Democracynow, 1er février 2022
Traduction et organisation du texte : Alexandra Cyr
Amy Goodman : Elle a aussi interdit à l’Estonie d’y expédier des obus fabriqués dans ses usines. Elle y a expédié 5,000 casques de combat la semaine dernière pour la protection des soldats.es en cas d’attaque russe. Le ministre de la défense a expliqué qu’il s’agissait de prouver à l’Ukraine que l’Allemagne est de son côté. Certains.es ont ridiculisé le geste en demandant un effort plus significatif, soit d’y envoyer des armes. Ceci arrive dans la foulée de la démission du chef de la marine ce mois-ci après avoir fait des commentaires minimisant la crise, en soutenant que le Président Poutine méritait le respect. Le Chancelier Olaf Scholz a voulu se faire rassurant en soulignant que son gouvernement agissait en lien avec les politiques de l’Union européenne et de l’Otan envers la Russie et il a insisté : « Nous ne fournirons pas d’armes mortelles d’aucune façon ». Il a pris la parole au Forum économique mondial ce mois-ci : « La Russie est bien au fait de notre détermination. J’espère qu’elle se rend aussi compte que la coopération est plus payante qu’une future confrontation. C’est sur cette base que nous sommes engagés.es parce que nous croyons fermement que le bien public mondial ne peut être préservé que par la coopération et la paix en est l’élément le plus important ».
Pour en savoir plus, nous rejoignons à Berlin, Reiner Braun le directeur du Bureau international pour la paix. Il est un militant allemand pour la paix, un historien et un auteur qui a mené campagne contre la base aérienne de Ramstein et contre l’Otan. Nous serons aussi avec Ludo de Brabander en Belgique où l’Otan a son siège social. Il est le porte-parole d’une organisation belge qui travaille avec la coalition mondiale « Non à la guerre, non à l’Otan », qui organise chaque année un contre-sommet à l’Otan.
Soyez les bienvenus tous les deux. Je vais commencer avec vous, Reiner Braun. Nous sommes entrés.es dans ce moment post-Merkel en Allemagne précisément quand l’escalade militaire contre la Russie est en marche à propos de l’Ukraine. Parlez-nous du mouvement pour la paix en Allemagne. Où se situe-t-il ? Que représente ce nouveau gouvernement qui inclut les Verts dans sa coalition ?
Reiner Braun : Le nouveau gouvernement allemand comporte deux partis qui sont absolument opposés à la Russie : les Verts et les Libéraux. Ils tentent tous les deux d’obtenir du gouvernement des politiques plus agressives contre la Russie, entre autres de refuser l’oléoduc (North Stream 2) et la fin de l’envoi d’équipements militaires à l’Ukraine. Donc, plus de confrontation.
Le mouvement allemand pour la paix milite pour des rapports apaisés avec la Russie, pour des politiques communes de sécurité et pour des négociations afin que soient mis en place les accords de Minsk 2. Ces accords prévoient une nouvelle constitution pour l’Ukraine, que le pays soit plus fédéralisé, que des négociations aient lieu entre les deux parties du pays, qu’il y ait des élections et, bien sûr, arrive la question du contrôle des frontières, c’est un élément clé pour une solution de paix.
Or, le gouvernement ukrainien fait tout le contraire. Il tente toujours d’augmenter les troupes, les armes et les manœuvres à la frontière. Il reçoit 2 000 millions et demi de dollars de la part des Américains pour financer cette approche agressive. Le mouvement pacifiste cherche donc une solution sécuritaire commune pour revenir aux négociations et à mobiliser en faveur de la paix dans le but de contrer la campagne intensive des médias de notre pays en faveur de la guerre.
Juan Gonzalez : Reiner Braun, vous parlez des accords de Minsk 2. Jusqu’à quel point sont-ils une menace à l’hégémonie américaine ? Ils signifient que l’Europe cherche à résoudre ses propres problèmes.
R.B. : C’était une tentative de la part de l’Europe pour régler ses propres problèmes par le truchement du forum de discussion dit « de Normandie » qui inclut la Russie, les deux parties de l’Ukraine, la France et l’Allemagne. Les États-Unis n’y sont pas parce qu’ils ont des intérêts très spécifiques en Ukraine, une approche agressive contraire à la politique de sécurité commune et aux négociation menées par l’Europe. La Russie a toujours tenté de négocier avec les Européens. C’est une grave erreur que font les pays européens de faire fi de ces négociations et de soutenir les politiques de confrontations américaines.
Nous espérons, qu’avec le mouvement populaire, nous reviendrons à des politiques européennes plus inclusives, c’est-à-dire de poursuivre les politiques de l’Organisation pour la sécurité et la coopération européenne des années 1980-90 quand nous avions des politiques communes avec la Russie sur plusieurs points. Ce fut une partie paisible de l’histoire allemande et européenne. Il nous faut revenir à cela, car autrement, c’est la guerre en Europe centrale. Pouvez-vous imaginer ce que serait une guerre en Europe centrale avec le niveau de développement actuel de la technologie ? Ce sera la destruction de cette partie du continent. Je ne peux me résoudre à imaginer ce que serait cette guerre en fin de compte, même sans l’arme nucléaire. Ce serait vraiment la fin de l’Europe. L’enjeu est donc celui-ci : allons-nous revenir à des politiques européennes plus pacifiques ou allons-nous ensemble, soutenir les politiques de confrontations américaines avec plus d’agressions, nettement orientées vers la guerre contre l’Ukraine et la Russie ?
J.G. : Pouvez-vous nous parler de l’oléoduc North Stream 2 en rapport avec la crise actuelle ? Il est terminé, mais pas encore en opération. Quelle influence a-t-il en Allemagne ?
R.B. : On verra bien ce qu’il en adviendra. Pour moi, il apporte bien des problèmes écologiques. Mais en réalité, ces oléoducs ont préservé la sécurité énergétique européenne, surtout ces temps-ci où le prix en est si élevé. Nous relations avec la Russie et l’ancienne Union soviétique en matière d’énergie ont duré 50 ans. Les deux entités ont toujours respecté leurs obligations et à un prix correct. Nous avons besoin de ces oléoducs comme un élément de coopération au lieu de l’opposition et de la confrontation.
Laissez-moi vous donner un exemple de confrontation. On dit toujours que les troupes russes sont près de la frontière ukrainienne. En fait, elles sont à 350 km bien loin de cette frontière. Les troupes de l’Otan, dont les allemandes, les américaines, les canadiennes et les britanniques, sont à 150 km de St-Petersbourg, la cité historique de Russie. Qui agresse qui quand vous prenez ces faits en compte ? En plus, l’OTAN consacre 1 100 milliards de dollars en dépenses militaires ; la Russie, 65 milliards. Pensez-vous que le pays dont le budget militaire est le 1/14e de l’autre puisse être l’agresseur ? L’affirmation contraire est une histoire stupide. L’agression vient de l’OTAN.
A.G. : Pouvez-vous nous donner votre opinion sur celle que les analystes américains et les commentateurs.trices de grands médias du pays ont à propos de votre nouveau gouvernement post-Merkel ? Il ne serait qu’en train de tomber sur ses pieds, il serait très couci-couça, mais qu’il finira par rassembler ses troupes et finalement rejoindre les États-Unis. Est-ce qu’il a été aussi couci-couça que cela ? Diriez-vous qu’il prend une approche complètement différente parce qu’il ne veut pas fournir d’armes (à l’Ukraine) ou être impliqué dans une vraie incursion militaire ?
R.B. : En réalité, tous ces pays sont membres de l’OTAN. Et son élargissement est à l’arrière-plan de la crise et des agressions des pays occidentaux contre l’est (de l’Europe). Il existe diverses différences entre les États-Unis et les pays européens, mais il y a aussi de nombreux points communs. L’inclusion de l’Ukraine dans le système occidental ou dans l’Union européenne en est un des plus importants pour l’Union ou pour l’OTAN. Nous sommes en zone géostratégique avec des arguments de cette nature. L’Ukraine est une partie importante de tout l’enjeu de l’Eurasie. Quelle en est la partie la plus influente ? Brzezinski disait : « Qui contrôle l’Ukraine contrôle la route entre l’Europe et l’Asie et par ailleurs affaiblit la Russie. Il y a donc un intérêt commun entre les États-Unis et l’Europe : affaiblir la Russie, refuser ses armées et ses intérêts nationaux, c’est l’arrière-plan de cette profonde, très profonde crise. Il y a des différences, mais aussi des points communs entre les Américains et les Européens.
A.G. : En plus de Reiner Braun, nous joignons Ludo Brabander en Belgique. Il fait partie du groupe Vrede (paix en flamand). Vous habitez le pays où l’OTAN à son siège social. Parlez-nous de ce qui se passe chez-vous.
Ludo Brabander : Comme vous l’avez dit, la Belgique héberge, à Bruxelles, le siège social de l’OTAN et est aussi la capitale de l’Union européenne. La commission européenne y tient son centre d’activités. Je peux dire qu’ici, c’est semblable à ce que Reiner Braun a dit de l’Allemagne. Il y a aussi des Verts et des libéraux dans notre gouvernement qui doit remplir ses obligations envers l’OTAN. Si on lui demande d’envoyer des troupes soit à la frontière russe ou dans l’Europe de l’est, le gouvernement belge répondra donc positivement. C’est le message qu’on nous donne.
Par exemple, la crise ukrainienne joue un rôle dans les intérêts du complexe militaro-industriel belge. Très récemment, vendredi dernier, le gouvernement a décidé d’augmenter le budget militaire en invoquant la crise avec la Russie. Il l’a fait passer à 1,54 % du PIB, ce qui représente une augmentation de 1,1 %. En huit ans nous avons dépensé 14 milliards d’euros. C’est beaucoup d’argent, surtout en ces temps de crise sanitaire et énergétique. Et il n’y a presque pas de débats dans les médias. Il semble que nous soyons presque dans un consensus politique et que c’est ce qu’il nous faut. Je pense que ça tient aux politiques de l’OTAN et à la quasi propagande que nous lisons dans la presse. On n’entend pratiquement pas ceux et celles qui appellent à la paix et qui offrent des alternatives à la confrontation militaire. Voilà une petite idée de l’atmosphère en Belgique.
J.G. : Je voulais vous demander : pour la partie de notre auditoire qui n’est pas familière avec les origines et l’évolution de l’OTAN, pouvez-vous nous donner les raisons de sa création à l’époque et surtout pourquoi cette organisation a choisi de s’étendre à l’est, après la chute du bloc soviétique ?
L.B. : À sa création, en 1949, l’OTAN devait servir à tenir les Russes hors de portée, les Allemands à genoux et les États-Unis au pouvoir. C’est ce qui se disait si souvent. Le pacte de Varsovie a été fondé six ans plus tard. En 1947, le Président Truman, à fait un discours marquant ; c’est là que la guerre froide a commencé toujours accompagnée de ce que je qualifie de propagande : « Nous devons faire attention à la Russie sinon elle va nous envahir » ou d’autres propos semblables qui sont ceux utilisés en ce moment.
Plus tard, durant les années 1990, le Pacte de Varsovie a été dissous tout comme l’Union soviétique. Dix États, même dans leurs politiques officielles, ont déclaré que l’OTAN n’avait plus sa raison d’être. C’est exactement le contraire qui s’est passé. On peut dire que l’OTAN s’est réinventé. À la fin des années 1990, elle a commencé à s’étendre à l’est (de l’Europe). L’article 5 qui en fait une pure organisation de défense a été modifié. C’est l’article qui dit qu’en cas d’attaque d’un pays membre, tous les autres doivent aller à sa défense. C’est la tâche centrale de l’OTAN. Tout-à-coup des discussions ont eu lieu sur la possibilité de retirer cet article et, finalement, c’est devenu la politique d’intervention de l’organisation. Et en plus, elle a commencé à exercer son influence mondialement en complétant des ententes de coopération avec des pays et des régions partout dans le monde.
L’OTAN est donc devenu un acteur mondial et une force militaire internationale. Et comme l’a dit Reiner Braun, plus de la moitié des dépenses militaires (dans le monde) sont réalisées par l’OTAN. Dans tous les pays membres, on observe une forte pression pour l’augmentation des dépenses militaires. Cela a été décidé 2014 lors de la rencontre au pays de Galles. Cette augmentation qui va représenter, dans quelques années, 60,65 % de toutes les dépenses militaires dans le monde entier. C’est donc devenu une importante force militaire et je crois que c’est surtout pour défendre des intérêts géostratégiques, non pour la sécurité. Si c’était le cas, les relations avec la Russie seraient traitées bien différemment. Et comme le disait Reiner, ce serait moins conflictuel. Nous examinons tout ce qui mène à une sécurité commune qui, par définition, est invisible. La sécurité des uns est dans l’intérêt des autres. Ce principe est minimisé par les politiques de l’OTAN.
J.G. : Jusqu’à quel point le mouvement pour la paix peut-il influencer les politiques des joueurs majeurs comme l’Union européenne dans les rangs de l’OTAN ?
L.B. : C’est très difficile à dire. D’abord, il n’y a pas une grande couverture médiatique du mouvement. Nous essayons. Ainsi, comme Medea l’a annoncé aux États-Unis, nous tiendrons une vigile à Bruxelles samedi prochain. De plus, nous mettons l’accent sur le fait que l’OTAN ne joue pas en notre faveur, ni dans les intérêts de la sécurité et la paix, mais qu’il ne va pas non plus dans le sens des besoins de la population. L’annonce de l’augmentation du budget militaire nous sert également. Il y a de lourdes discussions au gouvernement autour de nos capacités à payer nos factures d’énergie. Le prix en a augmenté de deux, trois, quatre fois. Comment allons-nous résoudre cela ? Nous opposons les dépenses militaires aux vrais besoins de la population.
A.G. : (…) Nos deux invités seront impliqués dans des vigiles pour la paix pendant que l’escalade continue entre l’Ukraine, la Russie, les États-Unis et l’OTAN.
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