La mobilisation de la journée des femmes du 8 mars à travers le monde, de par intersectionnalité, y contribue. D’autant plus que depuis quelques années, inspirées de la première grève féministe en Islande en 1975, ces manifestations se sont doublées de grèves dans maints pays, notamment en Espagne et en Argentine mais aussi en Suisse et cette année en Italie et en France. Reprenant son souffle après la Marche mondiale des femmes du tournant du siècle, « [l]a déflagration du mouvement #MeToo en 2017 (grâce aussi aux flammes courageusement allumées et entretenues par les féministes les années précédentes) a réussi à réintégrer le féminisme comme un cadre d’action acceptable dans l’espace public. »
Mais #MeToo a également eu lieu à une époque où les mouvements anti-genre gagnaient lentement et sûrement du terrain, s’attaquant souvent aux droits des femmes sous prétexte de les défendre contre ce qu’ils considéraient comme les aberrations du féminisme radical. […] [L’héritage féministe] a été réinventé et réinterprété dans ce que l’auteure américaine Susan Faludi a appelé le "fémonationalisme" pour cibler le féminisme progressiste, les droits reproductifs et les migrants. C’est ce qu’a résumé de manière frappante Giorgia Meloni [Première ministre d’Italie] lorsqu’elle s’est adressée à une foule de partisans du parti d’extrême droite espagnol Vox en 2022 : « Oui à la famille naturelle, non au lobby LGBT ! Oui à l’identité sexuelle, non à l’idéologie du genre ! Oui à la culture de la vie, non à l’abîme de la mort ! Oui aux valeurs universelles de la Croix, non à la violence islamiste ! Oui à la sécurité des frontières, non à l’immigration de masse ! »
L’intégration de l’activisme antiféministe et antigenre dans un mouvement conservateur plus large à travers le monde est devenue évidente pendant la présidence de Trump. […] Ces réseaux transnationaux sont puissants et efficaces. Issus de l’extrême droite, ils sont non seulement européens mais aussi mondiaux. […] Ils visent également les droits des personnes LGBTQIA+ et, dans le même ordre d’idées, la Convention d’Istanbul, l’instrument juridique le plus solide pour les droits des femmes en termes de violence sexuelle et sexiste, et en particulier de violence domestique et intrafamiliale", explique le rapport [Rapport 2023 de la Fondation Jean-Jaurès et de l’ONG Equipop].
Malgré des contextes politiques et sociétaux souvent défavorables, l’espoir continue de germer. […] L’un des principaux triomphes de ces dernières décennies a été le référendum irlandais sur l’avortement en 2018, lors duquel près de 70 % des électeurs se sont prononcés en faveur de la légalisation de l’avortement [mais contrebalancée par ladéfaite du référendum visant l’égalité des genres, NDLR] […] La force de la mobilisation féministe contre l’interdiction de l’avortement en Pologne est un autre exemple frappant. En 2016, plus de 100 000 femmes sont descendues dans la rue lors des « manifestations noires ». Le mouvement s’est transformé en grève des femmes en 2020, lorsque le gouvernement a proposé d’adopter la législation la plus restrictive d’Europe en matière d’avortement. L’impact des manifestations a ensuite atteint le parlement, le parti conservateur Droit et Justice (PiS) perdant sa majorité en octobre 2023. […]
Des changements positifs sont également intervenus au sein des gouvernements. Dans le paysage politique européen actuel, c’est l’Espagne qui place la barre très haut en matière de droits de la femme. […] La mobilisation de l’équipe espagnole de football féminin (et de la société dans son ensemble) à la suite du baiser forcé sur la bouche d’une des joueuses lors de la célébration de leur victoire à la Coupe du monde cet été montre que ces lois ont changé les termes du débat, même si les tentatives d’ignorer ces changements se sont avérées puissantes.
Les progrès réalisés dans un pays - en particulier lorsque ce pays est perçu comme catholique et conservateur, comme l’Irlande ou l’Espagne - stimulent les mouvements féministes au-delà des frontières. […] La solidarité internationale a alimenté des manifestations dans le monde entier, telles que les manifestations noires polonaises depuis 2016, les mouvements de femmes iraniennes et le mouvement argentin contre la violence fondée sur le genre Ni Una Menos, qui a débuté en 2015 et s’est depuis étendu à des pays tels que l’Espagne et l’Italie.
Les étudiantes de McGill pour la Palestine et Mères au front contre Northvolt
Cette montée de l’extrême droite qui menace les États-Unis et le Canada, si l’on en croit les sondages électoraux, est de plus en plus portée au Québec par le parti au gouvernement. Que ça soit la droite globaliste néolibérale aux ÉU, au Canada, dans l’Union européenne ou l’extrême-droite nativiste tout aussi néolibérale en Russie ou en Israël, elles deviennent des va-t’en-guerre génocidaires ou leurs complices. Tant leur sexisme militariste et répressif en découlant que la mobilisation des ressources vers la guerre désarçonnent autant le mouvement féministe que celui écologique. Dans un tel contexte il ne faut pas se surprendre que les femmes prennent à bras-le-corps la lutte contre la guerre comme cesétudiantes de McGill qui jeûnent pour la Palestine et qu’elles animent celles écologiques comme les Mères au front contre l’usine de batteries Northvolt et contre la pollution du dépotoir Stablex à Blainville sans oublier la direction femme de Mob6600 pour un parc nature dans Hochelaga-Maisonneuve. Les femmes étaient bien sûr au cœur de la grève du secteur public pour l’école publique. Cette lutte comme le disait le tract des Travailleuses et travailleurs pour la justice climatique était aussi une lutte climatique par son « aspect de « prendre soin », aspect qu’on oublie trop souvent ».
Une intersectionnalité gréviste à l’origine ouvrière et inspirée du marxisme
Cette intersectionnalité de la lutte des femmes était déjà à l’origine de la journée internationale des femmes car elle fut d’abord « une histoire d’ouvrières » et même « à l’origine de la Révolution russe ». La journée internationale des femmes renaquit au Québec « le 8 mars 1971 pour l’avortement libre et gratuit » inséré en France dans la Constitution, non sans arrière-pensée électoraliste par un gouvernement carrément droitiste, et renié aux ÉU par sa réactionnaire Cour suprême. Les tentacules tous azimuts du féminisme opposent au « capital [qui] épuise les deux seules sources de toute richesse : la Terre et le travailleur », dixit Karl Marx dans le Capital, le prendre soin des gens et de la terre-mère. Comme le dit un article de The Conversation,
Cette organisation [pour la grève féministe] s’appuie aussi sur la mobilisation d’un corpus féministe-marxiste des théories de la reproduction sociale. Celles-ci reprennent les analyses de Marx, « étendues au travail reproductif des femmes et à leur rôle dans les rapports de (re)production capitaliste ». Ces théories mettent en lumière le travail reproductif principalement pris en charge par les femmes, consistant à « produire l’être humain », c’est-à-dire l’ensemble des activités nécessaires à produire le travailleur, à faire en sorte qu’il/elle soit apte au travail dit productif au quotidien (travail domestique, prise en charge des enfants, mais aussi santé publique, éducation, etc.).
Au Québec, mais aussi au Canada anglais et aux ÉU malgré la mobilisation pour le droit à l’avortement, côté grève féministe « ça gronde » mais on n’y est pas encore. Les manifestations du huit mars sont restées confidentielles. Le mouvement féministe québécois, à l’avant-garde de la Marche mondiale des femmes en 2000, n’a pas encore repris son souffle. N’en reste pas moins que dans cette conjoncture adverse, les acquis des femmes dans le monde se maintiennent même s’ils n’avancent pas. Modestement, ici et là se tissent des liens intersectoriels pour la convergence des lutte. S’en sont inspirées les jeunes femmes du mouvement Fridays for Future de Greta Thunberg qui ont tendu la main aux grévistes surtout hommes du syndicat des chauffeurs de transport collectif d’Allemagne. C’est une telle intersectionnalité mondialisée qui requinquera le mouvement climatique pour qu’il reparte à l’offensive.
Marc Bonhomme, 10 mars 2024
www.marcbonhomme.com ; bonmarc@videotron.ca
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