Édition du 17 décembre 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Luttes syndicales aux États-Unis

La campagne contre les chaînes de restauration rapide

Fin novembre 2012 a eu lieu, dans la ville de New York, une manifestation des travailleurs d’un McDonald’s [1]. Ils réclamaient un salaire décent. Cette journée a marqué le début d’une vague de protestations et de grèves impliquant quelque 200 travailleurs dans une douzaine de chaînes de restauration rapide de la ville. Le mouvement, appelé « Fast Food Forward » à New York, revendique pour tous les travailleurs du secteur un salaire horaire de 15 dollars et le droit de se syndiquer sans être menacés de représailles par leur employeur.

Extrait : Résurgence des luttes sociales et renouvellement des stratégies syndicales, (tiré de Chronique internationale de l’IRES, no. 145, - mars 2014)

Il a été lancé par différents groupes de défense des droits civiques et des communautés (New York Communities for Change, United NY.org, Black Institute) et par le syndicat des services (SEIU). Une campagne de même nature nommée « Fight For 15 » a été organisée au même moment par le SEIU à Chicago, là aussi soutenue par des associations de défense des communautés locales (Action Now in Chicago). A partir du printemps 2013, le mouvement a repris de plus belle. Il est monté en puissance avec la multiplication de journées d’action et de grèves. Le point culminant a été atteint fin juillet, quand le SEIU a réussi a organiser des grèves de 24 heures dans sept grandes villes américaines (2 200 travailleurs en grève), y compris à Détroit où 400 travailleurs sont sortis de leurs restaurants, obligeant à la fermeture trois d’entre eux. Il s’est étendu à 60 villes du pays en août. Il s’agit de loin de la mobilisation la plus importante de l ’histoire des États-Unis pour les travailleurs de la restauration rapide : en effet, même si son ampleur peut paraître limitée au regard du nombre de travailleurs mobilisés relativement à l’emploi dans le secteur, c ’est le plus long conflit de ce type puisqu’il perdurait en fin d’année 2013 dans un certain nombre de grandes villes.

Les revendications des grévistes vont de l’augmentation du salaire minimum (15 dollars de l’heure, soit plus de deux fois le salaire minimum actuel, qui n’est que de 7,25 dollars, ou encore un proche équivalent du salaire horaire médian) a des emplois du temps réguliers pour les salariés à temps partiel et au droit de se syndiquer sans être menacé de perdre son emploi. Les 4 millions de travailleurs de la restauration rapide et de la préparation alimentaire ne touchent en moyenne que 8,69 dollars de l’heure [2], 5 % seulement sont payés au taux horaire du salaire minimum fédéral et environ trois quarts d’entre eux vivent en-dessous du seuil fédéral de pauvreté (11 170 dollars par an pour une personne seule, 23 050 dollars pour une famille de 4 en 2012), faute le plus souvent d’avoir un emploi à temps plein. De surcroit, l ’âge médian des travailleurs du secteur a augmenté : il est aujourd’hui de 29 ans, un âge où l’on est susceptible d’avoir la charge d’une famille (26 % d’entre eux). En conséquence, beaucoup sont obligés de prendre plusieurs emplois pour survivre et élever leurs enfants.

Aussi n’est-il pas étonnant que plus de la moitie de ces travailleurs (52 %) émargent à différents programmes d’aide sociale (l’assurance maladie publique pour les pauvres. Medicaid., et pour les enfants. Children fs Health Insurance Program ou CHIP., le crédit d’impôt pour les pauvres. Earning Income Tax Credit ou EITC., le programme d’aide alimentaire. Supplemental Nutrition Assistance Program ou SNAP ., etc.). Une étude réalisée par des chercheurs de l’université de Berkeley et d’Illinois (Allegretto et al., 2013) s’est même appliquée à mesurer le coût pour la collectivité et le contribuable américain de cette politique de bas salaire poursuivie par les employeurs du secteur : il est estimé à près de 7 milliards de dollars par an. Les chaînes de restauration rapide ne sont pas traditionnellement la terre d ’élection de l’action syndicale, à cause du taux élevé de turn-over des salaries (75 % par an), de la petite taille des établissements disséminés sur tout le territoire et du mode de gestion en franchise des magasins. Ces grèves et formes d’action directe, expression d’une rage sociale longtemps contenue, n’auraient sans doute pas vu le jour sans la mobilisation massive des employés du secteur public au Wisconsin (Sauviat, 2011a) pour défendre leurs droits, puis sans l’émergence du mouvement Occupy Wall Street (Sauviat, 2011b) et le renouvellement des stratégies d ’alliances et de luttes qu’il a suscité.

Ces campagnes ont d’ores et déjà abouti à des résultats tangibles : à New York, une commission d’enquête a reconnu que 84 % des 500 travailleurs des « fast food » n’avaient pas touché les salaires dûs et le procureur de l’État a décidé de diligenter une nouvelle enquête. Ce secteur y est l’un des plus créateurs d’emplois actuellement. 40 % des travailleurs gagnent moins que le salaire minimum de 1968, alors à sa valeur culminante, soit 10,64 dollars (en dollars de 2013). L’État de New York a récemment décidé d’augmenter légèrement le niveau de salaire minimum de 7,25 dollars à 9 dollars d’ici 2016. La Californie a suivi cette initiative, en acceptant de porter d’ici janvier 2016 son salaire minimum à 10 dollars, soit le taux le plus élevé du pays. Alors que jusqu’à présent, aucun des 200 000 établissements de restauration rapide présents sur le sol étasunien ne connaissait de présence syndicale, le SEIU a contribué à l’implantation d’un nouveau syndicat (non affilié à une centrale existante pour le moment) dans au moins six grandes villes du pays où ont été organisées ces grèves et journées d’action (dont New York, Chicago, et Saint-Louis). Celles-ci ont ainsi mis au jour le sort de millions de salariés précaires et mal payés des services, emplois qui ont porté la récente reprise et dont les travailleurs représentent aujourd’hui la figure dominante de la classe ouvrière américaine. En effet, ces poor jobs tendent à devenir majoritaires dans l’économie américaine. Ils ne sont plus l’apanage des jeunes, étudiants ou pas. Ce qui se joue dans cette lutte dépasse donc largement le sort des seuls travailleurs de la restauration rapide, comme on l’a vu avec la campagne menée contre Wal-Mart.

C’est la question plus générale des inégalités qu’Occupy Wall Street a réussi à faire émerger, alimentée par la croissance des emplois précaires au bas de l’échelle des salaires. Ces luttes ont réussi à porter cette question sur les lieux mêmes de travail. Elles éclairent aussi les relations particulières établies entre le SEIU et les différents groupes de la société civile, le syndicat offrant une aide financière et technique et prêtant des professionnels pour établir des liens indispensables avec les travailleurs du secteur à des fins avant tout de syndicalisation.

Ces différentes luttes, celles des enseignants comme celles des travailleurs à bas salaire, témoignent toutes à leur manière d’un renouvellement des stratégies syndicales et des formes d’action engagées. Bien qu’inédites, elles sont certes d’une ampleur relativement limitée : Wal-Mart a ainsi déclaré que moins de 50 de ses 1,3 million de salariés avaient fait grève début septembre 2013, de même que les travailleurs des fast food en grève ont été peu nombreux en juillet et août 2013. Néanmoins, le recours systématique à Internet et aux réseaux sociaux pour mobiliser les travailleurs concernés et plus largement les communautés locales tend à décupler l’ampleur de telles actions. Elles n’ont en tous cas pas manqué de rejaillir sur les débats qui ont marqué le dernier congrès de l’AFL-CIO et son repositionnement stratégique, en dépit des divisions persistantes au sommet des appareils syndicaux.


[1McDo est la plus importante chaîne de restauration rapide aux États-Unis, employant plus de
700 000 salariés et possédant plus de 14 000 établissements.

[2Ashenfelter (2012) a pu calculer qu’un travailleur chez McDo gagnait l’équivalent de 2,41 Big Mac par heure de travail.

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