Édition du 1er avril 2025

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Le massacre de trop en Afghanistan

Le massacre d’au moins seize civils afghans par un sergent de l’armée américaine, dans la région de Kandahar, est le symbole tragique d’une guerre qui ne cesse de dégénérer.

(tiré du site de mediapart)

À tous les niveaux, ces meurtres sauvages (neuf enfants, dont quatre fillettes de moins de six ans, ont été tués, certains d’une balle dans la tête) sont le reflet d’un conflit qui est désormais le plus long de l’histoire des Etats-Unis et qui, après avoir démarré sur le sentiment d’une juste cause internationale, s’achève dans la confusion, le sang et l’enlisement.

Le soldat assassin, dont l’identité n’a pas encore été révélée, avait déjà effectué trois déploiements en Irak avant d’être envoyé en Afghanistan en décembre 2011. Âgé de 38 ans, le sous-officier n’était pas un « bleu », mais, comme l’écrivent des soldats sur les forums militaires, peut-être bien un homme fragilisé par deux guerres mal préparées qui ont mal tourné, et dont le coût humain a toujours été balayé sous le tapis par le Pentagone et la Maison Blanche – qu’il s’agisse des victimes civiles « collatérales » ou des soldats blessés et traumatisés.

Ce sergent venait en appui à des commandos de « bérets verts » dont la mission consiste à « stabiliser des villages » en zones talibanes, en gagnant la confiance des habitants afin de leur faire comprendre qu’ils ont davantage à gagner à s’allier au gouvernement afghan de Kaboul plutôt qu’à frayer avec les talibans. Ces missions, emblématiques des efforts de contre-insurrection américains, sont extrêmement fragiles, et le moindre grain de sable peut tout ruiner.

Il est difficile d’imaginer comment les Américains vont tenir encore deux ans et demi

Dès que ces meurtres ont été révélés, Barack Obama et son ministre de la défense, Leon Panetta, se sont empressés d’appeler le président afghan Hamid Karzaï afin de s’excuser et de promettre une enquête. Mais ce genre de geste est aussi obligatoire qu’inutile. L’administration Obama, comme celle de Bush auparavant, s’est rangée aux côtés de Karzaï et de son clan en dépit de l’incompétence, du clientélisme et de la corruption de ceux-ci (dernier soupçon en date : l’armée de l’air afghane, financée par les Etats-Unis, se servirait de ses avions pour transporter de la drogue et des armes de contrebande). Or, cette fidélité n’a jamais été récompensée puisque Karzaï est un allié aussi peu fiable qu’inefficace.

Anticipant des appels à un retrait précipité d’Afghanistan, l’ambassadeur américain sur place, Ryan Crocker, s’est empressé d’écarter cette hypothèse. Il est pourtant difficile d’imaginer comment les Américains vont tenir encore deux ans et demi dans de telles conditions (le retrait de l’essentiel des troupes est prévu pour fin 2014). La formation de l’armée afghane, objectif prioritaire des Etats-Unis, est devenue de plus en plus délicate. Outre le taux de désertion qui demeure élevé, c’est désormais un job dangereux pour les formateurs – plusieurs d’entre eux ont été récemment tués. Le retrait progressif des alliés de l’OTAN n’arrange pas les choses : les Hollandais se sont définitivement retirés, les Canadiens et les Italiens ne participent plus à des opérations de combat, les Allemands vont entamer un départ progressif à partir de fin 2012, et François Hollande, si jamais il accède à l’Elysée, a promis de rapatrier tous les soldats français avant la fin de l’année.

Aux Etats-Unis, cela fait déjà aux moins deux ans qu’une majorité d’Américains jugent ce conflit néfaste et souhaitent sa conclusion. Ceux qui défendaient la poursuite de l’effort de guerre américain se retrouvaient principalement dans le camp conservateur. Mais aujourd’hui, même les républicains sont divisés. Si l’on observe les quatre candidats de droite encore en lice dans les primaires, deux soutiennent la poursuite de la guerre (Mitt Romney et Rick Santorum), un s’y oppose depuis le début (Ron Paul) et le dernier (New Gingrich) vient de déclarer : « Il y a quelque chose qui ne va vraiment pas dans la manière dont nous approchons toute la région. Je pense que la situation empire au lieu de s’améliorer. Nous risquons la vie de nos soldats dans une mission qui, franchement, n’est peut être pas faisable. »

Barack Obama, qui se flattait d’avoir mis fin à la guerre en Irak pour se concentrer sur le vrai conflit, celui d’Afghanistan, en augmentant le nombre de soldats et les moyens consacrés à cette bataille, est en passe de perdre « sa guerre ». Quoi qu’il arrive, et personne n’imagine que l’Afghanistan devienne rapidement la Suisse, une telle tuerie, avec sa charge symbolique, est le genre d’événement qui marque un conflit bien plus que toutes les routes construites, tous les programme agricoles initiés, et toutes les bonnes intentions sincèrement défendues.

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