Édition du 12 novembre 2024

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Europe

La dérive totalitaire hongroise

La Hongrie n’est officiellement plus un état de droit. Cela fait déjà quelques années que les dérives populistes et autoritaristes du très droitier gouvernement de Viktor Orban inquiétaient, mais il n’a désormais plus de garde-fou depuis le 11 mars dernier. La Cour constitutionnelle avait retoqué certaines des réformes les plus contestées ; lundi dernier, le Parlement a voté un amendement qui rogne ses pouvoirs, impose une loi très restrictive de la famille, supprime l’autonomie des Universités, criminalise les sans abris et met la culture sous haute surveillance. État des lieux avec Márton GULYÁS, secrétaire général du théâtre Kretakor dirigé par Arpad Schilling, coordonnateur de Humàn Platform, mouvement qui organisait avec d’autres ONG, syndicats et associations une manifestation de protestation samedi 9 mars dernier.

La Hongrie a connu ces derniers mois d’importantes vagues de protestations, notamment de la part des étudiants. Est-ce dû au refus de l’austérité ou aux réformes antidémocratiques ?

Les problèmes principaux sont liés à la situation économique. Demain, il y aura l’annonce de la nomination du nouveau président de la banque nationale. Les inégalités sont considérables, et que ce sont les campagnes qui connaissent les problèmes sociaux les plus importants.Sur six millions d’habitants, deux millions vivent à Budapest, et les autres à la campagne, pour la plupart dans des villes petits et moyennes, ou dans des villages. Or, toutes les institutions gouvernementales et les sièges d’entreprise sont concentrées sur la capitale. Les taux de chômage y sont considérables et l’Etat veut y imposer des emplois forcés mais pour lesquels on touche des salaires dérisoires – la moitié du salaire minimum– pour 40 heures par semaine ! Une « marche des affamés » a rassemblé 2000 personnes devant le Parlement en décembre. Ils manifestaient contre l’austérité. Dans les écoles publiques, les enfants n’ont plus droit à la cantine. les repas donnés par l’État.

Cette pauvreté touche beaucoup les Roms, frappés par le racisme : on entend parler d’expéditions menaçantes venues du Jobbik, parti d’extrême droite...

Le racisme est lié à la situation financière. La pauvreté, considérable, touche surtout les Roms. Les politiciens comme les institutions sociales mélangent les deux questions. Quand ils parlent de haine contre les Roms, ils parlent de haine contre les pauvres ! Aucune force politique ne veut faire face à cette pauvreté incroyable. C’est la vraie question si on veut lutter contre la discriminations anti Roms...

Quelles formes prend la contestation ?

Une grande manifestation a eu lieu le 9 mars, contre modifications apportées par la nouvelle constitution, organisées par de nombreuses associations, fondations et groupes locaux ou internationaux Amnesty international, Transparency International, et beaucoup d’associations de droits civiques hongroises, comme « La ville est à tous », fondé par et pour des sans-abris.Cette dernière est l’une des plus progressiste et radicale. Dans les derniers mois, quand le gouvernement a voulu pénaliser le fait de s’asseoir et dormir dans la rue, et qu’à Budapest, on a installé des barrières dans le métro, ces activistes les ont détruites, malgré la répression policière. La municipalité a dû reculer.

Il existe aussi un fort mouvement étudiant. Pourquoi ces forces ont-elles été impuissantes à faire reculer le gouvernement ?

Les forces d’opposition et activistes sont dispersées. C’est l’une des raisons pour lesquelles nous avons créé « Human platform », pour le champ culturel, la santé, le social, l’éducation. Les différents mouvements faisaient grève ou manifestaient séparément, sans véritable stratégie ni perspective. En décembre dernier, nous avons organisé une manifestation devant le ministère des « Ressources humaines » (sic) responsable des affaires sociales et de la santé et de la Culture, et par exemple, ils ont renoncé et à la fin de l’année, ils ont renoncé aux coupes budgétaires pour les théâtres indépendants.Nous avons tenté de trouver des alliés dans d’autres secteurs : le social, la santé, l’éducation de type très différents. Human Platform regroupe un syndicat enseignant, l’Union des médecins, et des groupes d’activistes. Des organisations très diverses, mais qui se sont dotées d’un objectif commun : défendre nos droits et de contraindre le gouvernement à réaliser de l’importance de ces secteurs. Nous étions parmi des organisations de la manifestation du 9 mars, mais beaucoup d’autres organisations nous ont rejoint, comme le comité LGBT ou Amnesty International . Chacun se rend compte combien les changements dans la constitution sont dangereux. Par exemple, les universités vont perdre leur autonomie financière, des frais d’inscription vont être imposés et les étudiants inscrits cette année ont dû signer un contrat, dans lequel ils s’engagent à rester en Hongrie pour un temps égal à deux fois leurs années d’études !

La culture est-elle précisément cœur de cible ?Les premières protestations visaient la nomination de responsables d’extrême droite à la tête des théâtres...

En décembre, nous avons précisément dit ce que nous pensions de L’Académie Hongroise des arts, dirigée par un semi fasciste (György Fekete, connu pour ses déclarations antisémites et extrémistes) qui se voit attribuer un rôle officiel dans la nouvelle constitution. C’est devenu un organisme d’État. Ils reçoivent des sommes considérables de l’État, qui ne servent qu’à salarier leurs membres,se distribuent cette manne entre eux sous forme d’une rente pour leurs membres, et ne font rien sur le plan artistique ! Et les compagnies ou artistes subventionnés se voient imposer l’obligation de « défendre l’identité nationale hongroise ». La liberté d’expression est attaquée.

L’agitation contre le gouvernement sont-elles largement partagées dans la société hongroise, ou les positions du FIDESZ restent-elles majoritaires dans l’opinion ?

C’est difficile à dire ; beaucoup de gens expriment un mécontentement qui n’a pas vraiment d’expression politique. Il n’y a pas d’opposition assez fort pour pour se dresser contre le gouvernement et le Fidesz. Les gens ne croient pas à la possibilité du changement, parce que le dirige tout. Ils ont nommé un nouveau président pour la banque nationale, la dernière des institutions indépendantes. Cette mainmise leur permet d’éviter la faillite programmée de l’Etat ; ils vont s’en servir pour garder le pouvoir aux prochaines élections. Mais on peut s’inquiéter sur la survie de l’économie en 2015, s’ils sont réélus : ils auront épuisé toutes ces réserves.

Human Platform : (en hongrois et anglais) http://humanplatform.blog.hu/

Lire aussi l’excellent blog Hulala pour l’actualité hongroise en français : http://www.hu-lala.org/

Valérie de Saint-Do

Blogueuse pour Mediapart (France).

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