Tiré du Monde ouvrier, journal de la FTQ. Le texte est une recherche de Eve-Lyne Couturier de l’IRIS.
Québec en 2e position
D’abord, comparons les taux de fréquentation à l’école privée au Canada. Le Québec se trouve en deuxième position, tout juste derrière la ColombieBritannique. Cependant, ces chiffres cachent une réalité qui est particulière au Québec. Tandis que, dans les autres provinces, la proportion d’élèves fréquentant les écoles privées est relativement la même au primaire et au secondaire, ce nombre est beaucoup plus élevé au niveau secondaire au Québec. En effet, alors que 6,2% des élèves du primaire sont inscrits dans une école privée, c’est plus de 20 % pour les élèves du secondaire. Il s’agit de plus du double de la moyenne canadienne pour ce niveau d’études.
Lorsque l’on regarde ces chiffres pour certaines régions, les pourcentages sont encore plus élevés. À Montréal, on parle de 34% des élèves du secondaire qui fréquentent l’école privée, et de 26 % des élèves de la Capitale nationale.
Impact des programmes particuliers
En réponse à l’attractivité des écoles privées, plusieurs écoles publiques se sont mises à offrir leurs propres programmes particuliers contingentés, imposant de fait des tests de sélection et des frais supplémentaires. Environ le cinquième des élèves du public au primaire et au secondaire est dans un parcours particulier (Sportsétudes, Arts-études, concentrations, profil, etc.). Si l’on combine l’école privée et les parcours particuliers, c’est près de la moitié des étudiant·e·s du secondaire qui ne participent pas aux programmes réguliers.
C’est ce triple système (privé, parcours particulier public et parcours général public) qui a fait dire au Conseil supérieur de l’éducation (CSE) que le système scolaire québécois est le plus inégalitaire au Canada. Les frais de scolarité et les conditions d’admission et de rétention strictes rendent l’école privée et les parcours particuliers inaccessibles pour une large part de la population. En outre, plusieurs régions ne comptent que peu ou pas d’écoles privées sur leur territoire et la distance entre le lieu de résidence et les écoles offrant un parcours particulier peut rendre l’option impraticable.
Un des arguments de Bernard Drainville pour ne pas reconnaître l’école à trois vitesses est de dire que les personnes qui dénoncent lesdites trois vitesses mettent l’université sur un piédestal. Les statistiques de fréquentation universitaire sont effectivement souvent mises de l’avant pour illustrer les effets négatifs de la ségrégation scolaire. Bien qu’il reconnaisse que ces données sont exactes, le ministre ne considère pas qu’il est préoccupant que seulement 15% des élèves issus du public général finissent avec un diplôme universitaire, alors que c’est respectivement 50 et 61% pour le public à projets particuliers et le privé. Face à ces données, il rétorque qu’un diplôme professionnel n’a pas moins de valeur (sauf salariale, mais passons) qu’un diplôme universitaire, que « faire un métier puis une formation professionnelle, ce n’est pas un déshonneur ».
Il est évident qu’un diplôme universitaire n’est pas un prérequis pour une vie qui vaut la peine d’être vécue. Que serait notre société avec une abondance d’ingénieur·e·s, d’avocat·e·s et d’historien·ne·s, mais aucun mécanicien·ne, secrétaire ou hygiéniste dentaire ? Il est possible non seulement de bien gagner sa vie avec ces métiers, mais également de s’épanouir et de contribuer à la société.
Toutefois, la ségrégation scolaire et les statistiques de fréquentation universitaire jettent un éclairage différent sur la situation. Si une minorité de personnes choisissent de faire des études supérieures après avoir suivi le parcours général, est-ce que cela aura un impact sur l’enseignement ? Crée-t-on du même coup différents niveaux de qualité en éducation ? C’est ce que plusieurs personnes reprochent au système actuel. Les jeunes qui se retrouvent dans le parcours général mentionnent être démotivés, avoir l’impression d’avoir « échoué » parce qu’ils n’ont pas de projets particuliers. En effet, des ressources supplémentaires sont généralement accordées à ces projets. De plus, afin d’aménager des plages horaires dédiées à ces derniers, les élèves des différentes cohortes ne partagent pas les mêmes cours et se fréquentent très peu.
Et voilà un autre des problèmes de la ségrégation scolaire. Bien entendu, tout le monde ne doit pas avoir les mêmes aspirations professionnelles. Toutefois, les trois vitesses tendent à regrouper les jeunes qui ont les mêmes intérêts et à isoler ces groupes les uns des autres.
Pour les élèves du général, les chances d’avoir comme collègues et amis de futurs médecins, enseignant·e·s ou architectes sont très minces. Pour celles et ceux des projets particuliers et de l’école privée, rares seront les futurs plombiers, éducatrices en garderie ou concierges dans leur entourage.
Pourtant, peu importe les choix de parcours scolaire ou de carrière, on peut y trouver des personnes brillantes, pertinentes, sympathiques et avec des intérêts convergents. Mais comment le savoir, autrement qu’en théorie, quand on n’a jamais eu la chance de les rencontrer ou de discuter et de travailler avec eux ? Comment prendre en considération leurs réalités, défis et opinions si on ne les fréquente jamais ?
Ensemble, c’est mieux
La mixité scolaire permet une mixité sociale unique à cette étape de nos vies. Isoler les futurs universitaires des futurs professionnel·le·s a plus de chance de renforcer la dévalorisation des métiers que dénonce le ministre. Avec des parcours particuliers pour les « meilleur·e·s » et des écoles privées pour les « élites », pas étonnant que certain·e·s en viennent à considérer que l’accès à l’université est un gage de réussite. Avec des écoles publiques où le parcours général est l’option de dernier recours, pas étonnant que certain·e·s regardent avec mépris les intellectuel·le·s qui ont eu la chance d’être soutenu·e·s et motivé·e·s tout au long de leur parcours scolaire.
Il est évident que le Québec néglige son système scolaire depuis des décennies. Les écoles tombent en ruine, les enseignant·e·s sont dépassés par leur charge de travail, les élèves en difficulté ne reçoivent pas les services dont ils ont besoin, les élèves motivés sont trop souvent négligés. La solution facile est d’envoyer ses propres enfants là où on peut leur promettre stabilité, stimulation et environnement sain. Toutefois, n’est-il pas plus porteur de pouvoir garantir cela à l’ensemble des élèves ? En plus, ce serait gage d’une éducation de qualité. Les recherches sur la ségrégation scolaire le démontrent clairement : ensemble, c’est mieux. Mais pour y arriver, il faut impérativement revoir le modèle actuel et investir là où ça compte, dans l’avenir de nos enfants.
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