Tiré du site de la revue Contretemps.
Ugo Palheta – Pour que nos lecteurs et lectrices sachent d’où tu parles, peux-tu rappeler comment tu en es venu à militer contre les violences et l’impunité policières, notamment à travers le collectif Ali Ziri dans lequel tu milites depuis plusieurs années ?
En 2009, Ali Ziri alors âgé de 69 ans, se fait serrer par les flics en voiture. Bilan : 27 hématomes, dont l’un de 17 cm sur le bas du dos, anoxie par suffocation, mort. Plusieurs années d’instruction, plusieurs recours, et que des non-lieux. Les scénarios des crimes policiers sont toujours les mêmes. Notre collectif « Justice et Vérité pour Ali Ziri » a croisé de nombreux autres collectifs contre les violences policières et de ces rencontres est né un réseau de confiance et d’activisme politique. Ali Ziri était un ouvrier à la retraite qui avec mon père et d’autres aimait claquer le domino sur des tables en bois dans des cafés kabyles de la banlieue où ça chantait la nostalgie du pays. Y a de quoi mettre ses tripes collectivement dans ces luttes.
Commençons par une question sur la conjoncture politique : suite au viol subi par Théo à Aulnay-sous-Bois, la question des violences policières est parvenue à se hisser dans l’agenda politique et médiatique, ce qui arrive très rarement malgré la régularité des crimes policiers dans les quartiers populaires. Est-ce que quelque chose de neuf s’inaugure à ton avis, que ce soit du côté de l’Etat et des possédants, ou du côté des quartiers populaires mais aussi de la gauche et des mouvements sociaux ?
Ce qui est nouveau, c’est le traitement politique et médiatique de façade des rapports police–jeunes, bien plus que celui des violences policières. L’image emblématique est Hollande debout, non pas aux côtés, mais à côté de Théodore Luhaka couché.
L’Élysée en personne nous enjoint d’une part à retenir qu’un flic, à moins que ce ne soit une matraque, peut « déraper », d’autre part à relégitimer les institutions et l’ordre contre tout risque de contestation, de révolte dans les quartiers populaires. Une telle posture dans cette séquence de la présidentielle trahit le degré de crise d’hégémonie du pouvoir et de son bras droit. Une crise qui s’est intensifiée au détour de la loi Travail et de la répression qui s’en est suivie.
Ce qui est nouveau, c’est le regard porté par certains manifestants sur les us et coutumes des flics ; nombreux parmi ceux-là avaient rêvé, comme dans la chanson de Renaud après les attentats de Charlie, vouloir « embrasser un flic ». Le goût de la matraque bien loin du pacte républicain et si proche de l’impact républicain, déconstruit d’emblée ta gueule mais surtout l’image d’Épinal du flic. Certains, entre deux projectiles de LBD, ont réalisé à quel point les quartiers populaires ont été le laboratoire et le creuset d’une légitimation de la violence d’Etat.
Ce qui est nouveau, c’est du même coup la rencontre de deux fronts de résistance face aux violences policières, celui construit dans les quartiers populaires et celui qui émane de ces mobilisations sociales. Le mot d’ordre « Tout le monde déteste la police ! », scandé à la fois dans les manifs loi travail et lors de la dernière manifestation pour Adama Traoré à Paris, traduit une convergence possible et je pense souhaitable. Pour autant, les mécanismes de cette violence d’Etat restent différents. Si jonction il y a, il ne peut y avoir fusion.
Dirais-tu que ces dernières années s’est constitué un nouveau mouvement antiraciste, notamment autour de la question des violences policières, et plus largement de la lutte contre l’intensification de la violence d’Etat dans les quartiers populaires, mais aussi contre l’islamophobie ? Si oui, quelles sont les grandes coordonnées de cet espace, en particulier les points d’accord fondamentaux sur lesquels il se bâtit ?
Il ne s’agit pas tant d’un nouveau mouvement antiraciste qu’une césure encore plus aiguë entre ce que l’on nomme l’antiracisme politique et l’antiracisme moral. Si les violences policières constituent – notamment par le crime – le paroxysme du racisme, ce sont leurs mécanismes qui sont analysés différemment selon les organisations antiracistes, parfois même au sein d’une même organisation antiraciste. Avons-nous affaire à des pratiques racistes de la police ou à des pratiques d’une police raciste ? Au-delà, avons-nous affaire à des pratiques racistes d’un État ou aux pratiques d’un État raciste ?
Ce qui est interrogé ici par les mouvements antiracistes est la dimension structurelle et donc institutionnelle du racisme. Certaines organisations antiracistes s’arc-boutent sur une approche du racisme comme consistant dans des dérives, des bavures, des excès de zèle de certains agents appartenant à des institutions en elles-mêmes irréprochables car, nous disent-ils, « républicaines ». Ces organisations prennent appui sur le fait qu’aucun texte de loi n’est discriminatoire à l’égard d’un groupe de personnes en raison de sa culture, de son ethnie, de sa religion réelle ou supposée.
A mon sens, elles se trompent. D’abord parce qu’elles font l’impasse sur un certain nombre de textes dont l’interprétation dans le contexte qui est le nôtre vise au contraire des catégories de la population bien ciblées : celui de la loi de 2004 contre les signes religieux est dans le cas d’espèce un texte qui sous couvert de neutralité vise les musulmanes. Il en est de même du décret Châtel [qui interdit aux mamans voilées d’accompagner les sorties scolaires, NDLR]. Ou plus récemment, d’une disposition de la loi Travail du gouvernement Valls qui avait renversé le principe initial réaffirmant la liberté religieuse dans l’entreprise et qui y a substitué une rédaction prévoyant la possibilité de la limiter par des dispositions du règlement intérieur. C’est aussi dans ce contexte qu’il faut interpréter les décisions récentes de la Cour de Justice de l’UE. On soulignera toutes les conséquences genrées de ces dispositifs institutionnels racistes. À l’échelle plus locale, nombreux sont les arrêtés municipaux interdisant les repas de substitution.
Mais, indépendamment même de la traduction dans des textes de loi, le racisme structurel, tout comme le sexisme structurel, peut se passer de tout formalisme législatif. Il suffit que les pratiques discriminatoires perdurent voire s’amplifient sans que la justice et donc les politiques n’y mettent fin. Aucun texte de loi ne préconise les différences de salaire discriminatoires entre les hommes et les femmes au détriment de ces dernières ; pour autant, elles perdurent car le système s’en arrange bien, et elles sont même « naturalisées » en retour. En ce sens, l’État est structurellement sexiste.
Il en est de même pour le racisme. Alors que l’État Français est condamné pour contrôle au faciès, le gouvernement fait appel de cette décision et en novembre 2016, la Cour de Cassation condamne de nouveau l’État Français. Là encore, aucun texte de loi ne dit expressément de contrôler surtout les noirs et les arabes, mais cette pratique existe et répond à une logique sociale de domination. Comme le souligne Emmanuel Blanchard, les contrôle d’identité ont une fonction bien plus politique que strictement policière, il s’agit de nier l’évidence, la légitimité et de dévaloriser l’identité d’un individu. C’est ce que le sociologue Harold Garfinkel nommait une « cérémonie de dégradation ».
Par racisme d’État, on entend un racisme structuré par les pouvoirs dominants (politique, économique, symbolique) qui construisent, essentialisent puis hiérarchisent : les blancs, les noirs, les musulmans, les asiatiques, les rroms, les arabes… C’est cette analyse qui en retour forme l’ossature de l’antiracisme politique. Un antiracisme politique qui s’oppose à un antiracisme moral, non pas par le fait qu’il n’y ait pas de morale dans l’antiracisme politique, mais par le fait qu’il n’y ait pas de politique dans l’antiracisme moral. Une approche purement morale du racisme et de l’antiracisme ne peut servir au mieux que de campagne d’affichage pour Benetton, au pire de faire-valoir pour SOS Racisme.
En lien avec la dimension institutionnelle, le racisme se systémise. C’est le cas de l’islamophobie comme le montre cette enquête de l’Institut Montaigne en 2015, qui prouve que les musulmans en France sont plus discriminés au travail que le sont les noirs aux Etats-Unis.
Un autre aspect fondamental, c’est qu’il n’y pas un espace de l’antiracisme déconnecté des autres espaces de luttes, si tant est que l’on puisse parler d’espace. L’antiracisme par exemple, et ce n’est pas nouveau, redessine non seulement les contours du féminisme qui à bien des égards a été utilisé à des fins racistes par des politiques allant de l’extrême droite à l’extrême gauche, mais au-delà, contraint de conjuguer au pluriel le féminisme. C’est au final de l’intersectionnalité à la consubstantialité, tout le champ social de luttes contre le racisme, le sexisme, l’homophobie qui s’interroge.
Quelles conséquences pratiques de ces deux approches de l’antiracisme ?
Par exemple, la dépolitisation de l’antiracisme se traduit face aux violences policières par la nécessité d’améliorer les relations sociales police-jeunes des quartiers. Comme si une police de proximité avec un ballon au pied pouvait mettre fin à ces violences. Au passage, trouver les jeunes motivés par ce genre de plan relève de l’expédition punitive, on peut éventuellement concevoir qu’un jeune peut prendre son pied à courir derrière un flic, pas davantage.
Le problème n’est évidemment pas la relation sociale, mais le rapport social entre ces deux groupes d’individus. Il y a un rapport de domination socialement construit. C’est à ce rapport qu’il faut mettre fin. Et cela passe par des pratiques sociales telles que l’autonomie des luttes. Une autonomie à partir de laquelle s’opèrent les alliances. C’est toute l’histoire du féminisme ou des luttes de l’immigration. Et aujourd’hui c’est ce qui est en germe dans la Marche de la Justice et de la Dignité du 19 mars.
Ce nouvel espace antiraciste dont on vient de parler, peut-il et doit-il se structurer encore davantage selon toi, sous la forme par exemple d’une organisation ou d’une coalition permanentes ?
Une bonne nouvelle est que cet « espace » de l’antiracisme, même s’il est traversé de tensions entre les différentes stratégies en œuvre, reste en capacité de faire ensemble pour dessiner de manière conjoncturelle des horizons communs. Je ne pense pas souhaitable qu’il y ait une coalition ou organisation permanente.
Pour autant, ce champ de l’antiracisme politique doit encore gagner en légitimité, notamment imposer aux autres forces politiques ses propres constructions autonomes, ses propres stratégies : de son calendrier d’actions jusqu’à ses alliances. L’autonomie posée comme une condition d’alliance reste encore problématique dans les espaces politiques de la gauche radicale ; il suffit de voir les positionnements récents à l’égard du camp d’été décolonial par exemple.
La perspective immédiate, en termes de mobilisation, c’est la marche du 19 mars pour la Justice et la Dignité. Peux-tu en rappeler la genèse et les enjeux ?
La marche du 19 mars est initiée par les familles de victimes de violences policières. L’appel lancé dénonce à la fois l’État policier et les racismes d’État. Il dénonce toutes les lois liberticides comme l’état d’urgence et la loi criminelle votée à la dernière session parlementaire par ce gouvernement socialiste qui donne un permis de tuer plus conséquent encore à la police. Il porte une solidarité politique pour l’accueil et la liberté de circulation des migrants, tout en s’opposant aux guerres impérialistes. Et enfin, il revendique l’égalité sociale, la répartition des richesses et la solidarité avec l’ensemble des salariés militants ou pas, criminalisés lors des manifestations contre la Loi Travail.
Cet appel, rejoint par d’autres appels à manifester le 19 mars, porte les promesses d’une convergence des différents secteurs en lutte, des syndicalistes aux habitants des quartiers populaires, des zadistes aux migrants, des anti-impérialistes aux antiracistes politiques. De ce point de vue, cette marche en appelle d’autres, elle est un moment où différents secteurs de mobilisation se frottent, s’essayent, prennent la parole et la confiance ensemble. Et cela en pleine période électorale où les peurs sont orchestrées de toutes parts afin de tétaniser tous les mouvements sociaux et faire d’un bulletin dans une urne un moment de catharsis généralisée.
Cette convergence des résistances qui s’opère sur le terrain des luttes nous oblige à nous interroger sur les ressorts de ces violences d’Etat. Qu’en est-il ?
La convergence traduit en soi que les ressorts des violences sont différents. Les violences d’Etat ne peuvent être réduites à celles du Capital. Les différents rapports sociaux ne peuvent être confondus.
Pour autant, si dans une pure logique formelle, on peut analyser séparément d’une part, les processus systémiques de production des races avec leur corollaire de hiérarchisation et de domination, et d’autre part les processus de production capitaliste et de classes sociales avec leur corollaire d’inégalités sociales, cette approche duale reste purement théorique et ne permet pas de rendre compte des réalités sociales.
Les rapports de domination, d’exploitation, de violence, de race et de classe sont à la fois imbriqués et même liés dans une co-construction dynamique. Il y a là une consubstantialité vivante, quasi organique. Il y a, comme le décrit Danièle Kergoat, « un entrecroisement dynamique complexe de l’ensemble des rapports sociaux, chacun imprimant sa marque sur les autres ; ils se modulent les uns les autres, se construisent de façon réciproque ». On est là bien loin de la vision figée dans le temps et l’espace social qu’est l’intersectionnalité.
L’élève devant le lycée Bergson qui se fait sauvagement violenter par leur police républicaine est victime à la fois de la couleur noire de sa peau et de son engagement contre la loi Travail. Mais il est perçu et construit d’autant plus noir qu’il manifeste contre la loi travail, et il manifeste d’autant plus contre cette loi de précarisation qu’il est noir. Il serait vain de figer la situation en s’interrogeant sur l’emplacement du curseur de la violence des coups portés entre l’oppression raciale et l’oppression de classe.
Comme le dit Roland Pfefferkorn : « ces rapports sont mêlés de façon inextricable, ils interagissent les uns les autres et structurent ensemble la totalité du champ social ». Sous cet angle, les convergences qui s’opèrent sur les fronts de lutte doivent pouvoir entrer en résonance avec cette intrication des rapports sociaux. Mais il existe une condition non négociable à ces fronts communs de nos résistances, c’est qu’un rapport social ne soit pas invisibilisé par un autre rapport social. Depuis trop longtemps, dans la gauche radicale, le rapport de classe supplante et donc invisibilise en partie, si ce n’est en totalité, les autres rapports sociaux.
Comment ces luttes s’inscrivent-elles dans l’héritage riche et multiforme des luttes de l’immigration, antiracistes et anti-impérialistes en France ?
L’héritage des luttes de l’immigration s’inscrit pleinement dans nos luttes actuelles. Tout d’abord parce que seront présents dans cette marche du 19 mars des chibanis en lutte contre la destruction des foyers Adoma (ex- Sonacotra) ; ces travailleurs immigrés ont mené la plus grande lutte dans le secteur du logement de 1975 à 1980, quand 20 000 grévistes des foyers SONACOTRA exigeaient de manière totalement autonome la baisse des loyers, la reconnaissance des comités de résidents, la fin des contrôles racistes.
Les chibanis de la SNCF seront aussi présents, qui après dix années de procédure contre cette entreprise nationale ont fini par gagner, même si cette procédure n’est pas terminée puisque la SNCF a fait un recours. Ils auront fait résonner la voix des travailleurs immigrés de l’automobile durant les grandes grèves des années 80 à Aulnay, Poissy et ailleurs. On se souvient alors de la stratégie gouvernementale déjà d’usage à l’époque qui pour délégitimer ces mobilisations disait par la bouche de Mauroy que ces travailleurs étaient manipulés par des groupes religieux.
Notre marche prend également ses racines dans la marche de 1983 pour l’égalité et contre le racisme organisée suite aux violences policières. On a bien pris note de toutes les techniques de manœuvre de récupération des partis politiques d’alors, en l’occurrence du parti socialiste, pour digérer et annihiler toute lutte autonome contre le racisme.
Ce 19 mars, nombreux seront ceux et celles qui étaient à la marche de la MAFED de 2015. Notre marche, c’est le mouvement déterminé des collectifs contre les violences policières tant de métropole que de la Réunion, de la Guadeloupe, de la Guyane, de la Martinique, de la Kanaky.
Et enfin, cette marche c’est la suite de la mobilisation massive des quartiers populaires, qui après les bombardements sur Gaza ont montré à la fois le potentiel, la détermination, les grilles de lecture politiques qui habitent celles et ceux qui subissent plus qu’ailleurs la crise économique de 2008. Celles et ceux qui, parce que relégués et ségrégés dans les banlieues dites populaires, s’offusquent et se mobilisent contre les agissements de la France dans ce que cet État considère comme les banlieues du monde.
Quels rapports cet espace de l’antiracisme entretient-il, et quel rapport devrait-il entretenir selon toi, avec la gauche radicale ? Est-ce que le mouvement antiraciste autonome peut et doit jouer un rôle, dans les mois et années qui viennent, dans la recomposition et la reconstruction d’une gauche « aussi fidèle aux dépossédés que la droite l’est aux possédants » (pour reprendre une belle formule de Daniel Bensaïd) ?
Je crois qu’il ne peut y avoir de gauche radicale sans qu’elle inclue l’antiracisme politique dans ses analyses et pratiques ; il ne peut y avoir d’antiracisme politique qui se refuse dans ses analyses et ses pratiques à s’opposer au système inégalitaire qu’est le capitalisme. Ces orientations de part et d’autre ouvrent des perspectives de convergence politique sans pour autant réduire l’antiracisme à l’anticapitalisme. Le mouvement Black Lives Matter qui se cristallise dans un premier temps à travers la lutte contre les violences policières conteste aujourd’hui le système capitaliste et s’impose sur la scène politique.
Quant à ce qui est de la recomposition/reconstruction de la gauche, je ne pense pas que ce soit là la préoccupation première de l’antiracisme politique, mais actons qu’il ne peut y avoir de décantation au sein de la gauche et de restructuration de la gauche fidèle aux dépossédés si ces derniers ne sont pas à égalité de droits. En ce sens, les décompositions-recompositions ne doivent pas se faire simplement sur le rapport au capital mais aussi en fonction des autres rapports de domination, notamment de celle qui relève des constructions sociales des races.
De ce point de vue, comment vois-tu la séquence électorale en cours, et en particulier l’offre politique et électorale pour ces présidentielles ? Les racisé-e-s ont-ils quelque chose à attendre de cette élection, et des élections en général ?
Les racisé-e-s d’en bas sont de fait depuis plus de quinze ans sujets de toutes les échéances électorales, ils sont chosifiés, réifiés, interprétés, réinterprétés, fantasmés, vilipendés, barbarisés. Leur objectif entre autres est de réhabiliter celles et ceux que les pouvoirs dominants placent au-dessus de l’échelle raciale, à l’image de Trump et d’autres qui ont surfé sur la peur du déclassement des Blancs aux Etats-Unis en montrant du doigt les Afro-américains et les Hispanos. C’est, dans le script, le rôle social qu’ils ont écrit pour nous. Et dans la mesure où beaucoup partagent les mêmes options libérales, il ne leur reste que la surenchère raciste et nationaliste.
Du coup, quitte à entendre les autres parler de soi, autant s’inviter dans le débat par nos mobilisations. De sujets de la politique, on se fait des sujets politiques. Dès lors la question ne se pose pas à nous qui n’attendons rien d’eux, mais à ceux qui s’apprêtent à gouverner, il faut leur demander : « Quand et comment ceux d’en bas vont-ils vous disputer les pouvoirs selon vous ? »
Enfin, quelle place dans ces fronts pour les luttes pour les droits des migrants – et plus largement pour la liberté de circulation et d’installation – mais aussi contre l’extrême-droite, dont le poids politique et électoral s’est accru ces dernières années en France, jusqu’à déterminer en grande partie l’agenda politique et médiatique ?
Le gouvernement socialiste est comme les précédents, à l’origine des vagues migratoires dans le monde de par les guerres impérialistes, le néocolonialisme et la destruction programmée de la planète. Cultivant le cynisme, il se targue de n’accueillir que 11 000 réfugiés en France, alors que la Jordanie qui comporte dix fois moins d’habitants en accueille 660 000. Cette même France qui, dans cette Union Européenne bâtisseur des murs Frontex jusque sur ces mers de morts sans sépulture, construit à Calais un mur « végétalisé » pour empêcher le passage vers l’Angleterre.
Ils sont même allés jusqu’à détruire le camp de Calais, explosant toutes les solidarités tissées entre tous ces migrants qui comme le dit Edward Saïd sont dans cet entre-deux : ils ne sont plus là-bas, et pas encore tout à fait ici. Même les promesses de ne pas dubliniser ces personnes sont trahies, et un grand nombre d’entre elles sont expulsées dans le silence des éditorialistes. Et comme cela ne suffit pas au gouvernement socialiste, il va même jusqu’à réactiver le délit de solidarité, poursuivant en justice 1700 personnes qui comme dans la vallée de la Roya aident humainement et politiquement ceux que l’on ne veut plus voir.
Le 19 mars est donc résolument une marche pour la liberté de circulation et d’installation.
Quant à l’extrême droite, depuis bien longtemps son logiciel a été téléchargé par la droite et la gauche, au point que Marine Le Pen a été effrayée par le PS avec sa proposition de déchéance de nationalité, craignant d’être doublée par la gauche sur sa droite.
Il est temps de marcher avec notre boussole politique.
Propos recueillis par Ugo Palheta.