente négociée à rabais. À la FNEEQ, nous avons adopté une résolution émanant du Cégep Marie-Victorin, à l’effet de consulter les assemblées générales non seulement au moment où un décret surviendrait, mais surtout avant, durant la première phase de grève. Ces AG devront porter sur les façons de résister à un décret et nous espérons que les syndicats des autres fédérations et centrales feront la même démarche de réflexion dans les prochaines semaines.

Fanny Theurillat-Cloutier

Oser lutter

De nouveaux processus sont visibles dans la mobilisation actuelle. Ainsi, un rôle particulier est joué par les « étudiants-es assistants-es de recherche et d’enseignement », qui regroupent quelques milliers de membres qui à la fois dans le mouvement étudiant et dans le mouvement syndical. C’est ce que révèle un des textes de réflexion en prévision de la rencontre de l’ASSÉ, proposé par le Syndicat des étudiants-es salariés-es de l’Université de Montréal (SESUM). Entre-temps, comme au Cégep de Maisonneuve, des étudiants-es, des professeurs, des employés-es de soutien mettent en place des comités de mobilisation. Dans son texte, le comité de mobilisation du Cégep de Maisonneuve affirme que le but est de « faciliter les échanges entre des groupes qui se côtoient quotidiennement, mais qui ont rarement l’occasion d’aborder ensemble des problématiques de nature politique et sociale ». Également, des « assemblées intersyndicales de grévistes » organisent des rencontres en régions, pour « échanger sur les pratiques locales, organiser des visites de solidarité sur les lignes de piquetage et des actions autonomes de quartier, réfléchir à des façons de s’organiser face à une éventuelle loi spéciale ».

La grande bataille de l’éducation

Comme on le sait, le gouvernement offre un recul important au niveau salarial et des conditions de travail dans l’éducation. Pour autant, cette offensive néolibérale vise plus large, comme le rappelle Éric Martin, prof de cégep (voir sa lettre au ministre de l’Éducation). Il s’agit ni plus ni moins d’annihiler la réforme des années 1960 qui élargissait l’accès des études postsecondaires et donc de ramener chez nous le « modèle » américain, qui consiste à « offrir » aux jeunes des parcours « techniques » directement en phase avec les « besoins du marché du travail » (lire les entreprises), comme l’affirme le rapport Demers commandé par le gouvernement l’an passé. En fait, les politiques d’austérité visent à restructurer la société autour de nouveaux dispositifs axés sur la surveillance, le contrôle, la « performance » économique à court terme, ce qui implique d’instaurer une atmosphère de peur et d’insécurité, aussi bien en termes de précarité qu’en termes de « menaces terroristes ». On vise en fin de compte à empêcher les citoyens de penser, de créer du sens et de la culture pour comprendre et changer le monde, et comme le dit Martin, de « nous enfermer dans l’immédiateté et le monde des apparences ». Devant cela, les mouvements doivent, non pas « défendre » » ce qui existe, mais repenser une nouvelle école, l’ancrer au sein de la défense du commun, protéger la beauté du monde. Tout cela est par ailleurs bien expliqué sur le site de campagne de l’ASSÉ.

Mobilisation des profs au Collège Ahuntsic

L’entente de principe conclue en 2010 dans le secteur public a amèrement déçu les profs d’Ahuntsic, qui l’ont massivement rejetée en assemblée générale, en outre parce qu’elle avait été conclue avant même que les salarié-es aient pu livrer bataille. Il était hors de question, pour un grand nombre de ces profs, que la ronde de négo de 2015 soit une triste répétition du scénario de 20101. À l’initiative de l’exécutif du Syndicat du personnel enseignant (SPECA), les profs ont voulu se donner dès 2013 les moyens de mener en 2015 une négo préparée localement et longtemps à l’avance. Rapidement, un fonds de grève locale fut constitué, puis une réflexion sur les finalités de la négo amorcée, sans jamais attendre les consignes transmises par les organisations syndicales nationales, ni réduire à leurs propositions le champ des possibles. Par exemple, la recommandation du Front commun à l’effet de revendiquer une hausse salariale de 13,5% sur trois ans, soi-disant pour faire face au défi de la rétention d’une main-d’œuvre qui sans cette hausse s’exilerait en masse vers le privé, dut se buter à l’assemblée du SPECA, qui préférait envisager d’autres priorités que les salaires, sans renoncer à une protection du pouvoir d’achat cependant.
Les "offres" patronales déposées au cours de la dernière année, tant à la table centrale qu’à la table sectorielle, ne firent que jeter de l’huile sur le feu : leur mesquinerie fut assimilée par plusieurs profs à de la provocation patronale. Elles eurent sur le goût de se mobiliser un important effet catalyseur, qui était palpable dès avril dernier, quand fut votée en assemblée générale la grève sociale illégale du 1er mai. Ce jour-là, la volonté de résister à l’austérité, donc aux attaques contre les services publics, s’est illustrée vivement, alors que les profs d’Ahuntsic firent la grève sociale contre vents et marées, donc malgré l’injonction et nonobstant le dédain exprimé par les centrales envers ce type de grève. En septembre, 260 profs d’Ahuntsic se présentèrent en assemblée générale et votèrent la grève de 6 jours dans une proportion de 84%. Le vote avait été précédé de plusieurs journées d’actions locales de visibilité, qui s’avérèrent très mobilisatrices. Un plan comprenant une variété de types de moyens de pression, à être exercés cet automne, fut également mis en branle. Diverses initiatives dépassant le périmètre d’intervention des centrales (Rassemblement syndical en éducation, PCLH, manifeste "Pour une grève créative et combative", etc.) sont alimentées ou encouragées par des profs d’Ahuntsic, cherchant à faire de la lutte du secteur public une expérience décentralisée, à même de développer les capacités syndicales de la base, dans une logique d’empowerment. À la longue, cette culture syndicale locale, centrée sur le pouvoir de la base, permet d’envisager au moins deux types de stratégies syndicales qui se superposent : d’une part, l’action nationale des centrales (réglée au quart de tour et essentiellement corporatiste, donc assez prévisible dans l’ensemble) et d’autre part, les mobilisations décentralisées, axées sur la recherche d’un syndicalisme moins corporatiste, plus combatif et davantage capable de concevoir (donc de proposer) de nouvelles avenues de résistance. Cette logique à deux niveaux d’intervention est un acquis important et, vraisemblablement, un apprentissage issu du mouvement des carrés rouges de 2012.

Philippe Boudreau

Plusieurs profs voyaient bien, à l’usage, les limites de l’entente de 2010 : celle-ci ne permettait pas de protéger le pou­voir d’achat des salarié-es, qui constataient leur appauvrissement progressif à chaque année (de la convention) qui passait.


Détermination et prudence

Si plusieurs signaux sont positifs pour annoncer de grandes mobilisations, les associations et syndicats ne sont pas naïfs, car il y a plusieurs obstacles. En ce moment, il ne fait aucun doute que le gouvernement Couillard va imposer des lois spéciales décrétant la fin de la contestation et l’imposition de conditions par les politiques dites d’austérité. Que faire alors ? Si on respecte ces lois illégitimes, on se peinture dans le mur. Selon plusieurs, le mouvement social va lever pourvu qu’il y ait une participation massive qui embarque tout le monde, un peu comme au printemps 2012. Parallèlement, dans le mouvement étudiant, il y a un sain retournement par rapport à l’influence abusive qu’ont exercée des éléments que les étudiants de l’UQAM appellent les « nanars », qui, au nom de la liberté individuelle et de la « diversité des tactiques », ont agi sans penser aux « dommages collatéraux ». En réalité, il faut en finir avec l’aventurisme qui contredit, à toutes fins pratiques, les leçons de 2012 et où la mobilisation s’était construite sur la consultation permanente, la recherche du consensus, un travail d’éducation populaire patient et respectueux. Également, il faut avoir des approches régionalisées, puisque « tout le monde n’est pas pareil », comme l’a dit un étudiant de Rivière-du-Loup lors de la rencontre de l’ASSÉ.

Pierre Beaudet

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