Édition du 19 novembre 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

L’UQÀM AUSTÉRITAIRE

Le mercredi 8 avril dernier, l’administration de l’UQÀM recourait aux « services » du SPVM pour tenter de mater la contestation étudiante en son sein, provoquant ainsi l’arrestation de 22 personnes. Un tel geste montre que l’administration actuelle bafoue la tradition de l’institution, elle-même née de la contestation étudiante — rappelons que les grèves étudiantes de 1968 revendiquaient, entre autres, une deuxième université francophone à Montréal.

De cette naissance, l’UQÀM a gardé une tradition militante jamais démentie. Les étudiants et étudiantes, des citoyens et citoyennes à part entière, se sont mobilisés pour des enjeux dépassant les murs de l’université ou se limitant au monde de l’éducation (solidarité avec les grévistes du Front commun de 1972, opposition au coup d’État au Chili en 1973, lutte contre l’apartheid en Afrique du Sud). Déjà en 2012, une opposition à la hausse des frais de scolarité s’est transformée en une lutte contre la marchandisation de l’éducation et les politiques néolibérales. En se mobilisant contre les politiques d’austérité et le tout-au-pétrole qui les complète, les étudiants et étudiantes actuels poursuivent cette tradition. En niant la collégialité (suspension, notamment, du comité de la vie étudiante) et en recourant à l’appareil judiciaire et aux forces policières, l’administration manifeste pour sa part son intention d’en finir avec une UQÀM socialement engagée.

Le virage que cette administration fait prendre à l’UQÀM, virage austère et autoritaire — en un mot : austéritaire —, a des ramifications plus redoutables encore. Elles touchent l’une des fonctions fondamentales de l’éducation supérieure. L’université n’est pas qu’une école professionnelle. Elle a aussi comme mission de donner le souci du monde et de former des citoyens et citoyennes critiques en prise sur la réalité. On ne saurait affirmer cela sans en tirer toutes les conséquences concrètes. L’école n’est pas un lieu neutre isolé du reste de la société. C’est un cadre où se développent aussi bien des capacités de penser le monde que des capacités d’intervenir et d’agir au sein de ce monde. C’est ainsi que l’éducation peut être véritablement émancipatrice. Que des étudiants et étudiantes s’approprient des savoirs critiques et des pratiques sociales — et pas seulement individuelles, voire individualistes — est en ce sens parfaitement conséquent avec le sens profond d’une éducation libératrice. Le militantisme étudiant n’est pas seulement formateur, autant qu’une simulation des Nations Unies, un stage à l’Assemblée nationale, un stage dans un organisme communautaire, un cabinet d’avocats ou un bureau d’ingénieur : il est le prolongement pratique d’une formation capable de questionner les schèmes dominants de la pensée et de la représentation du monde commun. Ce sont les conséquences concrètes de cette fonction critique que ne tolère manifestement pas une administration qui a pris divers moyens pour briser un mouvement collectif découlant de décisions prises collectivement. Cela nous inquiète sérieusement.

On accuse les grévistes de nuire à « l’image » de l’UQÀM. Or, ce qui lui fait le plus mal, c’est sans conteste cette administration autoritaire.

Face à la confiscation de l’institution par sa seule direction et à la négation par les gestes de cette direction de l’idée même de communauté universitaire, nous affirmons que nous sommes :

contre l’université autoritaire qui, au nom de la légalité, brime le droit de la communauté universitaire, à commencer par les étudiants et étudiantes, à intervenir sur les enjeux la concernant directement ou indirectement ; 
contre l’université qui orchestre des expulsions « exemplaires » d’étudiants impliqués dans les luttes (le ministre Blais, qui suggérait d’en faire deux trois par jour pour « donner l’exemple », a bien compris la logique de ces expulsions) ;

 contre l’université qui a recours aux injonctions pour rendre inopérants les votes de grève pris en assemblée ;
 contre l’université qui investit davantage dans les dispositifs de surveillance que dans l’enseignement et la communauté universitaire ;
 contre l’université qui somme le corps professoral de donner les cours même dans des salles vides, niant la relation pédagogique ;
 contre l’université qui conçoit l’enseignement sur le mode de la machine distributrice ; 
 contre l’université qui conçoit le monde étudiant comme une clientèle ;
 contre l’université qui se conçoit comme une entreprise soumise à la logique de la productivité, du profit et de l’image de marque (le branding) ; 
 contre l’université qui considère l’administration comme l’unique possesseur de l’université, au détriment de la communauté universitaire (professeur-e-s, chargé-e-s de cours, étudiant-e-s, employé-e-s) ; 

Nous soutenons le droit à la grève des étudiants et étudiantes et nous refusons le paternalisme qui souhaite les restreindre à ne s’inquiéter que du sort de l’éducation.
Nous exigeons : 

 1. l’arrêt immédiat des procédures disciplinaires à l’endroit des militants et militantes visés avant la grève ;
 2. la levée des sanctions et accusations frappant les étudiants et étudiantes arrêtés depuis le début de la grève ;
 3. la cessation de l’utilisation de tout corps policier, d’organismes privés de sécurité ou de l’utilisation de caméras de surveillance à l’intérieur du campus ;
 4. le maintien de la liberté d’action politique à l’UQÀM, telle que garantie par les chartes de droits. 
 
Nous invitons enfin toute organisation (syndicale, communautaire, militante, etc.) à adopter une position semblable et à la faire valoir. 

Co-signataires (en date du 24 avril 2015)

1. Diane Lamoureux, professeure, Université Laval
2. Martin Jalbert, professeur, cégep Marie-Victorin
3. Suzanne Beth, chargée de cours, Université de Montréal
4. Michel Lacroix, professeur, UQÀM
5. Anne Lardeux, chargée de cours, Université de Montréal
6. Joan Sénéchal, professeur, collège d’Ahuntsic
7. Frédérique Bernier, professeure, cégep de Saint-Laurent
8. Stéphane Thellen, professeur, Cégep du Vieux Montréal
9. Sophie Castonguay, chargée de cours, UQÀM
10. Benoit Tellier, professeur, cégep de Saint-Jérôme
11. Anne Bérubé, professeure, cégep du Vieux Montréal
12. A. Hadi Qaderi, professeur et étudiant, UQÀM
13. Diane Gendron, professeure, Collège de Maisonneuve
14. Julien Villeneuve, professeur, Collège de Maisonneuve
15. Isabelle Larrivée, professeure, Collège de Rosemont
16. Philippe de Grosbois, professeur, Collège Ahuntsic
17. Edith Martel, professeure, Cégep de Saint-Jérôme
18. Francis Lagacé, chargé de cours retraité
19. Isabelle Baez, chargée de cours, UQÀM
20. Jean-Marc Piotte, professeur émérite, UQÀM
21. Anne Marie Miller, professeure, cégep du Vieux Montréal
22. Julien Lefort-Favreau, Université de Toronto
23. La Table des groupes de femmes de Montréal
24. Gilles Parent, professeur, Cégep de l’Outaouais
25. Sandrine Ricci, chargée de cours, UQÀM
26. Ted Rutland, professeur, Université Concordia
27. Murielle Chapuis, professeure, Collège Lionel-Groulx
28. Jean-François Hamel, professeur, UQÀM
29. Isabelle Pontbriand, professeure, Collège Lionel-Groulx
30. Marcos Ancelovici, professeur, UQÀM
31. Anne-Marie Le Saux, professeure, Collège de Maisonneuve
32. Mouloud Idir, chercheur associé, CÉDIM, UQÀM
33. Anick St-Louis, professeure, Collège de Rosemont
34. Dominic Arsenault, professeur, Université de Montréal
35. Audrey Laurin-Lamothe, doctorante, UQÀM
36. Paul Eid, professeur, UQÀM
37. Mary Ellen Davis, chargée de cours, Université Concordia
38. Michel Ratté, chargé de cours, UQÀM
39. Jawaher Chourou, chargée de cours, UQÀM
40. Sylvano Santini, professeur, UQÀM
41. Martine Delvaux, professeure, UQÀM
42. Michel Milot, professeur, Collège Lionel-Groulx
43. Grégoire Manouchian, étudiant, Université de Montréal
44. Carolle Mathieu, présidente, l’R des centres de femmes du Québec
45. Ricardo Peñafiel, professeur, UQÀM
46. Linda Guerry, Collectif éducation sans frontières
47. Maxence L.Valade, étudiant, UQÀM
48. Sylvie Béland, professeure, Collège de Valleyfield
49. Valérie Lefebvre-Faucher, éditrice, Éditions du Remue-ménage
50. Kamel Khalifa, professeur, Université Concordia
51. Sonia Gauthier, professeure, Université de Montréal
52. Leila Celis, professeure, UQÀM
53. Steve McKay, professeur, Cégep de Sherbrooke
54. Émilie Cantin, professeure, cégep Marie-Victorin
55. Claude Vaillancourt, professeur, Collège André-Grasset
56. Geneviève Pagé, professeure, UQÀM
57. Erik Bordeleau, postdoctorant, Université Concordia
58. Marie Josée Lévesque, professeure, Cégep Gérald-Godin
59. René Lapierre, professeur, UQÀM
60. Elsa Galerand, professeure, UQÀM
61. Thomas Dussert, professeur, cégep d’Ahuntsic
62. Dominique Damant, professeure, Université de Montréal
63. Simon Chavarie, professeur, Cégep de Saint-Jérôme
64. Anne Latendresse, professeure, UQÀM
65. Jacques Pelletier, professeur, UQÀM
66. Martine-Emmanuelle Lapointe, professeure, Université de Montréal
67. Charles Reiss, professeur, Université Concordia
68. Anne-Marie Pepin, professeure, cégep Marie-Victorin
69. Sébastien Caquard, professeur, Université Concordia
70. Sima Aprahamian, chercheure associée, Université Concordia
71. Alain Gerbier, chargé de cours, UQÀM
72. Christine York, professeure, Université Concordia
73. Philippe Langlois, professeur, Cégep de Sherbrooke
74. Frances Ravensbergen, professeure, Université Concordia
75. Norman Nawrocki, professeur, Université Concordia
76. Marie-Ève Charron, chargée de cours, UQÀM
77. Yves Amyot, chargé de cours,UQÀM
78. Annie Lalancette, chargée de cours, Université Concordia
79. Dominique Peschard, président de la Ligue des droits et libertés
80. Rachel Bédard, éditrice, Éditions du Remue-ménage
81. Ian Boyd, producteur, les Films de l’Isle
82. Sophie Vallée-Desbiens, professeure, cégep du Vieux Montréal
83. Sébastien Bage, professeur,Cégep Édouard-Montpetit
84. Émy Roy-Paradis, professeure, cégep Marie-Victorin
85. James Freeman, professeur, Université Concordia
86. Céline Demers, professeure, cégep du Vieux Montréal
87. Christian Brouillard, professeur, Cégep de Drummondville
88. Marie-Laurence Poirel, professeure, Université de Montréal
89. Marc-André Houle, chargé de cours, UQÀM
90. Margie Bertrand, professeure, cégep du Vieux Montréal
91. Louis Jacob, professeur, UQÀM
92. Gamine Gagnon, professeure, Cégep de Saint-Jérôme
93. Daniel Letendre, chargé de cours, UQÀM
94. Laurence Bherer, professeure, Université de Montréal
95. Claude Blais, chargé de cours, Université de Montréal
96. Norma Rantisi, professeure, Université Concordia
97. Pierre Robert, professeur, Collège Lionel-Groulx
98. Anne Migner-Laurin, éditrice, Éditions du Remue-ménage
99. Gilles Gagné, professeur, Université Laval
100. Magali Uhl, professeure, UQÀM

Sections

redaction @ pressegauche.org

Québec (Québec) Canada

Presse-toi à gauche ! propose à tous ceux et celles qui aspirent à voir grandir l’influence de la gauche au Québec un espace régulier d’échange et de débat, d’interprétation et de lecture de l’actualité de gauche au Québec...