Tiré de Entre les lignes et les mots
Ce rapport repose sur les résultats du « Baromètre Sexisme » mené avec l’institut Viavoice. En interrogeant un échantillon représentatif [3] de 2 500 personnes âgées de 15 ans et plus, ce sondage rend compte des perceptions de l’opinion face aux inégalités entre les femmes et les hommes, évalue le degré de sexisme de la population, mesure l’adhésion aux outils existants de lutte contre le sexisme et restitue les situations vécues par les femmes. À travers ce travail, le HCE a pour ambition de mieux mettre en lumière le sexisme, pour mieux le combattre.
Malgré des avancées incontestables en matière de droits des femmes, la situation est alarmante. Des progrès ont été enregistrés en 2022 notamment avec des nominations significatives en politique (Première ministre, Présidente de l’Assemblée nationale) et en économie (présidente de l’Autorité des marchés financiers, directrice générale du groupe Orange). De nouveaux moyens de lutte contre les violences ont été mis en place (budget et moyens de la police et de la justice affichés en hausse, implémentation des mesures du Grenelle des violences conjugales [4]) et de nouvelles dispositions favorables aux femmes ont permis des avancées importantes (contraception gratuite pour les moins de 25 ans, délai d’IVG allongé, PMA pour toutes, entrée en application de la loi Rixain, extension des domaines de l’éga-conditionnalité dans la culture). Enfin, de nouvelles prises de parole des victimes, dans les mondes universitaire ou politique par exemple, ont permis la mise en retrait de personnalités publiques, y compris de premier plan.
Mais cinq ans après #MeToo, le rapport dresse le constat d’une société française qui demeure très sexiste dans toutes ses sphères : les femmes restent inégalement traitées par rapport aux hommes, et elles restent victimes d’actes et propos sexistes dans des proportions importantes. De fait, le nombre et la gravité de ces actes augmentent, dans l’espace public, professionnel, privé, numérique… Les derniers chiffres du ministère de l’Intérieur, par exemple, indiquent une augmentation de 21% du nombre de victimes de violences conjugales entre 2020 et 2021 [5].
En dépit d’une sensibilité toujours plus grande aux inégalités et aux violences depuis #MeToo, les biais et les stéréotypes de genre, les clichés sexistes et les situations de sexisme quotidien continuent d’être banalisés. Ils restent de ce fait partiellement acceptés par une grande partie de la population. L’opinion reconnaît et déplore l’existence du sexisme mais ne le rejette pas en pratique, phénomène particulièrement prépondérant chez les hommes interrogés. Ce décalage entre perception, déclarations et pratique a des conséquences tangibles en termes de violence symbolique, physique, sexuelle, économique. Du sexisme quotidien, dit « ordinaire », jusqu’à ses manifestations les plus violentes, il existe uncontinuum des violences [6], l’un faisant le lit des autres.
Le rapport met enfin en évidence un manque de confiance important de la part des personnes interrogées à l’égard des pouvoirs publics portant la lutte contre le sexisme et l’inefficacité des outils mis en place, malgré les efforts consentis, manifestement insuffisants, pour répondre à une situation qui s’aggrave avec l’apparition de phénomènes nouveaux : violence en ligne, virulence accrue sur les réseaux sociaux, barbarie dans de très nombreuses productions de l’industrie pornographique, affirmation d’une sphère masculiniste et antiféministe. À cela s’ajoutent les signaux manifestes de recul pour les droits fondamentaux des femmes, notamment sexuels et reproductifs, à l’international – Iran, Afghanistan, États-Unis, Pologne, Hongrie, Italie. Partout, l’année 2022 est marquée par la réémergence d’un mouvement réactionnaire à l’égard des femmes, qualifié de « backlash » [7]. Face à ces évolutions inquiétantes, l’intervention des pouvoirs publics est tout particulièrement attendue par l’opinion, selon le sondage du HCE.
Le HCE propose des pistes d’action en urgence pour enrayer ce phénomène.
[1] – Slogan de la campagne nationale du HCE de lutte contre le sexisme du 23 au 27 janvier 2023. Pour plus d’information, rendez-vous sur https://www.haut-conseil-egalite.gouv.fr/
[2] – Augmentation de 21% du nombre de victimes de violences conjugales entre 2020 et 2021 selon Les violences conjugales enregistrées par les services de sécurité en 2021 ; En 2021, 143 morts violentes au sein du couple ont été recensées par les services de police et les unités de gendarmerie, contre 125 l’année précédente (18 victimes en plus, soit +14%), Les femmes représentant 85% de ces morts, on compte 122 femmes victimes de féminicide conjugal en 2021 contre 102 en 2020, soit une augmentation de 20%, selon Morts violentes dans les couples : augmentation des homicides conjugaux en 2021.
[3] – Représentativité assurée par la méthode des quotas appliquée aux critères suivants : sexe, âge, profession, région et catégorie d’agglomération.
[4] – Rapport d’information déposé par la Délégation aux droits des femmes sur le projet de loi de finances pour 2023 ; voir également : Grenelle des violences conjugales, 3 ans d’action et d’engagement du gouvernement.
[5] – Les violences conjugales enregistrées par les services de sécurité en 2021. Il est important de noter que le SSMSI précise à ce sujet « le nombre d’enregistrements a pratiquement doublé depuis 2016, dans un contexte de libération de la parole et d’amélioration des conditions d’accueil des victimes par les services de police et de gendarmerie ». Il est en effet important de rappeler, comme le fait le précédent rapport du HCE sur l’état du sexisme en France (2022) : Les données sur les violences sexistes sont toujours délicates et complexes à interpréter car elles résultent à la fois de l’évolution du phénomène en lui-même, de la perception qu’en ont les victimes et de leur propension à porter plainte. Par ailleurs, comme il est précisé chaque année dans l’état des lieux du sexisme en France, les données sont éparses, incomplètes et difficilement lisibles. Elles reposent principalement sur les enquêtes de victimation, les chiffres enregistrés par le Ministère de l’Intérieur dans le cadre d’un dépôt de plainte, ou concernant le nombre de mis en cause, et les données du Ministère de la Justice sur le nombre de personnes condamnées.
[6] – Concept issu des recherches féministes des années 1970, notamment à travers l’article fondateur de Liz Kelly, « Lecontinuum de la violence sexuelle », Le continuum de la violence sexuelle, Liz Kelly, traduit de l’anglais par Marion Tillous, Cahiers du genre 2019/1 (n°66), pages 17 à 36
[7] – Pour reprendre l’expression et le processus décrit par Susan FALUDI dans Backlash : la guerre froide contre les femmes, Éditions des Femmes, 1991.
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10 recommandations pour un plan d’urgence de lutte contre le sexisme
N°1 : Augmenter les moyens financiers et humains de la justice pour former plus et en plus grand nombre les magistrat·es au sein des juridictions chargées de traiter les violences intrafamiliales, à l’instar de l’investissement espagnol ;
N°2 : Instaurer une obligation de résultats pour l’application de la loi sur l’éducation à la sexualité et à la vie affective dans un délai de trois ans, et prévoir une sanction financière en cas de non-respect de cette obligation dans ce délai ;
N°3 : Réguler les contenus numériques pour lutter contre les stéréotypes,r eprésentations dégradantes, et traitements inégaux ou violents des femmes, en particulier les contenus pornographiques en ligne ;
N°4 : Rendre obligatoires les formations contre le sexisme par les employeurs ; N°5 : Généraliser l’éga-conditionnalité (qui conditionne l’argent public à une contre-partie en terme d’égalité) et la budgétisation sensible au genre ;
N°6 : Créer une Haute Autorité indépendante pour lutter contre les violences sexistes en politique ;
N°7 : Conditionner les aides publiques à la presse écrite à des engagements en matière d’égalité ;
N°8 : Rendre obligatoire un système d’évaluation et une publication annuelle sur la part de représentation des femmes dans les manuels scolaires, informant voire conditionnant leur mise sur le marché, sur le modèle belge ;
N°9 : Interdire la publicité pour les jouets genrés sur le modèle espagnol ;
N°10 : Institutionnaliser la journée nationale de lutte contre le sexisme le 25 janvier.
Télécharger HCE – Rapport annuel 2023 sur l’état des lieux du sexisme en France : hce_-_rapport_annuel_2023_etat_du_sexisme_en_france
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