Selon le projet en cours de négociation, seraient renvoyés vers la Turquie tous les migrants, y compris syriens, qui ont gagné la Grèce par la mer Égée dans les pires conditions et au péril de leur vie. La Turquie serait alors en charge de faire le tri entre les bons migrants – ceux ayant « manifestement besoin d’une protection internationale » – et les autres, tandis que, pour chaque Syrien réadmis par la Turquie au départ des îles grecques, l’Union accepterait d’en récupérer « un autre » sur son territoire.
Censée dissuader les migrants de continuer à rejoindre la Grèce, cette usine à gaz ubuesque a été pensée au mépris des principes essentiels qui irriguent tant la convention de Genève sur le statut des réfugiés que la convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme ou encore la charte européenne des droits fondamentaux. Quid du principe d’examen individuel de toute demande d’asile formée dans le pays de première arrivée ? Du principe de non discrimination par la nationalité ? De l’interdiction des expulsions collectives ? ... Et accessoirement de l’humanité la plus élémentaire ?
Sans complexe, les dirigeants européens avancent les justifications les plus consternantes : le président de la Commission européenne a prétendu que les textes en vigueur permettent de renvoyer des réfugiés vers un pays tiers considéré comme « sûr », ce que serait la Turquie. Rien n’est moins… sûr, puisque la Turquie n’applique que très partiellement la convention de Genève et n’a pas de système de protection des réfugiés, de sorte que ceux-ci n’ont pas la garantie de ne pas être refoulés vers un pays de persécution. La dérobade en dit long sur les compromis que l’UE s’apprête à faire pour, surtout, ne pas accueillir trop d’étrangers, de réfugiés, de migrants à l’intérieur du sanctuaire Schengen.
Dans cette fuite en avant des égoïsmes xénophobes, une deuxième honte se dessine : pour arriver à ses fins, l’Europe accepte de traiter avec un pays qui bafoue ouvertement les libertés individuelles et collectives les plus fondamentales et de lui confier le destin des réfugiés.
En même temps que l’UE s’apprête à payer des milliards d’euros à la Turquie comme prix du tri et de la mise en camps des migrants, elle couvre les violences exercées sur les opposants en observant un silence coupable sur les exactions du régime turc. Chacun connaît les bombardements subis par les Kurdes. Chacun sait maintenant que la presse d’opposition est totalement muselée. Mais la chasse aux sorcières vise également les universitaires qui, s’ils s’opposent ouvertement à ce régime dictatorial, sont désormais empêchés de mener à bien leurs recherches et interdits de publication. Les magistrats ne sont pas épargnés : alors que plusieurs d’entre eux font déjà l’objet de poursuites politiques et quelques-uns sont emprisonnés, le Haut Conseil des juges et procureurs turcs s’apprête à suspendre 680 magistrats, au motif de leur appartenance à une « organisation parallèle » !
En marge des négociations de l’accord, le président de la République française a déclaré : « La coopération avec la Turquie ne veut pas dire qu’on accepte tout de ce pays ». Alors que la liberté d’expression est bafouée, les minorités bombardées, l’épuration de la magistrature en cours, que diable faudrait-il de plus pour émouvoir les dirigeants de nos "démocraties" occidentales ?
Un tel projet d’accord, s’il devait aboutir, jetterait une nouvelle fois le discrédit et la honte sur l’Europe et ceux qui la gouvernent.
Communiqué, Paris, 12 mars 2016 http://www.gisti.org/spip.php?article5294