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En laissant ainsi, à un autre président la tâche d’appliquer des politiques de « réajustements » économiques, le plan de Correa était de s’éclipser pour redorer son image et ainsi revenir en 2021 pour sauver l’Équateur des programmes de « réajustements » produits par les déficits fiscaux. Il comptait ainsi s’appuyer sur une réforme constitutionnelle qu’il avait fait adopter en décembre 2015 et qui permettait une telle réélection.
Cependant, cette stratégie pour le retour au pouvoir de Rafael Correa nécessitait que celui-ci puisse continuer de contrôler l’appareil d’État au cours de la présente période. Il devait pouvoir s’assurer que les mesures ou les politiques fiscales continuent de s’effectuer sous le modèle de gestion publique corrompue, mis en place au cours des dix dernières années, et que les instances de pouvoir étatique demeurent sous le contrôle du pouvoir exécutif.
Ce plan impliquait que le parti « Alianza PAIS » prenne le pouvoir aux élections de 2017 et que la majeure partie des institutions publiques demeure sous l’autorité de hauts fonctionnaires proches de l’ancien président (Correa). Pour gagner cette élection, Alianza PAIS présenterait Lenin Moreno. Ce dernier, en raison de ses fonctions diplomatiques comme envoyé spécial aux Nations Unies, résidait à Genève depuis 2014. Cette absence de Moreno de l’Équateur faisait de lui un candidat idéal puisqu’il avait été maintenu en marge de l’effondrement où se retrouvait le gouvernement de Correa.
Il faudrait remonter très loin en arrière dans l’histoire de l’Équateur pour rencontrer un président qui, comme Rafael Correa, aurait terminé une période continue de 10 ans au pouvoir avec encore un important appui politique, et ce malgré la décadence des dernières années. Au-delà de l’énorme polarisation sociale créée autour du personnage, Correa a abandonné la présidence en comptant toujours sur l’appui social, particulièrement des secteurs populaires de la population. Ces secteurs sont redevables à Correa du développement de services et d’assistance sociaux ainsi que des investissements au niveau des infrastructures qui ont modernisé les services publics de l’état. Ce sera plutôt l’enchaînement accéléré d’erreurs politiques qui fera en sorte que l’ex président Correa perde l’hégémonie qu’il exerçait sur le pays.
Lorsque Lenin Moreno a accédé à la présidence, la plus grande partie des postes stratégiques de gestion étaient occupés par le personnel mis en place par Correa. Cette équipe, au sein du gouvernement Moreno, avait le contrôle (de la même façon que du temps de la gouvernance de Correa) d’un énorme appareil de propagande, mis en place au cours de la période antérieure :
• Contrôle étatique sur la production. Et ce, grâce aux pouvoirs dont était investi le vice-président Jorge Glas. Ce dernier, principal homme de confiance de Rafael Correa au sein du nouveau cabinet de Moreno, avait l’autorité pour décider de tous changements en matière de production et d’investissements vers les mégaprojets.
• Contrôle des orientations politiques du gouvernement. Et ce, grâce à des personnalités influentes telles que Paola Pabón, en charge de la gestion politique et du conseiller présidentiel et de Ricardo Patiño. Ce dernier, durant la gouvernance de Correa, était le principal opérateur politique au sein du parti Alianza Pais et il jouait le même rôle au sein de la députation majoritaire de Alianza Pais.
• De plus, Rafael Correa avait le contrôle de la fiscalité et de l’appareil d’État en passant par la médiation du Conseil de Participation Citoyenne et de Contrôle Social qui instituait des personnes responsables désignées par l’ex-président. Ce fut le cas au Conseil Électoral National, à la Cours Constitutionnelle, aux bureaux du Vérificateur général et de la Fiscalité, au Tribunal des Contentieux électoraux, au Conseil juridique de la défense du peuple...
Les tensions entre Lenin Moreno et l’aile dure pro-Correa se sont fait sentir dès que ce dernier a été investi dans ses fonctions présidentielles, le 24 mai 2017. C’est à ce moment que la nouvelle administration a pris connaissance de l’état réel des finances publiques. Cependant, ce sera un peu plus tard que les attaques de Correa commenceront dans le but de disqualifier son successeur. Elles deviendront publiques suite à deux actions gouvernementales : l’inauguration du siège social de la CONAIE, l’organisation sociale la plus importante du mouvement autochtone du pays et l’annonce, en juillet, du pardon accordé à des dirigeants de mouvements populaires, condamnés durant le régime antérieur.
À partir de ce moment, les opérateurs pro-Correa, en postes de direction dans la fonction publique, ont orchestré une campagne afin de dénigrer l’image du président Moreno. On lui reprocha de ramener le pays aux vieilles politiques du passé et on accusait le président de donner des postes de pouvoir à des représentants de l’oligarchie. En réaction, la nouvelle administration moreniste a remplacé les responsables des medias de communication. De sorte que l’ex président Correa a perdu le contrôle du puissant appareil de propagande et de communication qu’il avait mis en place au cours de son administration
Un mois plus tard, en août, complètement éclaboussé par les enquêtes judiciaires en rapport avec les contrats avec Odebrecht en Équateur, le Vice Président Jorge Glas publiait une lettre pour accuser le président Moreno de converger avec les secteurs les plus réactionnaires du pays. Cette rupture entre Moreno et Jorge Glas a eu comme conséquence que Glas a été destitué de son poste et que Rafael Correa perdait du même coup le contrôle sur l’appareil de production et des investissements dans les megaprojets économiques. Quelques mois plus tard, suite aux enquêtes sur la corruption, Jorge Glas a été démis de ses fonctions et il est maintenant détenu à la Prison No. 4, à Quito.
Quelques jours après la démission du vice-président, cherchant une voie pour dénouer le conflit, le président Moreno a envoyé à Bruxelles (lieu de résidence de Rafael Correa) les principaux opérateurs politiques du gouvernement, ceux mêmes qui avaient été mis en place par Correa dans le mandat antérieur. À la grande surprise du pouvoir exécutif, au retour de cette délégation à Quito, les principaux dirigeants Ricardo Patiño, Paola Pabón et Virgilio Hernández annoncèrent aux médias qu’ils démissionnaient de leurs charges au sein de l’exécutif. Ce faisant, Rafael Correa perdait le contrôle du front politique au sein du gouvernement
Au début d’octobre 2017, une fois coupés les relais de communication entre le courant pro-Correa et le gouvernement, le président Moreno a annoncé qu’il convoquait une consultation populaire sur certaines questions en vue d’une réforme institutionnelle pour contrer le « caudillisme » et une voie pour se libérer du régime antérieur. Cette annonce a été le coup déterminant pour faire éclater le parti gouvernemental. Les courants restés fidèles à l’ex président Correa tentèrent d’expulser Lenin Moreno du parti Alianza PAIS. Sans légitimité juridique et sans grande écoute, ils convoquèrent le parti à se réunir en congrès. Ce qui eut comme conséquence que le courant pro-Correa a également perdu le contrôle sur le parti, suite à une décision du Tribunal des contentieux électoraux.
Le dernier épisode de l’effondrement du courant pro-Correa s’est joué en janvier dernier, lorsque, à la demande de Correa, ses partisans se sont séparés du caucus de Alianza PAIS. Ce qui a eu comme conséquence que le courant pro-Correa est devenu minoritaire avec 29 députés au sein de l’Assemblée législative contre les 45 élus du courant officiel du président Lenin Moreno. (...)
Le référendum et ses conséquences.
Avec les résultats du référendum du 4 février dernier, le courant pro-Correa a subi sa première grande défaite électorale. Ces résultats laissent en évidence une réalité indiscutable en Équateur : Correa et son courant n’ont jamais été enracinés sur de véritables bases sociales et politiques. Ils ont plutôt utilisé l’appareil d’État pour entretenir une « clientèle » de soutien au parti au pouvoir et pour créer l’image médiatique de Rafael Correa comme grand « caudillo » populiste. De sorte que n’étant plus sous la protection du pouvoir présidentiel et des institutions étatiques, les appuis politiques à Correa ont notablement diminué.
La société équatorienne s’est prononcée en faveur d’un régime de transition qui devra dépasser l’héritage du gouvernement antérieur, créant les conditions pour la mise en place d’un nouveau système politique avec la fin de l’hégémonie pro-Correa. Le cordon qui liait le gouvernement Moreno au courant pro-Correa a été coupé. (…)
Les résultats référendaires ouvrent une nouvelle donne politique. Même si Rafael Correa obtient toujours l’appui de 1/3 de l’électorat, le président Moreno a réussi, pour le moment, à disqualifier son adversaire. En quittant le parti Alianza PAIS, même si sa popularité est à la baisse, Correa et ses partisans sont obligés de former un nouveau mouvement politique. Conscient que la mauvaise réputation des anciens dirigeants de Alianza PAIS nuit plus qu’elle n’aide, Correa doit diriger directement la formation de ce nouveau parti. C’est là une tâche urgente et difficile pour le « néocorréisme » celle de faire émerger une nouvelle figure politique capable de disputer la présidence de la république en 2021.
L’objectif de ce courant est d’occuper l’espace politique de la gauche équatorienne, ce que Correa avait réussi en 2006. Pour atteindre cet objectif, il faudrait que le « néocorréisme » arrive à empêcher la construction d’alternatives politiques en direction des secteurs populaires. Alternatives qui seraient urgentes et nécessaires pour un pays où le discours de la gauche n’arrive pas à rejoindre les besoins sociaux et où n’émerge pas une génération de nouveaux dirigeants. (...)
Il est vrai que la gauche politique et sociale équatorienne a été fractionnée : souvent persécutée ou parfois cooptée durant les 10 années du régime de Correa. Mais il est vrai également que les directions de la gauche souffrent de l’incapacité à se renouveler et à se repositionner avec un discours adapté au moment actuel que vit le pays. Par exemple, dans une logique anti-Correa, une partie importante de la gauche s’apprête à appuyer le candidat conservateur Guillermo Lasso aux prochaines élections présidentielles ; ce qui illustre bien la désorientation politique et le discrédit de la gauche face aux citoyens équatoriens.
Quant aux conservateurs, qui jusqu’ici n’ont pas offert d’opposition politique au gouvernement Moreno, ils vont bientôt changer d’attitude. Des élections sectorielles auront lieu dans un an, et les conservateurs vont reprendre leurs positions de protagonistes politiques. En effet , leur alliance avec Moreno et le pacte pour le Oui référendaire étaient temporaires et visaient un but commun qui a été atteint : renverser le courant pro-Correa.
Les médias de communication, plusieurs entreprises et les forces politiques conservatrices font déjà connaître leurs changements de position par rapport au gouvernement de Lenin Moreno. Ce qui augure qu’augmenteront la pression politique et de possibles manifestations de rue pour pousser le gouvernement à adopter des positions plus réactionnaires, particulièrement au niveau de l’économie.
Pour l’instant, la droite est divisée entre deux secteurs et deux chefs qui défendent des intérêts différents. Leurs deux dirigeants, Guillermo Lasso et Jaime Nebot aspirent l’un et l’autre à devenir président de la république en 2021 ou même avant, s’il était possible d’obliger une fin de mandat anticipée du gouvernement Moreno en l’accusant d’être associé aux fautes du gouvernement antérieur.
Dès lors, le gouvernement Moreno va se retrouver dans une situation inédite. Les attaques viendront de la droite ( y compris des medias de communication privés et des lobbies industriels), mais elles viendront aussi d’une prétendue gauche pro-Correa. Reste à voir si Lenin Moreno et son équipe seront ou non capables de faire front à ces pressions. Quoi qu’il en soit, la stratégie de l’un et des autres a commencé à se dévoiler et dans certains cas avec des appuis internationaux. C’est le cas, avec Rafael Correa qui, rapidement, a obtenu comme tribune le canal de télévision « Russian Today » (RT), un media sensationnaliste au service de la propagande de Poutine qui sert à attaquer le gouvernement actuel.
11/02/2018
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