Édition du 17 décembre 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

L’intoxication médicamenteuse des anciens combattants américains ; le gouvernement en cause

DEMOCRACYNOW.ORG, 4 AVRIL 2014,
Traduction et organisation du texte, Alexandra Cyr,

Introduction,

Nous faisons un arrêt sur les défis auxquels sont confrontéEs les soldatEs à leur retour d’Irak et d’Afghanistan où ils ont combattu. Nous le faisons avec le journaliste d’enquête Aaron Glantz qui pendant une dizaine d’années a couvert la guerre en Irak et la situation des combattantEs à leur retour au pays. Cette semaine le Center for Investigative Reporting a reçu le prestigieux prix Peabody pour son reportage sur le rôle du Department of Veterans Affairs (VA) devenu le fournisseur de drogue préféré des anciens combattants. Ils et elles ont développé une dépendance aux analgésiques de type narcotiques qui leurs sont prescrits pour leurs problèmes physiques aussi bien que psychiques. Selon l’enquête à laquelle nous nous référons aujourd’hui, les ordonnances d’opiacés émises par le VA auraient augmenté de 270% au cours des 12 dernières années. Quatre d’entre eux sont en cause au premier chef : l’hydrocodone, l’oxycodone, la méthadone et la morphine.

Amy Goodman,
(…) Nous examinerons, avec son auteur M. Aaron Glantz, cette enquête concernant les traitements que reçoivent les anciens combattants à leur retour de la guerre. Il vient de recevoir le prix Beabody pour son travail sur cette question.

Voici un extrait de son reportage : A. Glantz : « M. Jeffrey Wagoner, spécialiste dans l’armée américaine, vient d’être enterré avec tous les honneurs militaires. Il avait été rapatrié d’Afghanistan en 2007 pour raisons médicales. Il avait été blessé à l’aine par une grenade au cours d’une fouille de domicile. Mais ce n’est pas ce qui l’a emporté ; il a survécu à sa blessure et à son rapatriement. Il est mort ici, dans ce motel juste après que le VA lui ait donné son congé de son hôpital en Orégon. Pendant les soins pour sa blessure, son état mental s’est détérioré. Il est devenu dépendant des analgésiques. Le VA l’a envoyé au centre de désintoxication de Rosenburg pour le libérer de cette dépendance. Mais l’hôpital continuait malgré tout à lui prescrire des narcotiques. Après deux mois de cure il a reçu son congé avec des ordonnances pour un cocktail de médicaments dont 12 pilules d’oxycodone. Depuis la mort de Jeff, son père Greg, tente de comprendre ce qui s’est vraiment passé. (…) À sa sortie de l’hôpital, Jeff s’est rendu à ce motel, (…) Il avait acheté une petite caisse de 6 bouteilles de bière. Il s’est enregistré, a bu quelques bières et comme il avait faim, il est allé au restaurant voisin. Il a pris une assiette de nachos avec une autre bière et là, il est devenu vraiment soûl. La caméra de surveillance nous dit ce qui s’est passé ensuite. Il a eu du mal à ouvrir la porte tant il chancelait. Il somnolait, a titubé vers l’avant et s’est effondré sur le plancher. Il y est resté une heure avant qu’on le trouve et que les ambulanciers n’arrivent. Ils ont tenté de le réanimer mais il était trop tard. L’autopsie a montré qu’en plus de ses quatre bières, il avait consommé huit pilules d’exycodone , des tranquillisants et des relaxant musculaires qu’on lui avait prescrit. Son père n’a jamais vu cette vidéo de surveillance mais il est convaincu que le VA est complice de la mort de son fils. Il dit que la dernière chose qui vous vient en tête quand votre fils est soigné à l’hôpital et tente de s’en sortir, c’est qu’on viendrait vous annoncer sa mort.

A.G. : (…) Aaron, poursuivez à partir de ce moment, s.v.p. Parlez nous de la position du VA qui il y a deux ans publiait une étude montrant que les décès par abus de substances parmi sa clientèle s’établissait à presque le double de celle de la moyenne nationale. Leurs ordonnances de ces puissants analgésiques n’ont pourtant pas cessé.

Aaron Glantz : Oui, comme reporter j’ai travaillé sur cet enjeu depuis des années. Je n’ai cessé d’entendre des anciens combattants dire qu’alors qu’ils avaient consulté les services du VA pour ceci ou cela, ils se sont toujours fait prescrire des analgésiques de type narcotique dont on devient dépendant ; des opiacés qui ne sont que la version chimique de l’héroïne. Donc nous avons eu recours à la loi sur l’information pour avoir accès à toutes les ordonnances du VA depuis 12 ans. Nous avons trouvé ce 270% d’augmentation du nombre d’ordonnances d’opiacés prescrits par les médecins du département. Nous avons aussi découvert quelque chose d’incroyable : des variations dans le nombre d’ordonnances selon le lieu où vit le malade. Par exemple, en Orégon, où Jeffrey Wagoner est mort, l’hôpital Rosenburg prescrit huit fois plus d’opiacés par patients que celui de New-York. Il n’y a aucune preuve que les patients de l’Orégon aient huit fois plus de douleurs que ceux de New-York. Même si à Washington, ils sont conscients du problème ils ne l’ont pas géré. Ils ont permis à ces médecins super stressés eux-mêmes, dépassés par le nombre de soldatEs revenant de guerre, qui manquent de formation et de temps pour donner un service correct, de se servir de leurs carnets d’ordonnances pour prescrire des médicaments qui peuvent peut-être apaiser temporairement la douleur mais qui induisent des conséquences tragiques pouvant aller jusqu’à la mort.

A.G. : Dans votre reportage vous dites que souvent ces problèmes de dépendance commencent alors que les soldatEs sont sur le terrain….

A. Gl. : Absolument. Donc, Jeffrey Wagoner a subi une explosion en Afghanistan. On l’a transporté par avion à l’hôpital Walter Reed (Washington) où on lui a administré des doses d’analgésiques de type narcotique parce qu’il était blessé dans sa chair. Au moment où il a récupéré de cet accident auquel il a survécu, il était intoxiqué et dépendant. C’est à ce moment là que l’armée l’a transféré, comme il est dit dans la partie du reportage qu’on vient d’entendre, à une unité de désintoxication. Mais ce que nous observons en ce moment, c’est que ce problème est toujours en cours au département des anciens combattants. Dans cette unité de désintoxication ils ont continué de lui donner des opiacés. Quand ils lui ont donné un congé de fin de semaine, ils lui ont aussi donné 19 ordonnances de médicaments dont des opiacés et des relaxant musculaires qui ont fini par le tuer. Donc, même dans les installations du département où il devrait y avoir un peu plus de contrôle il n’y en a pas du tout.

A.G. : Parlez-nous de l’entente qui vient juste d’être annoncée ce jeudi ; ce règlement qui concerne les renvois abusifs du Département des ancienNEs combattantEs.

A.GL. : Oui, c’est un enjeu un peu semblable. On entend constamment parler de la même histoire : unE ancienNE combattantE qui meurt après avoir été renvoyéE du VA. Sa famille porte plainte au département et elle obtient un règlement (sous forme de compensation financière n.d.t.). Je sais qu’ici, sur Democracy Now, il y a dix ans environ vous avez fait état du suicide du caporal Jeffrey Lucey de Belchertown au Massachusetts. Il revenait d’Irak et s’est pendu dans le sous-sol de ses parents. Ils ont porté plainte au VA et après cinq ans de bataille ils ont obtenu 350,000$ de compensation.
Jusqu’à quel point cela se produit-il ? Encore une fois, grâce à la loi sur l’accès à l’information, le Center for Investigative Reporting a obtenu du VA, les données pertinentes sur dix ans. Nous avons découvert qu’il y a eu presque mille règlements de ce genre où le département compense les familles pour la mort d’unE des leurs, survenue à cause de sa négligence. Ça ne représente presque rien mais en même temps ces ententes sont très difficiles à négocier et à obtenir d’autant plus que le nombre de mort est bien plus important maintenant. Le cas de Jeffrey Wagoner est exemplaire : il meurt d’une surdose de médicaments prescrits par l’unité de désintoxication dans les heures qui suivent son congé ; ses parents n’ont pourtant rien obtenu du département.

A.G. : Pouvez-vous aussi nous parler des effets secondaires de ces médicaments ? Par exemple, le lien avec la violence ?

A.GL.  : Il y a des liens avec la violence. J’assistais récemment, à une conférence sur les blessures au cerveau par les médecins les plus avancés dans l’étude de cette question. Ce sont les blessures emblématiques de la guerre en Irak et en Afghanistan. Ces trois éminents spécialistes nous ont expliqué que les opiacés pouvaient être liés au développement des comportements violents et particulièrement chez ceux et celles qui ont subi ce genre de blessures. Cela tient aux interactions de cette pharmacologie et le cerveau ainsi blessé.

Mais, je pense que c’est sur l’effet déprimant des opiacés qu’il faudrait se pencher impérativement. Les opiacés sont des dépresseurs. L’héroïne est un dépresseur. Même chose pour le Vicodin. (Ils sont administrés) à cette population qui a fait la guerre, qui est déprimée et spécialement à risque de suicide et d’abus de drogues. Le VA devrait savoir qu’il ne faudrait lui prescrire des opiacés que très judicieusement et parcimonieusement ; ils influencent leur capacité à vivre. Et, vous voyez, l’accent a été mis sur le contraire depuis trop longtemps.

La bonne nouvelle, si je puis dire, c’est que depuis la publication de notre rapport en septembre dernier, le Congrès a tenu deux séances d’audition sur le sujet. Lors de la seconde séance en mars, le Va a déclaré qu’il y avait 20,000 de ses patientEs de moins traitéEs par opiacés que lors de la publication de notre enquête. Nous avons des échos de partout dans le pays que le département adopte des thérapies alternatives qui peuvent être plus efficaces que les opiacés dans plusieurs de ses cliniques et hôpitaux. Il planifie d’étendre ces pratiques au cours des deux prochaines années.

A.G. : Je voudrais demander à Ryan Hollerani un commentaire. Pendant que vous étiez stationné à Fort Hood vous dites que vous faisiez du conditionnement physique, du jogging et que vous passiez près du mémorial élevé en mémoire de la première tuerie par Nidal Hasan. C’était en 2009. Vous étiez là un peu après. Vous avez pu observer l’impact de cet événement sur la communauté de Fort Hood. Vous travaillez maintenant à un rapport sur cette communauté. Qu’avez-vous trouvé ? Qu’est-ce que vos entrevues et votre expérience vous ont appris ?

Ryan Holleran  : Beaucoup de recommandations ressortent de cette étude. Il y a beaucoup à faire pour améliorer les choses. Spécialement pour le 3ième Corps de Fort Hood. Le plus simple : avoir plus de médecins pour traiter les personnes atteintes de troubles mentaux ; intensifier la supervision des personnes mises sous médication. Donc, avoir des mesures de responsabilisation face aux personnes qui font appel aux services pour avoir de l’aide. Réduire la stigmatisation attachée à cette demande d’aide. Ce ne sont là que quelques améliorations de base qui devraient être appliquées.
Je me suis rendu compte lors de mon service en Irak, et que j’ai vu des collègues en difficultés de santé, que le premier réflexe des adjointEs aux médecins, était de donner des médicaments et de nous maintenir droguéEs. L’objectif étant que nous passions à travers la durée de notre déploiement. C’est une attitude qui secondarise la personne, qui ne se préoccupe pas des meilleurs intérêts de la mission et qui abandonne les hommes et les femmes qui combattent à eux-mêmes et elles-mêmes.
(…)

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