Hebdo L’Anticapitaliste - 630 (29/09/2022)
Par Bahman Ajang
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Des femmes ont été à l’avant-garde des premières manifestations, coupant leurs cheveux et brûlant en public leur foulard pour défier la loi sur le hijab. Contrairement aux initiatives individuelles de 2017-2018, le fait de retirer son voile est cette fois-ci un acte effectué collectivement et débouchant sur un affrontement direct avec le pouvoir.
Une révolte des femmes qui vient de loin
La contrainte à porter le voile constitue en effet un des fondements idéologiques de ce régime patriarcal et théocratique. Elle a été imposée par la force aux femmes malgré leurs immenses mobilisations en 1979 pour s’y opposer. Après 43 ans de contestation, les revendications féministes apparaissent désormais au grand jour, et figurent au premier plan des revendications politico-sociales mises en avant dans les manifestations.
La profondeur du refus actuel des femmes repose en partie sur le fait qu’elles sont présentes dans toutes les sphères de la vie sociale, politique et économique. Pratiquement toutes alphabétisées, elles ont une niveau d’études au moins égal à celui des hommes. Néanmoins, elles parviennent très difficilement à trouver un emploi et se retrouvent alors confinées au foyer.
La moyenne du nombre d’enfants par femme est de 1,6. Face à cela, la loi du 15 novembre 2021 criminalise l’avortement. Elle restreint également considérablement l’accès à la contraception et la vasectomie. Simultanément, le régime encourage les mariages précoces avant l’âge de 15 ans.
Depuis une dizaine d’années, des femmes ont investi les moyens de communication par internet. Elles ont multiplié les blogs et les vidéos en ligne. Pendant les mois qui ont précédé la mort de Masha Amini, des femmes ont convergé vers des hashtags de protestation anti-hijab, postant des vidéos d’elles-mêmes marchant la tête découverte ou se faisant harceler dans la rue.
La vigueur de la résistance kurde à l’oppression
Dès le 18 septembre, des manifestations ont éclaté dans le Kurdistan iranien dont était originaire Mahsa-Jina Amini. Des grèves générales y ont été organisées dès le lundi 19. L’hostilité envers le régime est traditionnellement vive dans cette partie du territoire où la population est particulièrement opprimée. Aspirant à l’autonomie et à la démocratie, elle a fait partie des premières forces d’opposition au régime islamique. La répression y est particulièrement féroce : une bonne partie des prisonnierEs politiques d’Iran en sont originaires.
L’extension sociale et géographique des mobilisations
Parti des femmes, le mouvement s’est très vite étendu dans le monde étudiant. Il a gagné d’autres jeunes citadinEs mais aussi des personnes plus âgées.
Tous les syndicats et associations non reconnus par le pouvoir ont soutenu ouvertement le mouvement. Dès le 17 septembre, le Syndicat des travailleurs de la compagnie de bus de Téhéran et de sa banlieue (VAHED) a par exemple déclaré « condamner fermement ce crime » et « exiger des poursuites, un procès public et la punition de tous les responsables du meurtre de Mahsa Amini. La discrimination structurelle, institutionnalisée et patriarcale à l’égard des filles et des femmes dans le pays doit cesser ».
La protestation a très vite débouché sur un nombre grandissant de manifestations à travers tout le pays, embrasant en une semaine pas moins de 100 villes dont la totalité des plus importantes. Face à cela, la répression a occasionné à ce jour plus de 50 décès, des centaines de blesséEs et des milliers d’arrestation dans l’ensemble du pays.
Une politisation rapide du mouvement
Les slogans initiaux, globalement dirigés à l’encontre de la police des mœurs, se sont très rapidement enrichis de formules scandées en masse telles que : « Mort au dictateur », « À bas la République Islamique », « Ni Chah, ni Guide Suprême », « Femme, Vie, Liberté », ou encore « Pain, Travail, Liberté ». Le mouvement a été fortement politisé dès le départ, et l’on n’est plus du tout dans un mouvement purement revendicatif.
Une résistance de longue date au régime et à sa politique néolibérale
La politisation rapide du mouvement actuel n’a rien de surprenant. En effet, la rupture entre le régime et la population est totale. Selon des sondages réalisés par des institutions d’Etat, il n’y aurait que 12 à 14% d’opinions favorables au maintien de ce régime. Celui-ci pensait consolider son règne en écartant les tendances « réformatrices » incarnées par les anciens présidents Khatami et Rouhani. Il a désigné Ebrahim Raiisi, considéré par des organisations de défense des droits humains comme coupable de crimes contre l’humanité. Loin de « répondre aux problèmes du pays », sa politique a débouché sur une crise sociale sans précédente : inflation galopante, chômage de masse, précarisation et paupérisation croissantes de la majorité de la population : selon les statistiques officielles, 50 % de la population iranienne vit sous le seuil de pauvreté.
Depuis plusieurs années, l’Iran est régulièrement secoué par des soulèvements populaires de plus ou moins grande envergure, mais reposant le plus souvent sur un ensemble de revendications sociales et économiques et environnementales. Ces mobilisations s’opposent aux politiques néolibérales mises en œuvre par l’intégralité des gouvernements successifs de la République Islamique depuis la fin de la guerre Iran-Irak (1980-1988).
Pour ne parler que d’elles, les révoltes de 2017 et 2019 ont été violemment réprimées dans le sang. Selon certaines sources, il y aurait eu plus de 1500 morts en 2019. Arrestations et harcèlement continu des militantEs des mouvements syndicaux, estudiantins et féministes ont été les seules réponses du régime, sans aucune proposition sociale. Cette répression n’a pas empêché qu’aient été recensés, l’année dernière, 4122 mouvements et actions de protestation, grèves, sit-ins, d’ouvrierEs, d’enseignantEs et d’autres salariéEs, ainsi que de retraitéEs. Un record absolu dans l’histoire de la République islamique. La réplique du mouvement ouvrier au pouvoir du président Raiisi. Le moment fort de cette réplique a été la grande grève de l’été dernier des travailleurEs de l’industrie du pétrole et de la pétrochimie, quand plus de 100 000 salariéEs de ce secteur ont répondu à l’appel à se mobiliser.
L’Iran a été le théâtre de soulèvements pour l’eau, notamment au Khuzestan (2021), à Ispahan ou Shahrekord (2022), qui ont vite pris une tournure politique et ont été réprimés.
Les manoeuvres des nostalgiques de la dictature du Chah
Après l’échec total du courant « réformiste à l’intérieur de l’État » et son discrédit auprès de la grande majorité de la population, une campagne a été menée par de grands médias en exil, dont certains appuyés et financés directement par les monarchies du Golfe et leurs parrains US. Prenant appui sur quelques slogans isolés scandés lors des deux précédentes révoltes, ils ont présenté le fils du Chah (renversé en par la révolution de 1979) comme le « symbole de l’unité du peuple ». Ils ont tenté de le présenter comme l’incarnation d’un « retour aux racines monarchiques de l’Iran ». Leur campagne a été amplifiée par la force de frappe de leurs moyens de communication à grande échelle, et via des actions virales dans les réseaux sociaux.
Or, au 25 septembre, après 9 jours de révolte à l’échelle nationale, à aucun moment n’a été entendue ou observée une telle coloration des manifestations, que ce soit au sein des citoyenEs mobiliséEs, ou des organisateurEs et acteurEs majeurEs des actions collectives. De surcroît, les slogans scandés montrent justement l’absence d’une telle orientation. C’est une victoire pour les forces vives et progressistes en Iran.
Cette révolte en cours est un stade supérieur de la lutte des femmes et des hommes d’Iran dans leur quête de la démocratie et la justice sociale. Ni Chah, Ni Guide Suprème !
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