La Tunisie connaît en effet de graves difficultés, à la fois dans l’établissement de la démocratie et à cause d’une économie ébranlée par les bouleversements sociaux. Le pays est à la croisée des chemins et bien des destinées semblent possibles, allant de l’effondrement généralisé à une reprise progressive dans un pays dorénavant respectueux des institutions démocratiques. Entre ces deux directions, tout est possible.
Je suis présentement en voyage en Tunisie. Tel que j’ai pu les interroger dans la rue, les Tunisiens se disent satisfaits d’une liberté retrouvée, de pouvoir s’exprimer sans en craindre les conséquences. Mais le chômage, l’incertitude économique, l’instabilité politique les inquiètent. Plusieurs craignent des débordements qui mènent à la violence, même si les tensions ne font pas trop sentir au visiteur.
Selon La Presse de Tunisie, les secteurs en ralentissement sont « les mines et phosphates, le pétrole, le tourisme et le transport rattaché ». Le recul du tourisme est particulièrement flagrant : les hôtels et les restaurants sont vides, les groupes de touristes étrangers sont peu nombreux et les magnifiques sites à visiter sont presque déserts. Tout cela même si le pays est pour le moment sans danger. Mais les touristes ont l’épiderme fragile, un rien ne les ébranle.
Si bien que les Tunisiens sont emportés dans un mouvement de spirale vers le bas auquel nous sommes, hélas, familiers : parce que l’économie connaît des difficultés, la dette augmente de façon significative. Parce la dette augmente, il faut davantage la rembourser. Pour la rembourser, il faut consentir à de nouveaux sacrifices. Et ces sacrifices enfoncent davantage la population dans la misère.
Vous pouvez deviner que le Fonds monétaire international (FMI) et la Banque mondiale (BM), dans leur rôle de sinistres vautours, se sont mis de la partie. Ils cherchent à imposer une fois de plus leurs politiques qui ont détruit tant de pays et fait souffrir tant de populations : la thérapie du choc, la résurrection des dévastateurs plans d’ajustement structurel, que le pays avait trop bien connu du temps de Ben Ali, qui visent à donner plus de place au secteur privé, à déréglementer, à enfoncer le pays dans le piège d’un surendettement sans fin.
C’est pourquoi des organisations telles RAID-Attac Tunisie demandent de suspendre le paiement de la dette et d’en réaliser une vérification citoyenne afin de « pouvoir sur des bases légales en répudier la part illégitime et odieuse. » Dans un pays qui a souffert de longues années d’une dictature, cela devrait aller de soi. Mais de grands intérêts sont en jeu et le FMI, incapable de trouver autre chose, pointe inévitablement vers l’austérité budgétaire.
Pendant ce temps, le pays reste toujours secoué par l’assassinat du leader de gauche Chokri Belaïd. Le dimanche 17 mars se tenait une grande manifestation pour souligner le 40e jour de la mort du militant que l’on qualifiait de martyr. Les manifestants mettent en doute la légitimité du gouvernement et déplorent que les coupables ne soient pas punis.
Tous les partis politiques sortent affaiblis de la crise qui a été accentuée par cet assassinat. Les médias occidentaux mettent l’accent sur la division entre les laïques et les islamistes. Mais la situation se complique lorsqu’on y mêle les questions économiques. Ainsi, le Front populaire, à gauche, ne peut pas s’allier avec des laïcs néolibéraux dont plusieurs étaient proches de Ben Ali. Les Islamistes, quant à eux, n’ont aucune réserve à appliquer des mesures néolibérales, tant qu’ils peuvent régler comme ils le souhaitent les questions religieuses.
L’avenir sera donc difficile et lourd pour les Tunisiens. Le danger d’une progression considérable de la pauvreté est bel et bien réel. Par contre, les Tunisiens sont combatifs — ils l’ont montré pendant la révolution — et l’histoire nous montre qu’ils ont su adopter dans le passé de nombreuses mesures progressistes.
Souhaitons que le FSM puisse être pour eux un lieu de débat riche et stimulant. Les étrangers quant à eux pourront mieux les comprendre et les soutenir dans leurs luttes. Et, il faut l’espérer, peut-être pourront-ils aussi intervenir auprès de leurs propres gouvernements afin que ceux-ci cessent de soutenir des politiques nuisibles à ce pays, comme celles prônées par le FMI et la Banque mondiale.