En France, ce 2 octobre 2010, la mobilisation pour battre la contre-réforme des retraites du gouvernement Sarkozy-Fillon prend une autre dimension : 220 cortèges sont prévus, « sans avoir à faire grève ». Selon René Mouriaux, spécialiste de l’histoire et du fonctionnement des syndicats en France, >« durant cette journée du 2 octobre, il devrait y avoir plus de familles, plus de personnes du secteur privé. Pour les syndicats, l’enjeu consiste à montrer qu’ils sont bien représentatifs.
Et que les sondages qui donnent entre 65 % et 70 % d’appui aux objectifs syndicaux ne sont pas des réalités de papier, mais qu’ils ont une réelle signification. Donc, la journée de samedi 2 octobre est un test pour crédibiliser l’idée que la pression ne va pas cesser. Il est à re-escompter que ce 2 octobre va mobiliser plus largement de façon autre. Mais cela ne préjuge pas de la suite.
Nous sommes dans un mouvement social où il y a une unité de l’Intersyndicale (regroupement des syndicats) pour rester ensemble sous la pression de la population souhaitant cette mobilisation. Mais il n’y a pas entente sur le contenu de réforme ni sur les objectifs du mouvement. Force Ouvrière (FO) et Solidaires disent “nous ne nous reconnaissons pas dans la stratégie suivie [par la CFDT et la CGT]” ». A suivre. (Réd.)
*****
C’est une des bombes à retardement du projet de loi sur les retraites. Un aspect du texte que le gouvernement ne met guère en avant, alors que le pays s’apprête à connaître sa sixième journée de mobilisation contre la réforme. Combien de nouveaux chômeurs l’allongement de deux ans des âges légaux de départ à la retraite va-t-il créer ? A cette question pourtant simple, personne n’a vraiment la réponse. L’exécutif se garde bien de toute estimation. L’étude d’impact fournie aux députés lors de l’examen à l’Assemblée n’en dit pas un mot. Silence sur toute la ligne. Etonnant, alors qu’il s’agit d’un point essentiel de la réforme.
Petit rappel : le texte voté à l’Assemblée (le 15 septembre 2010) et examiné au Sénat à partir du 5 octobre 2010 comprend deux dispositions phare, sur lesquelles repose une bonne partie du financement. • Le recul progressif de l’âge légal, celui à partir duquel on a le droit de partir à la retraite, de 60 à 62 ans en 2018, à raison de quatre mois par an • A partir de 2016, le recul de l’âge du taux plein, celui auquel la décote s’annule, de 65 à 67 ans, avec plein effet en 2023.
Le gouvernement veut croire que ce recul des âges légaux va stimuler l’emploi des seniors, car il va reculer d’autant l’« horizon en emploi », poussant les entreprises à investir davantage sur leurs salariés âgés.
Rien n’est moins sûr : le taux d’emploi des plus de 55 ans est faible en France, et s’écroule sur la tranche 60-64 ans (17 %, un des plus bas taux en Europe). Or, la réforme ne prévoit qu’une exonération de charges pour toute embauche d’un plus de 55 ans et le recours accru au tutorat, mesures jugées insuffisantes par de nombreux spécialistes. De toute évidence, si la réforme change le comportement des entreprises (ce qui reste à démontrer), cette évolution prendra beaucoup de temps, car l’image exécrable des seniors dans l’entreprise est un problème de fond, lié à la prégnance depuis des décennies d’une culture de la préretraite dans le public comme dans le privé.
A court terme, en attendant cette grande révolution culturelle, « une hausse rapide de l’âge légal aura comme seule conséquence de transformer un "jeune" retraité en "vieux chômeur" », explique le think tank progressiste Terra Nova dans un rapport publié en mai 2010.
L’état actuel du marché du travail, pas réjouissant, fait craindre une recrudescence du chômage des seniors avec la réforme. Les chiffres parlent d’eux-mêmes. En France, on quitte en moyenne le marché du travail à 58,5 ans, un âge qui n’augmente pas depuis plusieurs années. En revanche, on liquide sa retraite à 61,5 ans dans le privé (il s’agit là encore d’une moyenne calculée par l’OCDE). Entre les deux ? « Un ensemble de dispositifs d’attente de la retraite : chômage, maladie de longue durée, invalidité, préretraites d’entreprise ou publiques, comme dans le cas de l’amiante… », analyse Olivier Ferrand, l’animateur de Terra Nova.
A 60 ans, une majorité des Français ne travaillent déjà plus. Une étude de Drees [1] montre par exemple que plus de la moitié de la génération née en 1938 (qui a eu 60 ans en 1998) avait cessé toute activité professionnelle à cet âge. Le nombre de personnes inactives à 60 ans est tout à fait considérable : la moitié de la génération 1938, cela représente plus de 200’000 personnes, si l’on se réfère à la pyramide des âges de la population française [2].
Incertitudes sur l’impact de la réforme sur le chômage
Or ces centaines de milliers de personnes inactives à 60 ans ne vont pas miraculeusement trouver du travail avec la réforme des retraites. Au contraire : ne pouvant faire valoir leur droit à la retraite avant 62 ans, elles vont rester plus longtemps en inactivité, expliquait le secrétariat général du Conseil d’orientation des retraites (COR) dans un dossier technique publié en mai 2010, resté assez inaperçu : « Pour les personnes qui ne sont pas en emploi juste avant la liquidation de la retraite, […] le report de la liquidation se traduit alors par une période de non-emploi plus longue avant la liquidation. »
« L’augmentation de l’âge d’ouverture des droits à la retraite conduit à une hausse des personnes en non-emploi » insiste le COR (Conseil d’Orientation des Retraites). « Ce qui a un coût (indemnités chômage versées par l’Unedic notamment) qu’il conviendrait de prendre en compte pour avoir une estimation de l’effet de la mesure sur les finances publiques dans leur ensemble. »
Ce vœu est resté sans suite. Jamais le gouvernement ne s’est aventuré sur ce terrain. Le 10 septembre, sur France 2, François Fillon a admis du bout des lèvres qu’« il restera des travailleurs âgés qui sont au chômage et doivent être aidés ». Sans plus de précision. Il avait annoncé ce soir-là une nouvelle allocation pour certains chômeurs n’ayant pas encore atteint l’âge légal mais disposant déjà de tous leurs trimestres. Elle devrait peu ou prou remplacer l’Allocation équivalent-retraite (AER) qui existe déjà.
Pour le reste, le premier ministre avait renvoyé aux patronats et aux syndicats qui gèrent ensemble l’assurance-chômage (Unedic) le soin de s’occuper de l’intendance, expliquant que les nouvelles règles d’indemnisation des chômeurs allaient « devoir intégrer » le traitement social de la réforme. « (M. Fillon) reconnaît qu’il y aura plus de chômeurs seniors et qu’il va falloir adapter le système d’assurance chômage. C’est quasiment une provocation », lui avait alors répondu François Chérèque (CFDT).
La situation est d’autant plus alarmante que du côté de l’assurance-chômage, les marges de manœuvre financières sont quasi inexistantes : le déficit cumulé de l’Unedic, aggravé par la crise, devrait atteindre 13 milliards d’euros en 2011. Vu la croissance molle qui se profile dans les années à venir, il ne devrait pas se résorber avant longtemps. L’organisme a déjà calculé que la réforme pourrait lui coûter cher. Selon une note révélée par La Tribune (quotidien économique), le recul de l’âge légal de 60 à 62 ans pourrait commencer à peser sur les comptes dès 2015, et coûter entre 440 et 530 millions d’euros par an à l’assurance-chômage en 2018, en fonction de la situation de l’emploi des seniors. Le double de ce que rapportera le recul de l’âge légal en cotisations supplémentaires !
Or, à l’approche de la négociation de la nouvelle convention d’assurance-chômage (elle doit débuter dans les prochaines semaines), le patronat réclame déjà « des mesures d’économie » et un « plafonnement » des indemnités chômage. « La négociation s’annonce très sport », estime Laurent Berger, de la CFDT… « Encore une fois, ce sont les demandeurs d’emploi âgés qui vont payer la note. Leurs droits risquent d’être restreints », craint Maurad Rabhi, responsable du secteur emploi à la CGT.
Mais ce n’est pas tout. Car le recul de la deuxième borne d’âge, le taux plein, de 65 à 67 ans, va elle aussi coûter cher aux comptes sociaux. Dès novembre 2009, Pôle emploi avait calculé que cet allongement empêchera au moins 18’000 personnes au chômage de basculer à la retraite à l’horizon 2023. Beaucoup de femmes et de personnes aux carrières heurtées, qui devront rester au chômage voire aux minima sociaux deux ans de plus. Là encore, c’est l’assurance-chômage ou l’Etat qui devront payer. Avec un risque d’appauvrissement des personnes concernées, dont certaines seront en fin de droits et toucheront donc les minima sociaux : « Or le RSA (460 euros) est très inférieur au minimum-vieillesse (708 euros) », constate Olivier Ferrand.
Parce qu’elle remplit le magot des caisses de retraites tout en pesant sur les comptes de l’assurance-chômage ou des minima sociaux, Olivier Ferrand estime que la réforme consiste en un immense « jeu de bonneteau ». Problème : faute d’étude et d’estimations sérieuses, personne n’est aujourd’hui en mesure d’évaluer l’ampleur de l’arnaque. Etrange pour une réforme en passe d’être votée par le Parlement, et de plus en plus contestée par la rue…
* Article publié le 1er octobre 2010 sur le site Médiapart. Introduction A l’Encontre.
1. Drees, Age de cessation d’emploi et de liquidation d’un droit à la retraite, le cas de la génération 1938 Patrick Aubert - Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees) - Ministère du Travail, des Relations sociales, de la Famille et de la Solidarité et de la Ville - Ministère de la Santé et des Sports - Ministère du Budget, des Comptes publics et de la Fonction publique :
L’âge auquel les personnes cessent définitivement d’être en emploi et celui auquel elles liquident un premier droit à la retraite ne coïncident pas forcément. En France pour la génération née en 1938, plus de la moitié des personnes encore présentes sur le marché du travail après 50 ans avaient arrêté définitivement leur activité professionnelle avant la fin de l’année de leurs 59 ans, alors qu’elles n’étaient que 9 % à avoir liquidé un droit à la retraite à cet âge. L’écart entre les âges auxquels surviennent ces deux événements est, en moyenne, d’un an et demi.
En effet, une part importante de la population ne passe pas directement de l’emploi à la retraite, mais connaît des périodes transitoires de chômage, de préretraite ou d’invalidité. D’autres personnes continuent quant à elles d’exercer une activité, même occasionnelle, après leur départ en retraite et cumulent une pension et un revenu d’activité. Les salariés du privé liquident leur retraite plus tardivement que ceux du public (en moyenne à 61,3 ans contre 57,5 ans), mais ils cessent de travailler quasiment au même âge (à 58,8 ans contre 58,2 ans).
Les indépendants cessent définitivement toute activité en moyenne un an plus tard que les salariés du privé ou du public. Les hommes et les femmes encore sur le marché du travail après 50 ans cessent de travailler quasiment aux mêmes âges, et même un peu plus tardivement pour les femmes. Pour autant, elles ne travaillent pas plus longtemps en moyenne que les hommes car une proportion nettement plus importante d’entre elles avait déjà quitté le marché du travail avant l’âge de 50 ans.
2. Voir la pyramide des âges établie par l’INED (Institut national d’études démographiques) sous http://www.ined.fr/fr/pop_chiffres/france/structure_population/pyramide_ages/