Bien qu’imparfait, le système associatif tente au mieux des possibilités procédurales de représenter légitimement ses membres. Les associations étudiantes, reconnues par la loi depuis 1983, sont les seules instances où des décisions peuvent être prises par voie de démocratie directe. Leur retirer la légitimité de mettre en œuvre les actions qui résultent des positions affirmées par la majorité des membres produit nécessairement un glissement hors du cadre législatif et institutionnel historiquement reconnu.
Les associations étudiantes créent des espaces d’expression collective essentiels. Elles permettent aux étudiantEs de se familiariser avec les enjeux politiques et sociaux, ainsi qu’avec des valeurs démocratiques légitimant le cadre législatif et décisionnel auquel nous sommes attachés. Sans ces dernières, les étudiantEs perdent prises sur leur environnement et sont réduitEs au rôle de consommateurs des services que veulent bien leur fournir les institutions scolaires. Désirons-nous réellement un milieu où chaque étudiantE n’a plus d’autre moyen d’expression que le recours à un processus de traitement des plaintes individualisées ? Dans cette situation, où les préoccupations étudiantes seraient sans doute négligées, le changement émanant des aspirations étudiantes serait difficile : seul un statu quo malsain pourrait perdurer.
Se restreindre à dire que le droit de grève « est un droit statuaire prévu au Code du travail qui ne peut être exercé que dans le contexte d’une relation employeur/employé » (jugement prononcé le 3 avril dans l’affaire Laurent Proulx contre l’université Laval) réduit l’importance sociohistorique de celui-ci. La décision de déclencher une grève, soit pour des raisons politiques, sociales ou scolaires, prise par des instances étudiantes démocratiques, serait dès lors illégitime et deviendrait caduque. N’oublions pas que les grèves des travailleurs et travailleuses étaient d’abord illégales et elles le sont restées jusqu’à ce que ce droit collectif leur soit reconnu dans le Code du travail. C’est dans cet esprit que les étudiantEs s’octroient ce droit et n’attendent pas passivement qu’on le leur donne.
Certains affirment qu’il ne faut pas qu’une décision collective nuise à un droit individuel, par exemple au prétendu droit d’avoir accès à ses salles de cours. Alors qu’est-ce qu’une grève ? Est-ce un quelconque moyen de pression strictement symbolique ? Si oui, quel impact a-t-elle réellement sur les plans social, politique et économique ? Si les étudiantEs prennent la décision de faire la grève en instance démocratique et que leur décision ne peut pas prendre forme dans la réalité, nous nous demandons à quoi servent ces instances que nous persistons à considérer souveraines. Comme dans toutes les instances démocratiques que nous valorisons, nous croyons que la minorité doit se rallier à la majorité suite à une délibération collective. C’est ce principe primaire qui doit être réaffirmé dans le débat qui oppose le respect des droits individuels au respect du droit collectif.
Nous pensons donc qu’empêcher la grève par voie juridique, ne serait-ce que par des injonctions temporaires, risque de faire dégénérer la situation davantage. Considérant que la résistance est un devoir civique lorsque le pouvoir en place est injuste, la grève peut servir de garde-fou pour éviter les débordements violents. C’est l’acharnement du gouvernement libéral à ignorer aussi longtemps les revendications étudiantes qui a créé la situation propice à la judiciarisation des débats politiques qui menace maintenant notre démocratie.
[Lettre d’opinion écrite par des étudiantes et étudiants en philosophie à l’Université Laval ; Hind Fazzazi, Jean-François Perrier, Kate Blais, Mahdi Benmoussa, Sophie Savard-Laroche et Jean-Nicolas Denis, et endossée par les membres de l’Association Générale des Étudiants et Étudiantes PrégraduéEs en Philosophie de l’Université Laval (AGEEPP).]