Édition du 17 décembre 2024

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Asie/Proche-Orient

La réalité israélienne en face

Deux échéances s’annoncent en Israël : les élections générales du 9 avril, et aussitôt après, si on en croit la Maison Blanche, la divulgation du fameux « plan de paix américain ».

Tiré de Politis.

Le conflit israélo-palestinien n’a jamais été pour la France une affaire de politique étrangère. Trop de destins qui se croisent, et trop de vies partagées entre ici et là-bas pour que nous feignions le détachement. Beaucoup de nos concitoyens sont aimantés par cet Orient si proche et si lointain qui semble concentrer jusqu’à la démesure toute l’histoire coloniale. On nous fait reproche parfois de nous intéresser à ce coin de planète. Les arguments sont connus, et ils sont justes : pourquoi pas le Tibet ? Et pourquoi pas le Kurdistan ou le Sahara occidental ? Après tout, le sort que subissent ces peuples, et bien d’autres qui aspirent à l’indépendance, n’est pas plus enviable que celui des Palestiniens. Il est parfois pire. Mais remarquez que ceux qui nous suggèrent de parler d’autre chose sont pris de la même passion. Hypocrisie, donc ! Et plutôt que le silence, l’actualité française de ces dernières semaines doit nous inciter à affronter franchement la réalité et à la confronter au mythe du pays refuge pour les victimes françaises de l’antisémitisme.

Deux échéances sont devant nous. Les élections générales du 9 avril, et aussitôt après, si on en croit la Maison Blanche, la divulgation du fameux « plan de paix américain ». Un plan de paix qui risque surtout d’être un plan de guerre. Ses initiateurs en sont si conscients que l’un d’entre eux, l’avocat Jason Greenblatt, a déjà annoncé qu’il serait « focalisé sur les besoins de sécurité d’Israël ». Et l’ambassadeur d’Israël aux États-Unis a dit redouter l’hostilité des Palestiniens. On peut le prévoir en effet. Rien de ce qui a été fait jusqu’ici par Donald Trump n’incite à l’optimisme : transfert de l’ambassade américaine à Jérusalem, réduction drastique des aides à l’Autorité palestinienne, et soutien sans faille à la colonisation.

Mais avant la publication de ce plan sans surprise, il y aura une campagne électorale qui s’annonce particulièrement violente. Un événement a donné le ton. Le 20 février, le Premier ministre, Benyamin Netanyahou, a signé un accord électoral avec l’extrême droite. Et pas n’importe quelle extrême droite – il y en a beaucoup en Israël ! Grand ordonnateur de l’union de ce qu’il y a de pire dans la classe politique, Netanyahou a surtout recruté dans sa coalition le parti Otzma Yehudit (Pouvoir juif). Ce n’est pas tant l’importance de cette formation qui retient l’attention que la symbolique de cet accord. Ce « Pouvoir juif » n’est rien d’autre en effet que le dernier avatar à peine relooké du Kach, interdit en son temps par Itzhak Rabin, pour « racisme » et « terrorisme ». Un groupe violemment anti-arabe qui avait inspiré le massacre, en 1994, de musulmans en prière dans le tombeau des Patriarches d’Hébron, et probablement l’assassinat de Rabin lui-même, en novembre 1995.

Il n’a donc pas fallu un quart de siècle pour que les héritiers idéologiques des assassins d’un Premier ministre se retrouvent aux portes du pouvoir. On mesure le déplacement du paysage politique israélien, sous l’impulsion de M. Netanyahou. Lequel, il est vrai, est menacé par deux périls : une inculpation pour corruption, et l’opposition d’une coalition de centre-droit conduite par un ancien chef d’état-major qualifié de « gauchiste » par le Premier ministre. Tout étant relatif…

Pour que le tableau soit complet, il faut ajouter qu’en quelques jours Benyamin Netanyahou a décidé de confisquer les taxes dues aux Palestiniens. Une TVA et des droits de douane sur les produits importés qui représentent 70 % des recettes de cette population sous occupation. Il a également interdit au Conseil de sécurité de l’ONU de dépêcher une mission d’observation à Hébron, où la colonisation offre son visage le plus sordide. Voilà qui ne va pas arranger l’image d’Israël, même s’il est vrai, et il faut y insister, que M. Netanyahou n’est pas Israël, loin s’en faut. Seule lueur d’espoir, celui-ci va si loin qu’il est critiqué par des mouvements de la diaspora qui l’ont toujours soutenu, en Australie, et surtout aux États-Unis, où le puissant lobby pro-israélien Aipac pressent tout ce que peut charrier de nauséabond ce naufrage moral, non seulement au Proche-Orient, mais partout dans le monde. Seul le Crif, qui vient d’accueillir notre gouvernement presqu’au complet pour son dîner annuel, persiste dans un soutien indéfectible à M. Netanyahou.

Que ceux qui veulent vraiment combattre l’antisémitisme mesurent l’erreur qu’ils commettent. Une erreur qui devient une faute quand, de surcroit, on tente d’interdire une saine et indispensable critique qui dissocie un pays de son gouvernement. Au fond, depuis la courageuse question posée par Pascal Boniface en 2003 (Est-il permis de critiquer Israël ?, éd. Robert Laffont), nous avons tout juste appris à nous méfier de la métonymie, cette figure qui consiste à désigner le contenu par le contenant, ou à prendre la partie pour le tout. Les journalistes en raffolent parce que ça évite les répétitions. On peut dire « Washington » au lieu de répéter « Trump », ou la France pour ne pas dire deux fois « Macron ». Mais avec Israël, une métonymie mal placée a tôt fait de vous valoir un très mauvais procès…

Denis Sieffert

Auteur pour la revue Politis (France).

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