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France

Le PS, parti sans retour ?

8 décembre 2016 | tiré de Regards.fr

Menacé de pasokisation à force de compromis et de compromissions, le Parti socialiste est-il trop résilient pour disparaître, devra-t-il se sauver par sa gauche, ou bien est-il vraiment engagé sur la voie de son extinction ?

La présidentielle de 2017 enfoncera-t-elle le dernier clou dans le cercueil du PS ? À moins de cinq mois du scrutin, les sondages successifs le suggèrent : non seulement le PS serait balayé dès le premier tour, pour laisser place à un second tour droite-extrême droite, mais quelle que soit l’issue de la primaire de la Belle alliance en janvier, le candidat PS serait relégué en cinquième position, derrière François Fillon, Marine Le Pen, Jean-Luc Mélenchon et Emmanuel Macron.

Le coup de grâce pour un parti qui a perdu toutes les élections intermédiaires (municipales, européennes, sénatoriales, départementales, régionales et législatives partielles) depuis 2012 ? Côté adhésions, l’hémorragie se poursuit : fort de 280.000 militants en 2006, et de plus de 170 000 en 2012, on n’en compte plus que 120.000, dont seulement 42.300 seraient à jour de cotisation, d’après Le Canard enchaîné.
Le crépuscule des socio-démocrates

Un spectre hante Solferino : la pasokisation. En mai 2012, le parti socialiste panhellénique dégringole de 43,9% des voix à 13,2%, avant de chuter encore en juin à 12,3%, puis d’atterrir en janvier 2015 à 4,7%. Payant pour sa politique brutale de déflation salariale et de démantèlement de l’État social, le parti de Papandreou n’est plus que l’ombre de lui-même. Il faut dire que partout en Europe, les gouvernements socio-démocrates sont sanctionnés pour leur application aveugle et destructrice des mesures austéritaires exigées par les institutions européennes.

En Espagne, le PSOE est passé de 46% à 28% entre 2008 à 2011. Le ralliement de Zapatero à l’austérité « lui a fait perdre l’électorat centriste qui a préféré confier la gestion de cette austérité au PP, puis une grande partie de l’électorat de gauche en faveur de Podemos et des Indépendantistes catalans », explique Romaric Godin dans La Tribune. Le Labour irlandais a quant à lui enregistré en février le deuxième plus faible score de son histoire avec 6,6 % des voix, soit un tiers de ceux de 2011, après avoir voté toutes les coupes budgétaires imposées par la Troïka.

En Italie, le président du Conseil italien Matteo Renzi a dû démissionner la semaine dernière après l’échec du référendum sur sa réforme constitutionnelle visant à faciliter la mise en œuvre future des réformes structurelles. Les Travaillistes néerlandais du PvdA sont de leurs côtés donnés entre 8 et 10 % dans les intentions de vote aux élections législatives de mars 2017. Toutes ces formations sociales-démocrates ont démontré leur incapacité à offrir la moindre différence substantielle avec les programmes économiques des partis libéraux de droite.

Un Corbyn à la française ?

Une exception toutefois suscite l’espoir chez certains socialistes optimistes : éjecté du pouvoir en 2010, le Labour britannique a retrouvé depuis septembre 2015 ses couleurs socialistes sous le leadership de Jeremy Corbyn, réélu triomphalement en septembre dernier. « Il faut imaginer ce que serait en France le pendant de la situation britannique : Gérard Filoche recevrait l’investiture de son courant, Démocratie & Socialisme ; soutenu par la CGT et le FO, il serait ensuite élu premier secrétaire du Parti socialiste par les députés, adhérents et sympathisants socialistes », expliquait en 2015 le politologue Philippe Marlière dans Le Monde.

Un scénario qui n’est pas sans déplaire au membre du Bureau national en question, qui rêve de gagner la primaire de gauche et de régénérer le PS par son aile gauche. Pour le moment, l’ex-inspecteur du travail, pourfendeur sans relâche de la Loi travail, n’a même pas suffisamment de signatures pour se présenter.

Au-delà du cas particulier de Filoche, qui a toujours été marginal au sein de Solferino, l’hypothèse de l’émergence d’un Corbyn tricolore au sein du PS est peu probable, ne serait-ce que pour des raisons institutionnelles : notre scrutin à deux tours ouvre un espace pour des partis à gauche du PS, là où le scrutin à un tour britannique oblige tous les courants à cohabiter au sein des grands partis. Le Labour a ainsi toujours compté des trotskistes, des communistes, des sociaux-libéraux, des syndicalistes, des socio-démocrates traditionnels, des blairistes libéraux…

Une rente de situation

A contrario, « la ligne majoritaire du PS reste la gauche modérée sociale-démocrate qu’incarnent Jospin ou Fabius, estime Rémi Lefebvre, professeur de science politique à l’université Lille-2. Des gens comme Anne Hidalgo et Claude Bartolone trouvent Valls trop de droite, trop clivant, mais jamais ils ne soutiendraient des candidats aussi radicaux que Montebourg, Hamon ou Lienemann. Ils se retrouvent donc à mettre en avant Vincent Peillon… ».

Faute de pouvoir se refonder sur des bases progressistes, le PS est-il condamné à sombrer ? Le système majoritaire implique certes qu’une baisse dans l’électorat peut entraîner une baisse plus importante du nombre de sièges, « mais il ne faut pas sous-estimer la force de résilience du PS. En 1993, il se retrouve avec une soixantaine de députés, en 1995 le match se joue essentiellement entre Balladur et Chirac, qui gagne facilement la présidentielle. Deux ans plus tard, le PS revient au pouvoir avec Jospin », rappelle Frédéric Sawicki, professeur de science politique à l’Université Paris 1.

« Le PS bénéficie depuis trente ans d’une rente de position électorale dominante lui permettant de conjurer la dispersion, renchérit Rémi Lefebvre. Quoi qu’il dise, quoi qu’il fasse, il reste le parti "crédible" qui incarne le vote utile, qui peut gagner. Beaucoup de gens ont intérêt à garder la "marque" PS. On peut imaginer que le PS profite de la période à venir dans l’opposition pour se refaire une santé, à base de mea culpa et de discours de rénovation, et rebondisse au cours des élections locales, et ce serait reparti pour un tour. » De fait, vue la voie ultra-libérale que promet d’emprunter François Fillon s’il arrive à l’Élysée, le PS aura beau jeu de se qualifier comme "de gauche" en comparaison…

« Il n’empêche que le PS pourrait bien se "pasokiser" s’il fait moins de 10% au premier tour et passe derrière le Parti de gauche et s’il perd encore des circonscriptions aux législatives », affirme Rémi Lefebvre. Pour le meilleur ? « En Grèce la chute du PASOK a profité à Syriza, en Espagne la défaite du PSOE a profité à Podemos, mais en France, où la gauche radicale est minée par les divisions, un effondrement du PS risque de profiter un peu à Macron et beaucoup au FN, qui bénéficie d’une rente de situation depuis trente ans et qui a développé une stratégie efficace de séduction des classes populaires », craint Frédéric Sawicki, qui fait partie des signataires de la tribune publiée mardi dans Libération appelant tous les candidats, y compris Mélenchon, à participer à la primaire de gauche.

L’économiste Thomas Piketty, l’avocat William Bourdon, l’économiste Daniel Cohen ou encore la sociologue Dominique Méda, insistent que c’est le seul espoir de voir un candidat de gauche au second tour. Si Mélenchon « a peur d’être battu par Manuel Valls ou par Arnaud Montebourg dans la primaire de la gauche, est ce qu’il croit vraiment qu’il va battre François Fillon ou Marine Le Pen ? Ce n’est pas sérieux. Je pense qu’il a les moyens de remporter cette primaire », martelait Piketty vendredi dernier sur France Inter.

« Arithmétiquement, il a raison : si Mélenchon n’est pas capable de remporter la primaire, il n’a aucune chance de gagner la présidentielle, confirme Rémi Lefebvre. Sauf que pour le candidat du Parti de gauche, l’enjeu n’est pas de gagner la présidentielle, mais de faire exploser le PS et de prendre le magistère de la gauche. Il n’acceptera donc jamais de participer à la primaire de gauche, qui l’obligerait, en cas de défaite, à un mécanisme de solidarité avec le candidat PS. C’est aussi une stratégie rationnelle ».

Laura Raim

Journaliste au quotidien Le Figaro

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