Les quatre premiers pensent le débat dans la boîte, si l’on peut dire. Au sein de ce quarteron, les positions aux deux extrêmes sont tenues par un ancien membre de la Coordination nationale [1], qui plaide l’alliance avec le PQ pour chasser les Libéraux, et du dirigeant du site et de Gauche socialiste [2] qui plaide celle avec les mouvements sociaux parce que PQ ou Libéraux c’est chat noir, chat blanc qui attrape la même souris néolibérale. Entre les deux, se situent le coordonnateur du Réseau écosocialiste [3] et un ancien responsable aux orientations [4] qui jonglent avec les formules d’alliance à court ou moyen terme.
Puis il y a le deuxième quarteron qui pense en dehors de la boîte. Un premier, sans souci d’alliance, ne jure que par l’ancien porte-parole de la CLASSE qu’il voit propulser un nouveau Printemps érable [5]. Le second, fondateur du site [6], au contraire craint l’effet du vedettariat sur la démocratie partidaire, c’est-à-dire que l’opinion des porte-parole prime sur le programme. Puis il y a votre serviteur [7] qui propose une alliance sociale basée sur une plate-forme « Plein emploi écologique » issue de la substantifique moelle de la démarche programmatique du parti, d’où son inquiétude par rapport à la vague Gabriel Nadeau-Dubois (GND).
Le dernier, dirigeant du SPQ-libre [8], aile gauche du PQ... récuse le PQ identitaire de Jean-François Lisée pour prôner une alliance indépendantiste « à contenu social et politique »... comprenant Québec solidaire de GND et Option nationale, dorénavant en processus de fusion [9], et le Bloc de Martine Ouellet côté fédéral. Autant dire que L’Aut’Journal est en chemin tout en faisant pression sur Martine Ouellet pour qu’elle lâche le PQ qui lui a lancé une « volée de bois vert ». Ce brasse camarade renforce l’indépendantisme du parti tout en l’éloignant davantage du PQ. Fort bien. Mais quel sera le « contenu social et politique » de cet indépendantisme qui ne rallie que bien moins que 40% de la population du Québec et à peine plus du tiers de la plus jeune génération [10] ?
La question nationale n’est jamais bien loin
Sans doute, espérons-le, le feu couve-t-il sous terre si on en juge par l’intensité du Québec bashing que révèle, encore une fois, l’affaire Potter porteuse de toutes les dérives. Les poids [11] démographique et économique du Québec, lesquels s’amenuisant dans la Confédération, conduisent le gouvernement Trudeau, après celui de Harper, à laisser tomber les priorités économiques québécoises [12], très différentes du tandem canadien pétrole-auto [13] complètement absents au Québec, pour mieux le rendre dépendant des paiements sociaux de transferts, particulièrement de la péréquation, servant à l’humilier. Même l’à-plat-ventriste gouvernement Couillard n’en peut plus du mépris d’Ottawa.
À cet égard, Pierre Mouterde et Pierre Dubuc croient qu’il y a de sérieux problèmes avec le programme Faut-qu’on-se-parle dont GND est la cheville ouvrière. Le premier parle de « caractère lisse et éthéré, apparemment décontextualisé, détaché de toute histoire concrète, vidé de toute logique conflictuelle » [14] sans préciser, ce que fait le deuxième en soulignant que les auteurs du livre-programme, tout en faisant de l’éducation la grande priorité, ...ne réclament pas la fin des subventions publiques aux écoles privées, alors que le Conseil supérieur de l’éducation, dans son dernier rapport, a tiré la sonnette d’alarme à ce sujet […] partage[nt] avec le Parti Québécois, le même travers provincialiste, c’est-à-dire de ne pas lier une question particulière à notre état de dépendance dans la fédération canadienne. Par exemple, un long chapitre est consacré à la santé et à son sous-financement, sans montrer que cela est une conséquence de la réduction draconienne des transferts fédéraux, comme l’actualité le démontre. On n’y retrouve pas la radicalité du congrès de révision du programme du printemps dernier qui avait réclamé de « changer le système ». Pour ce faire il se donna comme axe programmatique une diminution très audacieuse des émanations de gaz à effet de serre des deux tiers d’ici 2030 par rapport au niveau de 1990, conformément aux objectifs des Accords de Paris, tout en écartant les néolibéraux et dysfonctionnels marché et taxe carbone.
Cet axe non seulement s’oppose-t-il frontalement à la priorité pétrolière canadienne mais il requiert la mobilisation de l’épargne nationale dont la majeure partie est sous la houlette de Bay Street et celle québécoise tout aussi soumise aux impératifs du libre-échange. L’indépendance de gauche s’impose donc. Inutile de dire que ce sera une rupture qui exigera la mobilisation de tout un peuple, toutes nationalités et langues d’usage confondues, et la sympathie des nations voisines. Seul un projet de société mobilisateur rendra possible ce front uni interne et externe y compris pour la langue commune française perçue comme porteuse de libération et d’émancipation comme c’était le cas il y a une cinquantaine d’années.
Tourner autour du pot pour ne pas se mouiller politiquement
Les deux jongleurs d’alliance participant au débat n’ont cure d’opposer à l’alliance péquiste — le seul élément programmatique en serait, selon son promoteur, le scrutin proportionnel ce qui est déjà beaucoup à réclamer du PQ qui ne l’a jamais mis en oeuvre — un cadre programmatique quelconque qui saurait contrebalancer l’attrait électoraliste de l’alliance avec le PQ ou de la fuite en avant de GND. Le premier se contente de dresser une typologie des possibles alliances électorales laquelle suggère une alliance limitée contre la CAQ [15] pour immédiatement y renoncer sans proposer une alternative. 1213 1415 second tombe dans la politique-fiction post-électorale s’achevant dans un « rêve » abracadabrant qu’on lui laisse.
Le dirigeant de Gauche socialiste, quant à lui, après avoir pourfendu savamment le néolibéralisme et après avoir rappelé pour une énième fois que le PQ a sombré depuis longtemps dans le néolibéralisme à sauce identitaire, ne propose aucun contenu programmatique pour sa « véritable Alliance populaire ». Faudrait-il se contenter d’un anti-libéralisme en creux loin d’une ébauche de projet de société qui seul peut rallier tant les membres du parti hésitant entre électoralisme et anti-libéralisme en clair que l’électorat qui ne demande pas mieux que de sortir du piège du « vote stratégique » comme l’a démontré aux ÉU la vague Bernie Sanders avant que les Démocrates ne la brisent. À moins de penser que ce projet de société est la la Constituante qui sans contenu en chair et en os modifiant les rapports de forces sociaux n’est qu’avocasserie pour professionnels de la politique.
Une déficience démocratique qui risque de s’aggraver
C’est ce contenu inspiré de la radicalité du dernier congrès Solidaire, dont la tâche principale était la révision du programme, que votre serviteur propose comme ébauche de plate-forme [16]. Si, comme l’écrit le dirigeant de Gauche socialiste, dans Québec solidaire, « [l]es porte-parole condens[ai]ent et exprim[ai]ent les aspirations des membres » [17] il n’y aurait pas à craindre que le prochain congrès impose un projet de société en phase avec les décisions du dernier congrès autant comme cadre du « Chantier du Renouveau politique 2018 » par lequel le parti veut « entamer un dialogue avec les acteurs et actrices du changement social »[ Québec solidaire, Québec solidaire lance le Chantier Renouveau politique 2018, 19/02/17 ]] que comme celui déterminant une alliance ou même une fusion partidaire.
Mais il y a belle lurette chez Québec solidaire que le discours médiatique et parlementaire des porte-parole s’est découplé du contenu du programme en ce qui concerne les éléments de rupture avec le néolibéralisme tels les objectifs de la réduction des GES, le rejet du marché et de la taxe du carbone, la gratuité du transport collectif sur dix ans, la nationalisation des industries stratégiques et l’expropriation sans compensation des entreprises qui se délocalisent et que les travailleurs voudraient transformer en coopératives. La tâche des déléguées au prochain congrès risque de s’avérer titanesque pour contrer le tsunami GND, dopé du livre-programme lénifiant de Faut-qu’on-se-parle, ce qui lui « ...donne un formidable pouvoir d’orientation qui n’a malheureusement rien de très démocratique... » [18].
L’alliance avec le PQ sera peut-être rejetée tellement ce parti, étranglé par sa stratégie nationaliste interclasse, se disqualifie. Mais ce pourrait être en faveur d’une illusion d’un PQ des origines déguisé en jeunesse radicale qui a déjà mis pas mal d’eau dans son vin. De passage à la très populaire émission Tout le monde en parle, GND n’a pas voulu parler programme mais plutôt rassurer par rapport à son rôle lors du Printemps érable [19]. La désillusion pourrait être à terme cruelle.
Marc Bonhomme, 26 mars 2017,
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