La bouée de sauvetage pour 30% des Grecs s’est dégonflée
Il y a un an, les Grecs croyaient que tout était possible. Qu’ils allaient avec leur vote changer l’Europe et mettre fin à l’austérité. Syriza, le parti de la gauche radicale, se préparait à gagner les élections et dans les rues du pays, l’euphorie, l’espoir, la joie étaient au rendez-vous. Aujourd’hui, deux scrutins et un référendum bafoué plus tard, le désespoir guette car le pire est à venir.
Alexis Tsipras, issu de Syriza, a dû abandonner sous les coups de butoir des créanciers le programme parallèle qui devait compenser les mesures d’austérité adoptées en juillet dernier lorsqu’il a dû, à la surprise générale, signer pour un troisième plan d’austérité. Selon les médias grecs, c’est l’Eurogroupe qui a mis dans la balance le milliard d’euros qu’attend la Grèce depuis des mois. Un chantage que la Grèce connaît désormais à chaque nouvelle échéance et qui se répète depuis cinq ans.
Le « déni de soi »
Dans les rangs de Syriza, qui gouverne avec le parti de la droite souverainiste Anel, c’est la consternation : « On ne peut plus sortir parler aux gens », s’inquiète un militant qui veut garder l’anonymat. « On n’est plus crédibles, les plus touchés nous crachent dessus ».
« Je ne pensais pas qu’un gouvernement de gauche qui a demandé et obtenu le soutien de la rue irait aussi loin dans le déni de soi », renchérit Antonis, 35 ans, informaticien au chômage, sous le choc de l’annonce faite au Parlement.
C’est que le coup est dur. Ce programme parallèle, c’était la bouée de sauvetage pour les 30 % de Grecs qui n’ont plus accès aux soins, et qui sont sous ou proche du seuil de pauvreté. Exit donc les cartes d’approvisionnement de nourriture pour les plus démunis, les tarifs spéciaux pour le chauffage, la santé gratuite pour eux et pour tous les laissés-pour-compte, les classes de soutien, les soupes populaires de l’Etat, les cartes de transport moins chères… Bref, tout ce qui aurait pu maintenir à la surface ces « victimes collatérales » des plans d’austérité.
Faire face à “l’urgence humanitaire”. Selon les médias grecs, ce programme parallèle était évalué par l’Eurogroupe à un milliard d’euros. Un coût totalement surévalué si l’on sait que le programme prévu pour faire face à “l’urgence humanitaire” était estimé à l’époque par Syriza à 200 millions d’euros.
Déjà à l’époque, les créanciers avaient dans un premier temps refusé ce programme mais devant la bronca générale ils avaient dû revenir sur cette décision. En novembre et décembre, ils ont remis le couvert. Pourtant, le gouvernement grec affiche un excédent budgétaire primaire de 4,4 milliards d’euros contre un objectif fixe de 2,6 milliards.
On pourrait penser qu’avec cet excédent le programme pour les plus démunis est assuré. C’était compter sans l’obligation faite au gouvernement grec de verser 25% des excédents dégagés au remboursement de la dette. Celle-là même qui plombe l’économie du pays depuis des années et qui est devenue pour Alexis Tsipras la justification à toute mesure d’austérité.
Pour lui désormais la priorité, et sa planche de salut pour sa survie politique, est d’ouvrir le débat sur la dette. D’où les bouchées doubles mises en pleine trêve des confiseurs pour trouver des alliés et mener à terme la réforme de la sécurité sociale, qui devrait être votée d’ici la fin janvier. C’est le dernier obstacle avant de s’attaquer à la dette.
La logique des créanciers
Mais trouver 151 députés pour l’adopter ne va pas être simple. Le gouvernement renégocie durement pour éviter la réduction des retraites complémentaires, pour lesquelles les Grecs ont cotisé volontairement pendant des années. Si ces négociations n’aboutissent pas, ces réductions seraient de 15 à 20%. Les retraites de 170 euros seraient épargnées mais celles jusqu’à 400 euros réduites de 5 à 15%, les autres de 20%.
C’est que les créanciers n’ont pas la même logique que Tsipras. Lui, au départ, voulait réformer l’Europe de l’intérieur. Malgré des qualités évidentes de tacticien, il s’est heurté à un mur. Après, il a voulu être l’homme qui appliquerait l’austérité avec plus de justice et qui épargnerait les plus touchés par la crise. Les Grecs y ont cru et c’est pour cela qu’ils l’ont élu une seconde fois malgré son changement de cap. Mais là aussi, ce fut le fiasco car pour les créanciers il fallait faire un exemple et montrer que, en Europe, peu importe la couleur du parti élu, c’est la même politique libérale qui sera suivie. Une politique qui juge contreproductive toute dérive sociale d’où le rejet de ce fameux programme parallèle. Le social est superflu, seule la compétitivité compte.
En tapant ainsi du poing sur la table, les créanciers continuent leur travail de sape commencé dès le lendemain de la victoire de Syriza. Les patrons du pays, ce ne sont ni les électeurs ni le gouvernement, mais eux. Pour se maintenir au pouvoir, Syriza ne peut plus compter sur sa base, il doit se convertir en un parti social-démocrate.
Alexis Tsipras, pour changer les choses, devra se confiner dans le sociétal : autorisation du mariage gay, naturalisation des immigrés nés en Grèce, et des actions symboliques comme la réouverture de la télévision nationale grecque.
3 questions à Georges Sefertzis, politologue
1. L’abandon de ce programme parallèle est une surprise ?
C’était une promesse préélectorale pour contrebalancer la signature du dernier accord d’austérité. Il était adressé à l’opposition interne au sein du Syriza. Personne ne s’attendait à ce que cela soit réellement appliqué car il allait totalement à l’encontre du plan d’austérité signé. Ce n’est une surprise, mais une manœuvre de survie pour le gouvernement. Mais il n’est pas exclu que le gouvernement tente à nouveau, début 2016, d’introduire de nouvelles mesures humanitaires. Il faudra qu’elles soient alignées avec la politique d’austérité. Il est à craindre que cela aille de pair avec des nouvelles mesures complémentaires : nouvelles baisses de salaire, taux de taxation plus élevé, justement pour pouvoir les financer.
2. Quelles vont être les conséquences de l’abandon de ce programme ?
Il faut attendre le printemps pour voir comment la population va assimiler le programme d’austérité et réagir. Si les grands indicateurs de croissance économique bougent positivement, la réaction de la rue sera moindre. Sinon cela sera une grande épreuve pour le gouvernement. Ce qu’essaye de faire Tsipras c’est faire voter le plus tôt possible tout ce qui est du domaine de l’austérité pour avoir après le temps de faire des manœuvres de communication voire sociales pour absorber le choc de la rigueur.
3. Le gouvernement a-t-il encore une marge de manœuvre pour faire face à la crise ?
Je ne le crois pas. Je pense que la seule chose à exploiter par le gouvernement pour apaiser la crise, c’est avoir un bon résultat dans la renégociation de la dette.
Tout se jouera au niveau du climat économique : sera-t-il bon ou mauvais ? Que font les investisseurs ? Sinon, le mur va réapparaître au fond du tunnel.
Source : La Libre Belgique, avec l’aimable autorisation de l’auteure