Édition du 12 novembre 2024

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Asie/Proche-Orient

Le test (thermo)nucléaire en Corée du Nord, prolifération et désarmement

L’essai du 6 janvier en Corée du Nord confirme la naissance d’un nouvel état nucléaire. La prolifération de l’arme se poursuit et se poursuivra, notamment en Asie. Il est toujours plus urgent de relancer le combat international pour le désarmement général – un terrain sur lequel les mouvements progressistes en France sont particulièrement indigents.

Le 6 janvier, la Corée du Nord a annoncé avoir effectué son premier test d’une bombe H (à hydrogène) dite aussi thermonucléaire. Pyongyang avait auparavant effectué trois essais sous-terrains de bombe A (atomique) en 2006, 2009 et 2013.

Une bombe H utilise la technique de la fusion nucléaire. Elle est amorcée par l’explosion d’une bombe A, placée au sommet de l’ogive, qui a elle, recours à la fission. Elle s’avère beaucoup plus puissante qu’un engin atomique classique. C’est pourquoi, en août 1945, après avoir nucléarisé Hiroshima, les Etats-Unis se sont dépêchés de « tester » à son tour, avant que la capitulation du Japon ne devienne officielle, la bombe H sur Nagasaki. Des centaines de milliers de personnes ont ainsi été sacrifiées pour s’assurer en grandeur réelle des effets de ces armes de destruction massive.

L’essai nucléaire du 6 janvier dernier est confirmé par des experts en Corée du Sud et aux Etats-Unis, mais ils doutent qu’il s’agisse bien d’une bombe H – de même qu’il n’est pas certain que l’engin ait été miniaturisé, comme l’affirme Pyongyang, au point de pouvoir être porté par un missile de longue portée. Le régime nord-coréen a aussi affirmé, le 9 janvier, qu’il se doterait d’un sous-marin porteur d’ogives. « Nous rejoignons les rangs des Etats nucléaires avancés », s’est félicité un présentateur de la télévision officielle nord-coréenne.

Echec des négociations

Les Soviétiques ont enseigné à la Corée du Nord la maîtrise de l’atome à l’époque de la guerre froide, dans les années 1950-1960. Elle a depuis poursuivi ses recherches de façon indépendante et a engagé, au début des années 1980, un programme militaire secret, étant à même, à partir de ses centrales électriques, de créer le plutonium nécessaire ; puis d’enrichir l’uranium, présent dans les sols du pays, grâce à l’acquisition de technologies pakistanaises (centrifugeuses…).

Un premier accord international signé en 1994 a été dénoncé par l’administration Bush en octobre 2002. Des négociations multilatérales ont repris en 2003, à l’initiative de Pékin, à six : les deux Corées, la Chine, les Etats-Unis, le Japon et la Russie. A Washington, les néoconservateurs ont fait échouer un nouvel accord (pourtant quasiment conclu) en septembre 2005, recourant à des accusations infondées : création de fausses monnaies, blanchiment d’argent à partir de Macao. En 2006, Pyongyang a procédé à des tirs de missiles balistiques et à un premier essai nucléaire (utilisant le plutonium dont il avait gelé pendant 8 ans la production). En février 2007, un troisième accord était conclu, la Corée du Nord interrompant son programme et acceptant le retour des inspecteurs étrangers de l’AIEA [1] ; Washington devant fournir une assistance énergétique et normaliser les relations diplomatiques. Il a capoté en septembre 2008. Enfin, un quatrième accord a été signé en 2012, sous Obama, avortant en deux mois seulement. Le troisième essai a eu lieu en février 2013.

Les pourparlers n’ont pas repris depuis. Washington n’a plus grand-chose à offrir, tant la Corée du Nord est peu intégrée au monde (sur le plan économique ou diplomatique) – et a beaucoup à demander : renoncer à l’arme nucléaire déjà existante. Enfin, Pyongyang sait qu’aucune puissance de la région ne souhaite actuellement l’effondrement brutal du régime, non seulement parce que Pékin ne l’admettrait pas – pour des raisons géopolitiques et non pas de proximité politique –, mais aussi parce que cela ouvrirait une crise aux conséquences imprévisibles dans l’une des régions les plus sensibles, où les intérêts des grandes puissances rivales sont directement en cause (Chine, Russie, Etats-Unis, Japon).

Dans ce contexte, le régime nord-coréen pense qu’il peut et doit « pousser le bouchon » nucléaire aussi loin que possible. Il n’a aucun vrai allié et beaucoup d’ennemis jurés. Il augmente donc son pouvoir de nuisance pour faire monter les enchères et geler la situation au nom d’une politique de « dissuasion ». C’est rationnel, mais cela relève aussi d’une logique « après moi, le déluge » – nucléaire ?

La prolifération

C’est bien cet aspect rationnel qui est le plus inquiétant. La « dissuasion » du « faible au fort » a été l’argument clef justifiant la prolifération nucléaire, en commençant par la Russie face aux Etats-Unis, puis par des « puissances secondaires » comme la France avec De Gaulle ou la Grande-Bretagne en concurrence avec les Etats-Unis, ou encore la Chine en concurrence avec la Russie : ne pas laisser le monopole du feu atomique à une ou deux superpuissances militaires, dont on devient en ce domaine totalement dépendant.

La prolifération au nom de la dissuasion n’a pas cessé après la formation du club des cinq détenteurs officiels, membres permanents du Conseil de sécurité de l’ONU. Le Pakistan face à l’Inde. Israël pour s’émanciper de la tutelle états-unienne et s’imposer sur le théâtre moyen oriental. La Corée du Nord face au déploiement nucléaire massif de l’armée US en Asie du Nord-Est et pour ne pas dépendre de la diplomatie chinoise…

Il n’y a aucune raison pour que la prolifération cesse. D’autres états sont d’ores et déjà « pré nucléaires ». L’instabilité géopolitique générale et l’incapacité des Etats-Unis à établir un nouvel ordre mondial stable inquiètent : la protection de Washington sera-t-elle toujours garantie, quoi qu’il arrive ? L’Amérique latine reste hors du champ de confrontation nucléaire. On voit mal quel autre pays européen pourrait aujourd’hui se lancer dans l’aventure, mais qu’en sera-t-il quand la crise de l’Union s’aggravera qualitativement ? L’accord avec l’Iran a repoussé les échéances au Moyen-Orient, mais pour combien de temps, vu l’acuité des contradictions entre puissances régionales, la menace israélienne, les errements de la politique US ? Et quid du continent africain ?

C’est cependant en Asie que pourrait naître la prochaine puissance nucléaire, là où des ogives sont déjà installées dans un grand nombre de pays (partout où il y a des bases états-uniennes, en sus de pays détenteurs) ainsi que dans toute la mer de Chine (sous-marins, flottes…). Tokyo s’avère le prétendant le plus immédiat. La droite nippone utilise chaque « provocation » nord-coréenne pour tenter de légitimer aux yeux d’une population profondément pacifiste la dédiabolisation de l’arme qui réduisit en cendre Hiroshima et Nagasaki. En Corée du Sud aussi, des politiciens interviennent ouvertement en ce sens, dont des élus du Saennuri, le parti au pouvoir, y compris le président du groupe parlementaire de cette formation, Won Yoo-chul.

La prolifération nous rapproche toujours plus du moment où l’arme nucléaire sera effectivement utilisée sur un théâtre d’opérations régional. On ne peut cependant la combattre tout en justifiant le maintien du monopole des cinq puissances, membres permanents du Conseil de sécurité. C’est bien la question du désarmement général, espéré et possible après la fin de la guerre froide, qui continue de se poser.

Il faut tout particulièrement le rappeler en France, où le développement de nouvelles armes nucléaires destinées à être utilisées se poursuit dans l’indifférence. En Grande-Bretagne, il existe un mouvement vivace contre le déploiement des missiles Trident. Rien de tel dans l’Hexagone. Jamais cette question n’est évoquée lors des campagnes électorales ; jamais elle n’est négociée (même par les Verts) dans le cadre d’un accord de gouvernement ; jamais la poignée de physiciens ou les petites associations qui luttent avec ténacité sur ce terrain ne reçoivent le soutien qu’elles méritent (même si heureusement, le mur érigé entre le combat antinucléaire civil et militaire a été finalement abattu).

Les médias réduisent trop souvent la question nord-coréenne à l’autocratie et à la folie de la dynastie familiale des Kim. Dictature il y a. Instabilité mentale peut-être, mais les régimes présidentiels et autres pouvoirs personnels attirent, ailleurs aussi, de grands caractériels. En matière nucléaire cependant, la politique de Pyongyang fait malheureusement sens. Du point de vue des peuples de la région, elle est criminelle, contribuant à la spirale de militarisation engagée en Asie orientale – une dynamique mortifère initiée par d’autres puissances, que les médias considèrent cette fois « raisonnables », alors qu’elles n’en sont pas moins menaçantes. Rappelons encore une fois que les Etats-Unis sont les seuls à avoir effectivement utilisé l’arme, crime de guerre, crime contre l’humanité s’il en est !

Si nous n’imposons pas le désarmement nucléaire, nous aurons un jour ou l’autre la guerre nucléaire. Elle débutera probablement lors d’un conflit régional au prix de millions de vies. Et après ?

Notes

[1] Agence internationale pour l’énergie nucléaire.

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