Je n’ai jamais reçu autant de commentaires sur un article que j’ai écrit. Et pourtant, j’ai écrit plusieurs critiques du mouvement syndical depuis 2009 dans les revues de gauche québécoise. J’ai déjà reçu des critiques, bien sûr, particulièrement en 2012 lorsque j’ai dénoncé l’apathie syndicale pendant le printemps étudiant. Mais aujourd’hui, les critiques sont plus nombreuses et j’ai senti qu’il y avait une escalade puisqu’on commençait à m’attaquer sur une base personnelle. Loin de moi l’idée je jouer à la victime. Toutefois, il faut chercher à comprendre pourquoi on refuse, chez plusieurs, l’idée même de critiquer une centrale syndicale comme la CSN et surtout dans un contexte aussi difficile que la mise en application des mesures d’austérité par le gouvernement libéral.
J’ai reçu trois types de critiques qui venaient, pour la plupart de militants chevronnés et de permanents de la CSN. La première qu’on entend souvent c’est de dire que critiquer la CSN, c’est donner des arguments à l’ennemi. Le gouvernement Couillard est donc content de nous voir se chicaner. Le deuxième type est de dire que la CSN n’a jamais parlé de grève sociale. On ne peut donc la blâmer de renoncer à une stratégie qu’elle n’a pas envisagée. Le troisième type est plus délicat puisqu’il me vise d’une manière directe. Je ne peux critiquer une organisation comme la CSN puisque j’ai été secrétaire-général du Conseil Central du Montréal Métropolitain (de 2004 à 2009). Je suis alors en conflit de loyauté. Ou encore, que je suis malhonnête puisque ma connaissance de la structure syndicale devrait m’amener à comprendre que ce n’est pas facile de lancer un mot d’ordre de grève sociale dans une centrale comme la CSN.
Pour la première catégorie de critiques, elle est assez habituelle. On ressort souvent cet argument pour faire cesser le débat. On se présente comme une grande famille qui n’exposera pas ses différends sur la place publique. Je pense qu’il faut sortir de cette manière de voir les choses. Au contraire, le débat est le fondement de la démocratie. Et exposer ses différends dans l’espace public est une preuve de vigueur démocratique si ces enjeux sont vraiment d’intérêt public et politique. Le lectorat de PTAG a le droit de savoir que la direction de la CSN est critiquée par des membres de l’organisation. Surtout s’il s’agit d’un débat aussi important que le recours à la grève sociale.
En ce qui concerne la deuxième catégorie, je dois dire d’emblée que mes détracteurs ont en partie raison. J’ai révisé les plans d’action des différentes instances de la CSN au mois de décembre et janvier derniers. On ne peut dire clairement qu’il y avait des résolutions claires en faveur de la grève sociale provenant des membres des exécutifs. En fait, dans ces plans d’action, on évoquait la possibilité de discuter éventuellement du recours à la grève sociale. Tout compte fait, c’est assez confus. Ces formules peuvent vouloir dire la chose et son contraire. C’est ce qui est arrivé dans les faits : la direction de la CSN renonce à la grève sociale et 28 syndicats du collégial vont faire une grève illégale le 1er mai.
Le troisième type est plus délicat et je ne suis pas certain que ce soit d’intérêt public. Cependant, puisqu’on a relevé le fait que j’ai été secrétaire général du Conseil Central de Montréal dans les réseaux sociaux et que je suis donc en conflit de loyauté ou encore que je devrais savoir que c’est difficile de diriger une centrale diversifiée comme la CSN, je sens que je suis obligé de répondre. Je dirais qu’avant d’avoir été secrétaire général du CCMM, j’étais et je suis surtout et encore un militant syndical à l’intérieur de la CSN et que c’est ce titre que j’interviens publiquement et dans mon syndicat. Ce n’est pas un conflit de loyauté que de défendre l’idée d’une organisation syndicale combative surtout dans un contexte d’austérité. Par ailleurs, mon expérience au sein de l’appareil de la CSN me laisse entendre que cette centrale peut devenir une formidable machine à mobilisation comme elle l’a fait en 2003 et 2004. Mais elle peut aussi souffrir de paralysie politique comme elle l’a fait en 2012 pendant le printemps étudiant. Lancer une mobilisation dépend avant tout du choix politique qu’on fait et non de l’ampleur de l’appareil ou de la diversité de ses membres.
Depuis quelques années, je soutiens l’idée que le mouvement syndical fait face à un choix lorsqu’il subit les attaques du néolibéralisme. Il peut lutter d’une manière ouverte ou il peut s’empêtrer dans une logique de reproduction, c’est-à-dire qu’il cherchera à rester en place par tous les moyens possibles. Nous faisons face encore au même choix. Il est encore temps de réfléchir avant de prendre ses décisions. Toutes les critiques négatives que j’ai reçues s’inscrivent dans cette logique de reproduction. Les centrales syndicales sont difficiles à changer puisqu’elles reposent sur des normes politiques et symboliques qui ont été instituées depuis plusieurs décennies. Cependant, ces règles peuvent se modifier si on s’entend sur une volonté de mener une lutte ouverte contre le gouvernement néolibéral. La mobilisation des syndicats du secteur collégial en grève sociale le 1er mai s’inscrit dans cette possibilité de renouveau syndical dans une perspective de lutte concrète contre l’austérité. Et je serai à leurs côtés.
René Charest
Militant CSN
Photo : René Charest