Déjà, les commentateurs discutent à savoir qui des étudiants, des « boomers », des retraités, des personnes vivant la pauvreté, des personnes âgées, des gens de la classe moyenne ou des travailleurs à faible revenu écoperont le plus. Bien peu ont réagi à une dimension fondamentale de ce budget : la dépossession tranquille à laquelle il participe.
Consulter pour maintenir le cap
L’an dernier, le ministre des Finances appelait à une « révolution culturelle » ; cette année, en plus de sous-titrer le budget " Un plan pour le Québec", il annonce un « plan quinquennal » pour redresser les universités. Il est difficile de reprocher à un gouvernement de planifier. Toutefois, l’utilisation de ces deux expressions est symptomatique du caractère de plus en plus autoritaire du gouvernement Charest. Atteint-il des sommets d’impopularité ? Il minimise la situation en parlant de « quelques cas » de divergences d’opinions lors des consultations prébudgétaires. Veut-il légitimer ses choix ? Il multiplie les consultations sous toutes leurs formes en sachant bien qu’avant la fin de celles-ci, il maintiendra le cap. De toute façon, imitant Margaret Thatcher, il prétexte qu’il n’y a pas d’alternative (« There Is No Alternative »). Le gouvernement n’a pas le choix... s’il veut rester maître de ses choix. C’est pourquoi il est de moins en moins capable d’écoute et de plus en plus habile dans les tours de passe-passe.
Le véritable « plan quinquennal »
Le budget 2011-2012 constitue un fameux numéro de prestidigitation. En effet, le véritable « plan quinquennal », celui qui oriente réellement toute la société québécoise, ne se trouve pas, comme le gouvernement veut le faire croire, du côté du cadre financier pour les universités, mais bien dans le budget « programmatique » de l’an passé. Ce budget « cadre », qui ressemble plutôt à un carcan, concrétise un vieux rêve qui traîne dans les cartons du gouvernement depuis son élection de 2003 : la réingénierie de l’État. Cette refonte n’est pas uniquement gestionnaire : elle est tout ce qu’il y a de plus politique ! Elle attaque en grande partie les outils collectifs que le Québec s’est donnés pour améliorer le sort de tous. Si Jean Charest sort des rangs des conservateurs, il n’a rien à leur envier : sa maîtrise de l’illusion est plus fine que la leur et il arrive encore mieux à déposséder tranquillement les citoyens de leur possibilité d’influencer le cours des choses.
La dépossession tranquille
Un critique affirmait que la question n’est pas tant de savoir que la société est de plus en plus inégalitaire ou bien que les gens vivent plus ou moins pauvrement, mais qu’ils vivent toujours d’une manière qui leur échappe. Le gouvernement renforce ce sentiment de dépossession en tournant le Québec vers un avenir programmé d’avance : car, effectivement, le contrôle sur notre vie collective nous échappe. La classe politique se plaint sans cesse de l’indifférence des citoyens envers la chose publique. L’indifférence est-elle surprenante lorsque des efforts citoyens considérables doivent être déployés pour obtenir ne serait-ce qu’un débat sérieux sur l’exploitation potentielle des gaz de schiste ? Est-elle surprenante lorsque le gouvernement ne s’efforce de libérer que les ambitions privées de quelques privilégiés, en particulier des nouveaux entrepreneurs, invités cette année à saisir les occasions - d’affaires - ici et ailleurs ? Est-elle surprenante lorsque le futur est déjà prévu ?
Au-delà des scandales et des prétendues corruptions, c’est cette planification en circuit fermé qui est la plus nuisible pour la société québécoise. Elle alimente le ras-le-bol et la colère, mais, surtout, l’impuissance. Elle mène au découragement et au défaitisme et, avec le temps, elle tue l’espoir, et pas seulement celui des « jeunes », comme certains le prétendent : elle tue l’espoir de tout changement. C’est la dépossession tranquille à laquelle nous assistons. Heureusement, certains agissent pour qu’elle cesse.
L’auteur est porte-parole du Collectif pour un Québec sans pauvreté.