D’entrée de jeu, je tiens à préciser que je n’approuve pas les casseurs et je reconnais que le port d’une cagoule chez certains peut donner l’impression d’avoir affaire à une bande de voyous. J’admets aussi qu’il faudrait baliser minimalement le droit de grève des étudiants en remplaçant le vote à main levée par le vote secret et en permettant un vote électronique pour ceux qui auraient assisté à des séances de délibération préalables. J’admettrais tout cela si le droit de grève leur était reconnu et qu’on empêchait du même souffle la judiciarisation du processus en choisissant de limiter le recours indu à des demandes d’injonctions.
Ceci étant dit, et même si la bataille médiatique est provisoirement perdue pour les étudiants, il faut se replacer dans un contexte plus large pour comprendre ce qui s’est véritablement passé, ce que la présidente du conseil d’administration a omis de faire ou n’a pas voulu faire.
Le contexte politique escamoté
Nous sommes en présence d’un gouvernement qui se livre à un saccage sans précédent de nos acquis sociaux et qui coupe allègrement dans le système d’éducation. Le gouvernement se livre à un démantèlement de cette envergure alors que personne n’a voté pour ça. Or, les recteurs, qui se plaignaient en 2012 d’avoir à vivre avec un manque à gagner de 800 millions de dollars dans leur fonds de fonctionnement, ne disent rien face à des coupes qui totalisent maintenant 400 millions de dollars en trois ans.
En outre, le gouvernement, par l’entremise de son nouveau ministre de l’éducation et du premier ministre, affirme ouvertement ne pas reconnaître le droit de grève des étudiants, rompant ainsi avec une tradition vieille de 50 ans. Le gouvernement se range de cette manière du côté des carrés verts qui, eux, font valoir la prépondérance des intérêts personnels des individus sur les décisions démocratiques des associations étudiantes.
Et, comme si le fait de couper le financement de l’éducation supérieure et de casser le droit de grève des étudiants n’était pas assez, on a aussi cherché à contraindre leur droit de manifester. Le règlement P-6 traduit la volonté de la société de ne pas être dérangée. La contestation doit être docile, prévisible et contrôlée. Bref, la manifestation doit être aseptisée. La véritable force du règlement P-6 réside cependant dans le fait que la police dispose ainsi d’une mesure qui favorise, par son caractère injuste, l’escalade de la confrontation, ce qui avantage le gouvernement et nuit foncièrement à la cause des étudiants.
Une crispation autoritaire
Or, que fait la direction de l’UQAM au moment même où ses étudiants votent la grève et s’apprêtent à prendre la rue pour contester des coupes qui affectent plus que jamais le milieu de l’éducation supérieure ? Va-t-elle se ranger du côté des étudiants pour réclamer à son tour l’interruption de ces coupes budgétaires ? Elle choisit plutôt de rendre publiques des menaces d’expulsion à neuf étudiants pour des actions qui auraient dans certains cas été commises il y a deux ans. La direction de l’Université ne pouvait pas ne pas savoir que cette annonce mettrait le feu aux poudres.
Vint ensuite l’embauche de gardiens de sécurité au coût de 500 000$ dollars pour forcer les étudiants à ne pas perturber les classes où se donnent des cours, et ce, malgré les votes démocratiques pris en assemblée. Puis, finalement, la demande d’injonction n’est pas venue des carrés verts, mais bien de la direction universitaire elle-même. Menaces d’expulsion, répression et injonction. Si la direction avait voulu mettre de l’huile sur le feu, elle ne s’y serait pas prise autrement.
On a même l’impression d’avoir affaire à un scénario semblable à celui de Québec, alors qu’un policier a tiré à bout portant du gaz lacrymogène au visage d’une étudiante. La seule différence est qu’à l’UQAM, les choses se sont produites à plus grande échelle. Dans les deux cas, un climat de confrontation et de violence fut initié par des règlements et de la répression. Cela ne crée pas des conditions propices à un élargissement de la contestation et plusieurs ont préféré rester chez eux plutôt que de risquer de se retrouver dans une échauffourée. Il s’agit certainement d’un scénario parfait pour le gouvernement. L’étouffement de la contestation est très exactement l’objectif visé par la brutalité policière qui est survenue autant à Montréal qu’à Québec.
On a en fin de compte assisté au durcissement de position adoptée par la direction universitaire, ce qui la confirme dans son rôle d’allié objectif du gouvernement, permettant à ce dernier d’aller de l’avant avec sa politique d’austérité. On est ainsi passé d’un recteur qui se plaignait d’un manque à gagner de 800 millions de dollars à un recteur qui durcit le ton face aux étudiants qui contestent pourtant des coupes de 400 millions faites aux universités. La seule cohérence qui existe entre ces deux postures, c’est que la direction s’en prend à chaque fois aux étudiants, ou bien pour exiger d’eux une augmentation des droits de scolarité, ou bien pour exiger d’eux de ne pas contester les coupes que le gouvernement impose aux universités.
Une bataille à long terme
Les menaces d’expulsion, le renforcement des mesures sécuritaires et la demande d’injonction ne pouvaient que favoriser la confrontation, l’escalade et puis la casse. Les caméras de télévision ont capté des images qui ont servi d’informations à une population qui n’est pas au fait des enjeux liés à l’austérité. D’un point de vue médiatique, la majorité silencieuse est donc sortie de son mutisme et a tranché dans les sondages. Les étudiants ne sont que des casseurs cagoulés aux revendications floues qui hurlent, font du saccage et ne respectent pas l’autorité. L’objectif médiatique était atteint. Après tout, la loi et l’ordre doivent être respectés, n’est-ce pas ?
La stratégie des étudiants au printemps 2015 a été traversée par des erreurs de parcours. Au final, ces erreurs pourraient coûter cher. Mais si une hirondelle ne fait pas le printemps, le printemps ne fait pas un mouvement. L’automne pourrait être chaud et bien au-delà de la rentrée automnale 2015, la guerre à l’austérité va prendre de l’ampleur. Elle est en train de gagner le continent européen. Des économistes de renom, prix Nobels de l’économie tels que Joseph Stiglitz et Paul Krugman, dénoncent systématiquement la politique d’austérité. Tout le monde se rend compte de l’erreur commise en Europe. Le président des États-Unis, Barack Obama, de même que le Fonds monétaire international, estiment qu’il faut stimuler l’économie et non la ralentir par l’application de mesures d’austérité.
Conclusion
J’aurais aimé voir Madame Bissonnette se prononcer en 2012 pour le gel dans la perspective de la gratuité et contre la loi 12. J’aurais aimé la voir se prononcer dans sa lettre contre le règlement P-6 et pour la reconnaissance du droit de grève des étudiants, ce que le recteur de l’UQAM a timidement proposé à l’occasion d’une intervention qui s’est perdue dans le tumulte des bousculades au sein de son établissement. J’aurais aimé la voir féliciter les professeurs qui se sont interposés pour protéger des étudiants qui n’avaient rien à voir avec les casseurs. J’aurais aimé la voir contester la politique d’austérité du gouvernement pour faire écho aux revendications de ces mêmes étudiants. Je l’ai plutôt vue défendre la loi et l’ordre contre ce qu’elle décrit comme de la violence et de l’intimidation. Dans le contexte plus large du conservatisme sans précédent dans lequel la société québécoise est plongée, sa lettre rappelle jusqu’à un certain point le propos autoritaire et paternaliste des lucides qui, à l’été 2012, ordonnaient purement et simplement aux étudiants de se la fermer et de retourner en classe.
À chacun ses silences, ses devoirs de réserve et ses choix d’entériner ou non les revendications d’un mouvement de contestation légitime. Bref, à chacun son camp de base. Pour ma part, ça fait longtemps que j’ai choisi le mien.