14 novembre 2023 | tiré du site de Révolution permantente
Le 25 octobre, après 41 jours de grève, l’United Auto Workers (UAW) a obtenu un premier accord contractuel provisoire avec Ford. En seulement quatre jours, General Motors et Stellantis ont suivi leur exemple, acceptant des augmentations de salaire, des primes et des avantages presque identiques, mettant ainsi fin à l’une des grèves automobiles les plus importantes, dynamiques et médiatisées des dernières décennies. Une grève historique qui, pour la première fois, a simultanément arrêté les usines des "Big Three" de l’automobile aux États-Unis.
Bien que les membres de l’UAW débattent toujours et votent sur les accords provisoires, et que toutes les revendications n’aient pas été obtenues (de fait, récemment le vote négatif sur l’accord provisoire par les employés de l’usine de Flint dans le Michigan montrent que les grévistes auraient probablement pu obtenir d’avantage si la base avait été en première ligne), il s’agit néanmoins d’une victoire pour les travailleurs de l’automobile. Les gains dans ces contrats proposés sont substantiels et représentent un rétablissement significatif des concessions en matière de salaires et d’avantages accordées par les dernières directions syndicales aux Big Three au cours des quinze dernières années.
Non seulement le syndicat a réussi à obtenir des augmentations salariales de 25 % sur la durée du contrat, avec 11 % la première année et une prime de 5 000 dollars, mais il a également franchi des étapes importantes vers l’élimination des paliers qui condamnent les travailleurs récemment embauchés à des salaires et des conditions de travail significativement inférieurs aux autres employés chez les trois constructeurs automobiles. Les grévistes américains ont aussi réussi à arracher le rétablissement des ajustements au coût de la vie qui protégeront ces salariés contre l’inflation à l’avenir.
En plus de ces questions fondamentales, le syndicat a utilisé la grève pour contraindre les trois entreprises automobiles à réaliser d’importants investissements dans de nouvelles usines et à garantir la syndicalisation des usines de batteries et de véhicules électriques (VE), contribuant ainsi à protéger les emplois et les salaires à mesure que l’industrie évolue vers la production de VE. Cela comprend la réouverture de l’usine d’assemblage de Belvidere, dans l’Illinois, et l’intégration de l’usine de batteries Ultium Cell de Warren, dans l’Ohio, dans l’accord-cadre, une mesure qui permettra d’ajouter environ 1 000 travailleurs supplémentaires au syndicat. Cependant, de tous les gains remportés dans ce contrat, le plus important pourrait être l’inclusion du droit de faire grève en cas de fermeture d’usines, une victoire majeure contre les licenciements potentiels qui maintient l’option de la grève à l’avenir.
Mais la grève de l’UAW n’est pas seulement une victoire pour les travailleurs de l’automobile ; c’est une victoire pour l’ensemble de la classe ouvrière américaine, qui a observé avec attention et pris des notes. Les gains obtenus dans ces accords, rendus possibles par les plus de 50 000 membres de l’UAW qui ont finalement fait grève et par tous les autres qui les ont soutenus, démontrent le pouvoir que peuvent exercer les travailleurs lorsqu’ils s’organisent et restent unis et solidaires. Cela a également inspiré les travailleurs du monde entier, qui ont rejoint en nombre les piquets de grève et les rassemblements de solidarité comme au Mexique. Des initiatives qui ajoutent ainsi un élan important au nouveau mouvement de lutte, encore en gestation, qui prend forme aux États-Unis.
Tirer les leçons de cette grève pour contribuer à renforcer le pouvoir et la combativité des syndicats américains, ainsi que le mouvement grandissant de la classe ouvière américaine en général, est une tâche importante, en particulier en ce moment de crise politique, économique et écologique mondiale, marqué par l’offensive impérialiste et sioniste sur la Palestine.
Alors que la police continue de tuer en toute impunité, que les personnes trans et les femmes continuent d’être privées de leurs droits démocratiques. Dans le même temps, les États-Unis gaspillent des centaines de milliards de dollars des contribuables et d’innombrables vies pour imposer leur pouvoir à l’étranger. Alors que les bombes financées par les États-Unis continuent de tomber sur Gaza, il est impératif de construire des syndicats capables de prendre position contre l’oppression et l’impérialisme, ainsi que contre l’exploitation.
Une grève historique pour toute la classe
La grève de l’UAW est sans aucun doute l’une des actions syndicales les plus importantes aux États-Unis depuis des décennies. Mais la grève n’a pas été construite dans le vide, et elle n’aurait pas été possible sans le changement massif de la conscience de la classe ouvrière et de la lutte ouvrière qui a eu lieu ces dernières années. De la vague de grèves des enseignants qui a commencé en 2018, au soulèvement de 2020 contre les violences policières, en passant par l’explosion de nouvelles mobilisations syndicales après la pandémie, et les grèves massives de 2023 (qui ont inclus près de 200 000 acteurs et écrivains). La classe ouvrière américaine reconstruit lentement la combativité qu’elle a perdue face à l’offensive néolibérale réactionnaire des quatre dernières décennies.
C’est cette nouvelle combativité et cette conscience de classe croissante qui ont ouvert la voie à la grève de l’UAW, catalysant ainsi le pouvoir déjà en développement d’un mouvement inédit de la classe ouvrière américaine. Cela est apparu clairement dès le début de la grève, lorsque les plus de 12 000 travailleurs de l’UAW qui avaient initialement débrayé chez Ford, Stellantis et General Motors, ont été rejoints par des milliers de sympathisants, et inondés de solidarité de syndicats, de syndicalistes, d’écologistes et de travailleurs du monde entier dont les actions ont clairement démontré que leur combat était le combat de tous les travailleurs.
En effet, peu de temps après le début de la grève, les sondages ont montré qu’une écrasante majorité (78 % des américains) soutenaient l’UAW contre les Big Three, un nombre bien plus élevé que le soutien accordé à Trump ou à Biden
L’UAW et ses alliés se sont alors engagés dans une bataille de plusieurs semaines qui a finalement impliqué un travailleur de l’automobile sur trois dans le syndicat. Même si d’autres membres continuaient de travailler, ces travailleurs répondaient à l’appel et sacrifiaient courageusement leur propre gagne-pain pour se rendre sur les piquets de grève en solidarité avec leurs collègues syndiqués. Ils sont venus par temps froid et pluvieux, ont manifesté devant les portes, bloquant les camions et les véhicules de livraison, et ont formé des piquets de grève rigoureux pour affronter les cadres anti-grève et les briseurs de grève qui tentaient de les remplacer.
Défiant les lois anti-syndicales qui interdisent aux grévistes de bloquer les entrées des lieux de travail, les piquets de grève sont devenus une école de guerre où les travailleurs faisaient face non seulement au pouvoir répressif des directions d’entreprises, mais aussi à celui de l’État. Et c’est précisément cet esprit de combativité et de détermination à lutter un jour de plus qui a permis à l’UAW de forcer d’abord Biden, puis Trump, puis toute l’industrie, à reconnaître que cette fois-ci était différente. Les efforts d’organisation des travailleurs de l’usine de General Motors à Flint, dans le Michigan, qui viennent de voter contre le contrat proposé parce qu’il ne prévoyait pas de pensions pour les embauches après 2007, sont également une démonstration de la combativité de la base de l’UAW et de sa volonté de continuer à se battre.
Bien que le combativité et le rapport de force imposé par les bases ainsi que la rhétorique combative du nouveau leader de l’UAW, Shawn Fain, ont donné l’impression qu’il s’agissait d’une grève offensive, ces accords visent en réalité à récupérer ce qui avait été perdu dans les contrats précédents. Avant cette grève, l’UAW était à la défensive depuis près de deux décennies. Après la crise économique de 2008, lorsque les constructeurs automobiles ont à peine réussi à survivre grâce aux renflouements du gouvernement, les dirigeants de l’UAW ont accepté une série de concessions importantes selon l’idée erronée que ce qui était bon pour l’entreprise était bon pour les travailleurs.
Cette approche, a été hégémonique dans l’UAW jusqu’à l’arrivée de Fain au pouvoir au début de 2023, et avait conduit à des décennies de déclin de la combativité et du pouvoir syndical en tant qu’outil de lutte.
Sans surprise, les Big Three ont énormément profité de l’offensive néolibérale et des milliards de dollars qu’ils ont reçus du gouvernement fédéral pour réaliser des bénéfices records, dont aucun n’a été restitué aux travailleurs. Lorsque le syndicat a finalement déclenché une grève en 2019, il a suivi l’ancien modèle de tenter d’obtenir des miettes en faisant grève dans une seule entreprise. Cela a largement échoué, entraînant non seulement des augmentations de salaire médiocres, qui n’ont presque rien fait pour compenser les dommages des 11 années précédentes, mais a été suivi de fermetures d’usines et de licenciements massifs qui ont laissé une cicatrice durable dans la mémoire des membres du syndicat.
Pour récupérer ces concessions et faire face aux licenciements, la nouvelle direction de l’UAW savait qu’elle devait faire plus que simplement mobiliser pour une énième grève. Elle devait présenter des revendications ambitieuses qui galvanisent et inspirent les syndiqués, elle devait frapper les trois constructeurs automobiles en même temps et, surtout, elle devait construire la solidarité de toute la classe ouvrière ; et c’est ce qu’elle a fait. En présentant de manière offensive un ensemble de revendications audacieuses et sans précédent, accompagné d’une rhétorique mettant au centre la lutte des classes et la solidarité, l’UAW a réussi à construire une grève qui a attiré l’attention des travailleurs de tous les Etats-Unis, qui ont rapidement considéré cette lutte comme la leur.
Grâce à une dénonciation systématique des hyper-riches, comme les PDG et cadres des Big Three, Fain et l’UAW ont pu démontrer que les attaques contre le niveau de vie et les conditions de travail des salariés de l’automobile faisaient partie d’une attaque plus large contre les travailleurs du monde entier. Ils ont réaffirmé ce que tout défenseur des syndicats sait : que les gains des membres des syndicats contribuent à élever le niveau de vie de tous les travailleurs. En effet, seulement quelques jours après la proposition de Ford, Toyota a spontanément augmenté les salaires de son personnel de production de 9 % et Honda de 11 % afin d’éviter d’éventuelles tentatives d’organisation par l’UAW et de rivaliser avec les Big Three sur un marché du travail tendu.
Lors de discours successifs, Fain a utilisé l’attention médiatique entourant la grève pour parler non seulement à ses membres, mais à l’ensemble de la classe ouvrière, d’inégalités, de l’exploitation, de la dignité au travail, de la force de la solidarité et de l’arme de la grève. Au travers d’événements réguliers sur Facebook avec des audiences en direct de plus de 60 000 personnes, il a parlé des moyens par lesquels les entreprises privatisent les bénéfices mais socialisent les pertes ; de l’importance de la solidarité entre travailleurs de différents syndicats et entre travailleurs syndiqués et non syndiqués, à l’échelle nationale et internationale ; soulignant à maintes reprises que ce sont les travailleurs qui font tourner l’économie. Lors d’un rassemblement à Belvidere, dans Illinois, le 9 novembre, Fain a réitéré ce point en déclarant aux membres de l’UAW qu’ils retourneraient travailler là bas : « les travailleurs font tourner cette économie, et nous, les travailleurs, avons le pouvoir de bloquer cette économie si elle ne fonctionne pas pour la classe ouvrière ».
Ces manifestations de colère et de solidarité de classe s’opposent directement à la politique du syndicalisme patronal et du chauvinisme ouvrier américain, qui considère les travailleurs étrangers, et parfois même les travailleurs d’autres entreprises, comme une concurrence. En fait, Fain a affirmé explicitement que les travailleurs syndiqués d’autres entreprises automobiles ne devraient pas être considérés comme des concurrents, mais comme des futurs membres de l’UAW, sapant ainsi les tentatives du patronat de diviser les travailleurs. Il a également évoqué régulièrement les luttes des travailleurs mexicains de l’automobile surexploités, affirmant clairement que la seule façon d’empêcher les directions d’entreprises d’utiliser la menace de fermeture d’usines et la délocalisation était d’unir l’ensemble de la classe ouvrière internationale plutôt que de se concurrencer mutuellement.
Mais il ne s’agissait pas simplement d’une stratégie visant à obtenir un bon contrat ou à récupérer quelques concessions des Big Three. À bien des égards, cette grève était la première bataille de ce qui pourrait être le début d’une UAW revitalisée et combative. Fain et la nouvelle direction du syndicat semblent déterminés à tirer parti de l’élan de cette grève pour continuer à faire croître l’UAW, ainsi que pour renforcer le florissant nouveau mouvement ouvrier.
Le syndicat a clairement indiqué qu’il prévoit d’organiser de manière offensive dans d’autres entreprises automobiles telles que Toyota, Hyundai et Tesla. Les travailleurs de l’usine Tesla à Fremont, en Californie, ont par ailleurs déjà formé un comité d’organisation avec l’UAW. Dans un mouvement qui semblait impossible il y a seulement quatre ans, ils ont également fixé la date d’expiration des trois contrats au 30 avril, afin que les grèves futures puissent avoir lieu dès le 1er mai. Ils ont ainsi encouragé tous les autres syndicats du pays à faire de même en préparation d’une grève commune, ce qui défierait et saperait largement les pratiques draconiennes antisyndicales mises en œuvre par les entreprises. Une telle initiative, si elle se concrétise, défierait largement l’interdiction de grèves de solidarité imposée par la loi Taft-Hartley, augmentant considérablement le pouvoir politique des syndicats.
L’orientation combative de la direction actuelle du syndicat n’est pas le résultat d’un changement "par le haut". Fain est arrivé à la direction du syndicat comme le produit de la faillite de la direction syndicale officielle qui a permis les offensives néolibérales sur les travailleurs de l’automobile, du ras-le-bol de la base du syndicat automobile envers la bureaucratie et les nouvelles idées dans la base ouvrière, injectées d’énergie par les nouvelles générations d’ouvriers.
La construction d’un véritable mouvement ouvrier combatif, indépendant et de lutte des classes nécessite l’auto-organisation
Cette grève et les victoires importantes obtenues représentent clairement un changement par rapport à la stratégie syndicale patronale défaillante des anciens dirigeants de l’UAW. Cependant, inverser un navire aussi massif que l’UAW, avec ses près de 400 000 membres, n’est pas une tâche facile et ne peut pas être réalisé du haut vers les bases. Malgré les grandes ambitions de Fain, sa rhétorique de lutte des classes et son admiration pour l’ancien président combatif de l’UAW, Walter Reuther, le syndicat reste contrôlé et limité par une direction bureaucratique qui continue d’entraver l’auto-organisation de ses membres et qui reste liée au Parti démocrate impérialiste.
Une grande partie des critiques de Fain envers la "classe milliardaires", par exemple, fait écho à la rhétorique de la campagne des primaires de 2020 du sénateur Bernie Sanders, et ses liens de plus en plus étroits avec le président Biden et d’autres politiciens du Parti démocrate montrent les contradictions inhérentes au modèle bureaucratique verticaliste du syndicalisme. Cette relation avec le Parti démocrate, qui s’est récemment conclue par le soutien non officiel de Fain à Biden, représente un danger existentiel pour l’UAW et le mouvement syndical. Le Parti démocrate, après tout, est l’outil que l’État utilise pour lier plus étroitement les directions syndicales afin d’empêcher qu’elles n’exercent tout leur pouvoir. Nous avons précisément vu au cours de cette grève comment Biden a tenté d’utiliser son "soutien" à la grève pour pousser à un accord rapide et revitaliser son image de progressiste soucieux des préoccupations de la classe ouvrière en vue de sa campagne pour la réélection.
Ces contradictions ont été mises en évidence tout au long de la grève. En tant que tactique, la grève « stand up » était une méthode innovante de perturbation qui maintenait les employeurs en haleine à chaque instant et les opposait souvent les uns aux autres. Annoncer de nouveaux arrêts chaque semaine a également permis au syndicat de maintenir l’attention des médias et la grève à la une. Cependant, cette stratégie a également limité le nombre de membres de l’UAW qui ont pu participer à la grève. De nombreux centres de production les plus importants, y compris la plupart des usines de moteurs, d’essieux et de transmissions, ont continué à fonctionner, permettant à des entreprises comme General Motors de poursuivre la majeure partie de leur production sans interruption.
Cela signifiait non seulement que toute la puissance de la grève n’était jamais utilisée (une raison peut-être pour laquelle le syndicat n’a pas obtenu davantage de ses revendications, y compris le rétablissement complet des pensions chez General Motors), mais, étant donné que la grève était largement contenue et contrôlée d’en haut, de nombreux travailleurs ont été exclus de la lutte et du processus décisionnel. En effet, les travailleurs de l’automobile n’ont pas seulement été exclus du choix de quand commencer la grève, mais même la décision de retourner au travail pendant que les accords provisoires étaient débattus a été prise de manière unilatérale à l’avance, sans aucun débat ni contribution de la base.
Obtenir ces contrats avantageux est important, et les syndicats ont besoin de directions combatives. Mais l’auto-organisation du mouvement ouvrier et des bases est cruciale pour construire le pouvoir nécessaire pour défier réellement les employeurs et la tyrannie du capital, c’est-à-dire la manière dont les décisions sur la production sont prises par une petite minorité à des fins lucratives, non par nécessité. Pour faire cela, nous devons insister pour que des grèves comme celles-ci soient dirigées depuis la base par des comités de grève dans chaque lieu de travail, où les décisions sur où, quand et comment faire grève sont débattues et discutées ouvertement, et que les négociations soient publiques et ouvertes à tous les membres tout au long du processus de négociation. Nos camarades de Left Voice Luigi Morris, travailleur d’entrepôt chez UPS et syndicaliste, et James Dennis Hoff expliquaient dans leur article ["Now More than Ever, the Working Class Needs Independent, Democratic Unions” → https://www.leftvoice.org/what-does-a-democratic-and-combative-union-look-like/] :
« Pour construire des syndicats véritablement démocratiques, nous devons autonomiser au maximum les syndiqués de base, car c’est là que réside le pouvoir de tout syndicat. Cela signifie créer des assemblées ouvertes et démocratiques pour des débats et des prises de décisions régulières entre tous les membres d’un lieu de travail. Cela signifie des négociations ouvertes et transparentes et l’élection directe de délégués syndicaux et de membres du comité de négociation, sujets à révocation immédiate par la majorité du syndicat. Et cela signifie l’élection directe des dirigeants syndicaux locaux et nationaux sur le lieu de travail, engagés dans les intérêts de la classe ouvrière, sujets à révocation immédiate et ne gagnant pas plus que le salaire annuel moyen du travailleur. »
Cela doit également - et c’est important - inclure le droit des travailleurs, collectivement, et pas seulement des dirigeants et des équipes de négociation, de décider quand mettre fin à la grève et quand reprendre le travail. Fain a affirmé que le retour au travail chez Ford était une décision tactique, destinée à faire pression sur les autres entreprises automobiles qui n’avaient pas encore conclu d’accord, et bien que cela puisse être vrai, cela affaiblit la position du syndicat pour continuer à lutter pour davantage, et cela aurait dû être décidé par l’ensemble des travailleurs.
L’UAW doit se positionner contre le génocide à Gaza, l’oppression et l’impérialisme
Peut-être que la plus grande contradiction et limite de la nouvelle direction de l’UAW et du mouvement ouvrier américain en général est son silence généralisé sur l’oppression étatique et son soutien, voir parfois sa complicité, avec l’impérialisme américain, comme cela se manifeste dans la crise ouverte en Palestine avec la principale fédération syndicale, l’AFL-CIO, alignée derrière Biden. À quelques exceptions près, comme la défense des droits des personnes trans par les travailleurs de Starbucks et la défense active de la libération palestinienne par l’ILWU (syndicat de dockers), la plupart des directions syndicales ont tendance à se concentrer presque exclusivement sur les luttes matérielles pour les salaires, les avantages sociaux et les conditions de travail, évitant de s’attaquer à l’État étasunien sur des questions politiques.
Lorsque les syndicats interviennent en politique, c’est généralement pour obtenir une législation directement liée aux droits des travailleurs ou sous forme de simples résolutions. Cette timidité est en partie le produit de la cooptation historique des syndicats par l’État américain et le Parti démocrate, qui ont offert la légalité et des protections limitées en échange de la paix sociale et de la conformité idéologique. Le résultat est que le mouvement ouvrier organisé syndicalement s’est considérablement réduit, et ce qui reste a été bureaucratisé et affaibli politiquement. Les directions traditionnelles ont abandonné pendant plus d’un demi-siècle une stratégie de lutte des classes pour une stratégie de conciliation et de réconciliation des classes avec un régime impérialiste.
Ce projet de réconciliation des travailleurs avec les intérêts de l’État a produit et continue d’être renforcé par une perspective idéologique qui considère les intérêts des syndicats, et des travailleurs américains en particulier, comme liés aux fortunes de l’État et séparés de questions plus larges d’oppression et d’exploitation à l’intérieur et à l’extérieur du pays. Lorsque des dirigeants, par ailleurs progressistes comme Fain (qui critique la "classe multimillionnaire"), se tiennent fièrement sur scène avec les étoiles et les rayures du drapeau américain, parlent fièrement de la manière dont l’UAW a contribué à construire des armes pour "l’arsenal de la démocratie", ou enregistrent des vidéos de selfies joyeux avec le président des États-Unis, ils fournissent une couverture à la répression étatique des luttes plus larges de la classe ouvrière et ouvrent une brèche entre les travailleurs de leur pays et ceux qui sont victimes de la violence impérialiste américaine. Et cela s’applique également aux bases de syndicats comme l’UAW, dont beaucoup partagent ce point de vue.
La nouvelle bureaucratie de gauche, à la manière de Fain, suit cette dérive avec le silence continu du siège national de l’UAW sur l’occupation croissante par Israël des territoires palestiniens et son massacre génocidaire de plus de 11 000 civils à Gaza, perpétré avec des armes fournies par les États-Unis et ses alliés. L’argument selon lequel prendre parti dans de tels événements ou utiliser le pouvoir des travailleurs pour s’opposer aux auteurs de telles atrocités est en dehors du champ d’action des syndicats divise encore davantage la classe ouvrière là où elle est la plus puissante : sur les lieux de travail où elle est déjà bien organisée et où elle a le potentiel de causer des perturbations massives au service de la justice sociale.
En cette période de crises et de guerres menaçant le bien-être et les moyens de subsistance des travailleurs du monde entier, il est plus nécéssaire que jamais que les syndicats se libèrent des chaînes idéologiques et structurelles du Parti démocrate et de l’État, et qu’ils réapprennent à utiliser le pouvoir de leur force organisée et leurs méthodes de lutte pour mener des combats politiques et anti-impérialistes en faveur de toute la classe. Les importantes victoires remportées par la grève de l’UAW et le mouvement ouvrier de plus en plus audacieux auquel elle a contribué, montrent que les conditions sont mûres pour construire une alternative indépendante du Parti démocrate. La possibilité que le mouvement ouvrier soit touché par le mouvement pour la Palestine est très prometteuse, un horizon que Joe Biden et tout l’establishment bipartiste, avec les patrons qui soutiennent également l’État sioniste, veulent éviter à tout prix.
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