Un total étonnant de 38 dossiers distincts d’inconduite et d’abus policiers à travers le Québec ont été soumis par le SPVM au DPCP pour analyse. Bien qu’on ne s’attendait pas que toutes ces plaintes mènent au dépôt d’accusation, il demeure difficile de croire qu’aucun de ces dossiers provenant de notre région ne présente une preuve suffisante pouvant donner lieu à des poursuites judiciaires.
La présomption d’innocence et le fardeau de preuve sont des principes importants de notre système de justice, mais ils sont déployés à l’encontre des peuples autochtones lorsque des préjugés culturels viennent déterminer qui est crédible et qui ne l’est pas. Le système judiciaire québécois est brisé et nous devons l’analyser en profondeur, suivi de changements fondamentaux si nous voulons mettre un terme à la marginalisation des peuples autochtones. Le défaut de prendre ces mesures ne fera que perpétuer l’absence complète de confiance d’autres femmes autochtones à l’effet que leurs propres récits seront pris au sérieux. Est-ce là le type de système que nous voulons ?
"Les femmes autochtones qui ont courageusement dénoncé les abus et le racisme systémique au sein des forces policières considèrent que le système de justice les a laissé tomber. Et plusieurs autochtones sentent que le système de justice les a laissé tomber, encore une fois. Le gouvernement du Québec ne peut plus rester passif. Des tables de travail et des discussions ne nous satisferont pas. Nous réitérons notre demande que le gouvernement du Québec lance immédiatement une commission d’enquête provinciale portant sur l’inconduite policière à l’égard des femmes autochtones." - Grand Chef Dr Matthew Coon Come.
L’observatrice indépendante Fannie Lafontaine évoque un racisme systémique sous‑jacent à la discrimination policière à l’égard des peuples autochtones, surtout les femmes. Elle souligne clairement qu’une enquête policière, bien que nécessaire, ne constitue pas une réponse adéquate. Elle note que des organisations autochtones ont unanimement demandé une commission d’enquête provinciale, mais le Québec n’a fait que déléguer la responsabilité d’examiner ses propres institutions, notamment la police, à l’Enquête nationale sur les femmes autochtones. Me Lafontaine note que d’autres provinces ont procédé à l’inverse, en lançant leur propre enquête sur les pratiques policières relatives à la population autochtone. Cet examen fera part de ses observations à l’Enquête nationale. Elle pose avec acuité la question de la suffisance de l’Enquête nationale de faire la lumière sur les enjeux systémiques propres au Québec.
L’Enquête fédérale n’est manifestement pas une réponse adéquate. Les enjeux spécifiques aux abus policiers à l’égard des femmes autochtones au Québec seront noyés dans le mandat très large de l’Enquête fédérale. Caroline Bennett, ministre fédérale des Affaires autochtones, a elle-même invité le Québec à lancer sa propre enquête. D’ailleurs, le processus fédéral prendra trop de temps : le rapport préliminaire n’est prévu que pour novembre 2017, et le rapport final qu’en novembre 2018. Les femmes autochtones du Québec ne peuvent attendre si longtemps.
C’est justement pour ces raisons que nous, ainsi que l’APNQL, l’APN, la FAQ, la ville de Val-d’Or et de nombreuses autres organisations, avons réclamé unanimement une commission d’enquête provinciale pour se pencher sur les relations entre les populations autochtones, la police et le système judiciaire afin d’identifier des solutions.
Le gouvernement du Québec continue de résister à l’évidence écrasante de la nécessité de tenir une commission d’enquête provinciale. En lieu et place, le gouvernement propose aux peuples autochtones une "table de travail" et plus de discussion. Mais nous en sommes bien au-delà des tables de travail et de la discussion. Il faut se demander pourquoi le gouvernement résiste si fort à la tenue d’une commission d’enquête provinciale.
Le Québec a mis sur pied une commission d’enquête provinciale afin de faire la lumière sur la surveillance policière des journalistes dans les heures ayant suivi la connaissance de cette affaire. Pourtant, lorsque des Premières Nations ont demandé une commission d’enquête pour se pencher sur les abus policiers à l’égard des femmes autochtones, le Québec s’y est d’abord opposé, avant de transférer l’affaire à l’Enquête fédérale, quelques dix mois plus tard. Ce double standard ne peut être plus frappant. Il véhicule le message que les autochtones, notamment les femmes autochtones, ont moins d’importance que les non-autochtones.
Le gouvernement du Québec doit démontrer son engagement à une justice égale pour tous et sa détermination à faire face au racisme systémique au sein de ses institutions par la tenue d’une commission d’enquête provinciale sans plus de délai.